« La démocratie est d’abord un état d’esprit », disait Pierre Mendès-France. Il n’y a pas de meilleure formule pour dire l’incapacité du régime de Macky Sall à s’accommoder aux principes et exigences de la démocratie pluraliste. Avec l’arrestation de Oumar Sarr, après celle de Toussaint Manga et d’autres jeunes du PDS pour des raisons plus qu’occultes, le gouvernement de Macky Sall vient de prouver encore sa nature dictatoriale.
La pente du totalitarisme est toujours empruntée par les régimes imposteurs : or celui-ci en un. Combien de millions de Soviétiques Staline a exécutés sous le prétexte de diffusion de fausses nouvelles et de menace à la sécurité nationale ? Combien de centaines de Congolais Mobutu a sacrifiés sur l’autel des intuitions (déifiées selon les humeurs du prince) ? Saintes institutions ! Toutes les fois qu’un dictateur a voulu légitimer ses crimes et forfaits, il a évoqué les INSTITUTIONS ou le PEUPLE. Tous les tyrans ont chéri ces notions, car la meilleure façon de se débarrasser d’un adversaire gênant c’est de le faire passer pour l’ennemi du peuple ou de bravade contre la stabilité des institutions.
Il faut remarquer que depuis l’avènement de Macky Sall les mots « loi » « justice », « traque », « fossoyeurs », « pilleurs de deniers publics », etc. sont plus usités dans le lexique politique que les notions de développement, de paix, et de respect. On dirait qu’avant Macky Sall, il n’y avait ni loi, ni justice, ni même république : un Messie est doc sorti de la cuisse de Jupiter pour refaire le Sénégal et les Sénégalais par le glaive. Ce ton belliqueux du discours de nos gouvernants traduit en réalité un état d’esprit : l’inaptitude à supporter la différence et les joutes démocratiques. Il s’agit d’une rhétorique de la médiocrité et de l’imposture qui exprime, de façon sournoise, une volonté de brimer toute altérité.
Car c’est une marque de grandeur d’âme et d’ouverture d’esprit que d’avoir du respect pour ses adversaires : sans fair-play la politique est pire que la guerre ; sans intelligence, elle est la proie du mal et le théâtre de l’invective ; sans respect des principes de la démocratie, la politique n’est que violence symbolique, physique ou verbale ; sans vision elle n’est qu’atermoiements et gesticulations puériles et stériles. La vitalité et la grandeur d’une démocratie se mesurent par le nombre quasi nul de détenus politiques : au Sénégal la prison est devenue l’alternative de la transhumance politique. Entrez dans les rangs ou allez en prison : telle est le choix étriqué laissé aux hommes politiques sénégalais sous l’ère Macky Sall.
En trois ans Macky Sall a envoyé en prison plus que son prédécesseur en douze ans ! Ousmane Ngom a été arrêté et transféré manu militari à Dakar, Bara Gaye a été emprisonné pour rien, Karim Wade, Aïda Ndiongue et ses co-accusés pour une raison pour laquelle tous les Sénégalais pourraient être emprisonnés, Me El Hadji Amadou Sall pour offense au chef de l’État, Toussaint Manga et ses frères de parti pour des raisons qu’aucun sénégalais ne sait, d’anciens ministres ont été arbitrairement interdits de sortie du territoire, des députés dépouillés injustement de leur immunité parlementaire, des journalistes constamment intimidés, les manifestations de l’opposition systématiquement interdites… Quel dictateur a fait pire ? La « funeste et sinistre superstition des prêtres et demi-prêtres de la vertu » et de la bonne gouvernance (pour emprunter à Nietzsche son style sarcastique) a donné libre cours à toutes sortes d’exactions.
A ce rythme, il faudra construire, encore construire et toujours construire des prisons, car c’est une très grande illusion de croire que les Sénégalais sont prêts à abdiquer leur liberté. Nous ne sommes plus en régime démocratique, car les piliers de la démocratie sont affaiblis aujourd’hui par un régime qui illustre sa médiocrité par une innommable frilosité. On a aboli la démocratie en divinisant une chimère qu’on appelle PSE : au nom de ce slogan il n’y a plus de place pour l’opposition, il n’y a plus de place pour la citoyenneté parce que nous devons en être les adeptes.
Ce à quoi nous assistons n’est rien d’autre qu’un complot contre la démocratie-complot dont les principaux acteurs sont les intellectuels sans foi, les politiques et quelques hommes de médias. Ce complot consiste à apprivoiser les citoyens par des procédés qui parodient la démocratie au lieu d’en être l’expression :
On instrumentalise la justice dans le seul but de réduire au silence toute voix discordante ;
On feint d’organiser, dans certains groupes de presse, des débats libres mais c’est généralement pour étouffer les affaires gênantes pour le régime ;
On rappelle les mauvaises pratiques d’autres fois pour édulcorer les tares et les crimes démocratiques de l’actuel régime à défaut de les légitimer ;
On a institué un clergé d’intellectuels extrêmement industrieux en matière de fabrique d’opinion pour brouiller les pistes des crimes constamment commis par ce régime.
Nous ne sommes plus en démocratie et la seule alternative qui reste aux patriotes est : soit être, comme Oumar Sarr, libres dans les prisons de Macky Sall ; soit être des Oumar Sarr libres de celles-ci, mais prisonniers de l’indignité et de la lâcheté.
Alassane K. KITANE
Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès
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