La corruption est sans doute un phénomène universel au point que bons nombres de spécialistes la qualifie de ‘’gangrène du siècle’’.
Pour cause, la corruption sévit sévèrement autant dans les pays pauvres que dans les pays riches, dans les plus hautes sphères de l’Etat, dans la fonction publique que dans la vie de tous les jours. Mais en Afrique ,de manière générale, au Sénégal particulièrement ; elle a atteint des proportions si inquiétantes qu’on peut sans ambages parler de ‘’pathologie sociale’’ ou de ‘’cancer culturel’’.Ces expressions métaphoriques aux relents médicaux traitant la corruption de ‘’maladie sociale ‘’sont bien à propos dans la mesure où si on représente la société comme un organisme vivant ou un ‘’corps social’’ se nourrissant de la transparence, de la bonne gouvernance et de la probité pour vivre et avoir une santé morale, politique et économique ;la corruption tel un virus attaque les organes vitaux ,obstrue les artères socio-politiques au point de plonger tous les secteurs névralgiques de la communauté dans un coma profond.
La corruption apparaît comme un acte pénalement blâmable par lequel une personne ‘’le corrompu’’ demande ou reçoit un don en nature ou en espèce, une offre ou une promesse, des cadeaux ou des avantages multiformes du »corrupteur » dans le but d’accomplir une tâche liée directement ou indirectement à l’exercice de ses fonctions. Qu’elle soit ‘’active ‘ou ‘’passive ’’, ‘’publique ‘’ou ’’ privée’’ ; la corruption cause toujours des ravages si profondes qu’elle paralyse tous les rouages de la vie sociale, politique et économique.
Usunier et Verna ne s’y sont pas trompés lorsque parlant de la corruption, ils écrivent :
« une bonne image pour décrire le phénomène de la corruption serait d’imaginer un corps agressé par des agents microbiens extérieurs,[car] elle permet d’envisager plusieurs aspects qui sont importants dans le développement de la « pathologie sociale » qu’est la corruption lorsqu’elle est pratiquement institutionnalisée ».
Au Sénégal, il y a lieu de le dire la corruption est si encrée dans les mœurs, dans les habitudes sociales ou quotidiennes qu’elle apparaît comme une gangrène sociale fruit d’une survivance de pratiques cultures millénaires s’exprimant dans des expressions wolofs du genre’’lekkukay’’ pour caractériser une affectation, un poste lucratif ; ‘’lekkiti kessé nakhouti beey’’ , ‘’lokkhooy kadioor daffaay wessalo’’, ‘’diokhé diegou gouro’’, makk dou fecc ci yallana dé’’ pour exprimer l’idée d’une marchandisation ou d’une monétarisation des services publics. La corruption est un phénomène si banalisé voire valorisé qu’elle renvoie à des référents à connotation religieuse comme cela s’exprime dans le vocable wolof détourné de son sens sacré ’’nouyo mouride’’(salutation mouride) traduisant un geste ‘’bienfaiteur’’ récompensant un service reçu.
On n’ est donc pas étonné de voir l’institutionnalisation de la corruption au Sénégal à telle enseigne que de l’employé municipal, au fonctionnaire administratif, en passant par l’agent de police, le magistrat , le phénoméne est si récurrent qu’il apparait comme ‘’ normal ». Chacun s’y livre sans aucun remords, sans aucune prise de conscience patriotique et demande sans vergogne son ‘’gouro’’(cola), son ‘‘rakhassou’‘ ou sa part du gâteau oubliant qu’il est entrain de s’accaparer des deniers publics et de compromettre l’avenir du pays.
Qu’elle soit ‘’petite’’ comme celle pratiquée par les agents subalternes en parfaite collaboration avec leurs supérieurs dans l’administration, la corruption prend des allures de coopérative dans laquelle tous les acteurs touchent leur part du butin. S’il en est ainsi, c’est parce que les politiciens et les cadres de l’administration publique, de la justice du pays s’adonnent à la grande corruption inspirant les citoyens, et contribuant ainsi par le phénomène social du mimétisme à instaurer une véritable « culture de la corruption ».
Ce qui est remarquable , c’est que plus on s’enlise dans ce tourbillon de la corruption, plus on est gagné par une manie et une boulimie corruptives nous délestant de notre dignité et de notre sens du patriotisme, car on oublie qu’on est nommé ou élu non pas pour nous servir mais pour servir ses concitoyens.
Même ceux-ci qui résistent à la tentation de la corruption sont soumis à une pression sociale et parfois politique insoutenable, car ils deviennent les parias d’un système mafieux qui ne tolère pas la droiture et la vertu. La corruption est partout, elle crève l’œil des citoyens résignés et parfois complices de cette pratique immonde devenue par le laxisme de nos autorités un véritable fléau social. Sinon comment accepter ou admettre que des fonctionnaires avec peu d’expérience et aux salaires modestes puissent avoir un train de vie qui n’envie rien à Crésus ce célèbre empereur grec connu pour ses richesses fabuleuses. En réalité, le mode de vie des africains en général et particulièrement des sénégalais encourage la corruption dans la mesure où il promeut le règne du paraître sur l’être, du festif sur le travail de sorte que, le fonctionnaire ne peut plus se suffire de ce qu’il gagne ; il cède à la tentation corruptrice et de sauver les apparences sociales en montrant qu’il gagne ‘’ bien ‘’ sa vie.
C’est ce que fait remarquer Hacinthe Sarrssoro dans son analyse de la corruption des employés du public dans le contexte africains :
« La corruption du fonctionnaire est une conséquence du mode de vie de la société dont il est issu et dans laquelle se déroule son activité professionnelle …
Ainsi tout fonctionnaire [Africain] se trouve enfermé dans une trame coutumière dont la loi n’arrive pas l’exorciser et dont les deux composantes fondamentales sont la conception de la famille Africaine et le système socioculturel. ».
En vérité, si la corruption se développe tant au Sénégal, ce n’est pas seulement dû à la cupidité des corrompus, mais également aux laxismes et à l’insouciance civique des corrupteurs, car il n’ y a pas de corrompus sans corruptureurs. Or, l’environnement socio-culturel au Sénégal est corruptogéne.
Toutes ces considérations sur la corruption doivent nous amener à dire que le combat contre ce phénomène ne doit pas seulement se limiter à la création d’organes ou d’institutions à l’image de l’Office Nationale de Lutte contre la Fraude et la Corruption(l’OFNAC) ou de dénonciation de cette pratique néfaste par des ONGs telles que Transparency International , Forum Civil ; mais il doit passer par un changement en profondeur de nos habitudes sociales,par une prise de conscience citoyenne du bien commun . Certes, il est plus qu’important de promouvoir la transparence et la bonne gouvernance ; mais il faudra impérativement s’attaquer aux racines du mal à savoir le sentiment d’impunité dont jouissent les corrompus pouvant prendre des formes aussi perverses que l’interventionnisme des religieux pour protéger leurs ‘’vaches laitières’’, la pression des lobbies politico-économiques pour sauvegarder leurs’’ pourvoyeurs de fonds électoraux’’, par ‘’la médiation pénale’’ pour ne pas éclabousser les parrains hauts placés de ce système corruptif et pour protéger ses arrières en cas de perte du pouvoir .
Paraphrasant, le Président Barack Obama, nous pouvons dire que la lutte contre la corruption a plus besoin d’hommes forts que d’institutions fortes, c’est- à-dire il faut ceux qui nous gouvernent donnent l’exemple en terme de probité morale, de rigueur , de gestion des biens publics et qu’ils arrêtent d’entretenir une clientèle politique et électorale, qu’ils incitent le peuple dans leurs actes comme dans leurs propos au travail et gagner honnêtement leurs vies, qu’ils soient impitoyables dans la répression des personnes coupables de corruption de quelques bords qu’elles soient .
À défaut d’un ‘’plan Marshall’’ pour ne pas dire d’un plan ‘’Macky Sall !!!’’ ou d’un traitement de choc pour éradiquer la corruption, l’éducation ne sortira jamais de son cycle endémique de grèves et de débrayages, la santé continuera sa déliquescence exponentielle, l’agriculture sombrera dans une léthargie profonde et incurable, les infrastructures moribondes et déficientes freineront tout espoir de développement ou d’émergence, la justice se dégradera au point de compromettre la paix sociale et la viabilité démocratique ; car non seulement la corruption provoque un manque à gagner économique(les pertes économiques liées à la corruption entre 2007et 2012 s’évaluent à 307 milliards de FCFA selon un rapport de l’USAID, mais surtout elle discrédite notre pays au point de faire fuir les potentiels investisseurs .
On peut donc soutenir à la suite d’Alain Etchegoyen que pour éradiquer le mal de la corruption :
« la première urgence est, non pas de faire feu, mais de la mettre en pleine lumière pour dissiper les ombres. [En effet], la répression est nécessaire, mais la prévention est d’une autre importance : elle n’est possible, [cependant], que si nous connaissons au mieux la mécanique de la corruption. »
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