Le débat au sujet du référendum a fini d’irriter le Chef de l’Etat qui, sur un ton qui frise la menace- comme cela lui arrive si souvent- « décrète » la fin de ce débat au moment où son premier ministre ordonne aux professeurs et experts ainsi qu’aux Sénégalais en général de garder le silence pour laisser son mentor « dérouler ce qu’il a engagé ».
Ces sorties malheureuses du Président de la République et du chef de gouvernement nous fondent à nous demander légitimement dans quelle République et à quelle ère se croient véritablement ceux qui nous gouvernent aujourd’hui.
Il ne fait désormais plus de doute que le Président Macky Sall se trompe de pays et d’époque. Et c’est malheureux pour un Chef d’Etat dont on aime si souvent à rappeler qu’il est né après les indépendances, mais qui, paradoxalement, adopte des attitudes qui rappellent à bien des égards les « pères fondateurs » qui régnaient sur l’Afrique au lendemain des indépendances.
Si le Président Sall était en phase avec son époque, il aurait compris que son allergie à la critique et les manifestations d’hystérie de ses affidés ne peuvent nullement altérer la détermination des Sénégalais à s’exprimer et agir en citoyens libres chaque fois que le devenir de leurs institutions est en jeu. Il se serait également rendu à l’évidence qu’au Sénégal, la dictature de la pensée unique relève de l’histoire ancienne et que rien ne lui confère en conséquence le pouvoir de mettre fin à un débat dont l’enjeu fondamental aux yeux de ses compatriotes n’est ni sa carrière politique personnelle encore moins le sort de son régime, mais plutôt la viabilité de nos institutions.
La manie du Chef de l’Etat à manifester des signes d’énervement et d’agacement chaque fois que la tournure d’un débat le met dans une mauvaise posture a de quoi inquiéter.
Après avoir gagné son pari de « réduire l’opposition à sa plus simple expression », obligé les acteurs des assises nationales à réviser les principes qu’ils ont défendus des années durant et au nom desquels des compatriotes sont tombés sous les balles du pouvoir sortant et recyclé dans son système des modèles achevés de renégats, Macky Sall considère que son cercle de laudateurs doit s’élargir à tous les sénégalais sans exclusive pour ne laisser place à aucune voix discordante sur son action à la tête de l’Etat. Une telle vision de la politique est le propre des dictateurs. Heureusement que ce pari est voué à l’échec car les chaines de la dictature sont à jamais brisées dans notre pays et personne ne détient le pouvoir de les ressusciter.
Si certains de nos compatriotes ont perdu leur capacité d’indignation sous l’effet des lambris dorés du pouvoir, d’autres par contre qui estiment que les raisons de s’indigner sont toujours valables refusent catégoriquement l’omerta que veut leur imposer le Chef de l’Etat. Si nous pouvons concéder le droit à certains d’invoquer des arguments à la limite de la décence pour pousser leur leader à se dédire, d’autres revendiquent aussi la liberté d’élever la voix pour rappeler au Président de la République le devoir de se conformer à son engagement au nom de l’éthique.
Le débat sur le référendum est loin d’être clos. D’ailleurs, qui a le pouvoir de le clore ? Beaucoup de sujets sont encore à traiter.
En effet, au-delà de la question du mandat, il ya des réformes institutionnelles que l’on attend avec impatience depuis l’avènement du nouveau régime mais que le Président de la République a délibérément choisi de placer à la périphérie de ses préoccupations. Nous en citerons principalement deux à titre illustratif.
Il figure en bonne place dans la « Charte de gouvernance démocratique » issue des conclusions des assises nationales une pertinente disposition qui rend incompatible la fonction de Chef de l’Etat et celle de Chef de parti. Une telle réforme dont la nécessité s’est posée avec acuité sous tous les régimes n’est malheureusement pas à l’ordre du jour dans l’agenda présidentiel. Or, elle nous parait une urgence vitale pour notre démocratie.
Il est fréquent de voir Macky Sall enfiler en même temps sa tunique de Président de la République et celle de chef de parti pour s’attaquer arbitrairement à des adversaires politiques désarmés par la Constitution, car obligés de se dérober sous peine de tomber sous le coup de l’article 80 du code pénal qui punit le délit d’ « offense au Chef de l’Etat ». Il est tout aussi fréquent de voir le Président de la République mobiliser les moyens de l’Etat pour effectuer des tournées dites « économiques » et à l’occasion desquelles il reçoit pourtant des acteurs politiques qui, dès la fin de l’audience, annoncent avec fracas leur transhumance vers l’APR. Qui peut distinguer les tournées économiques du Chef de l’Etat et les tournées de massification politique du Chef de l’Etat ?
La question du contrôle des fonds politiques logés à la présidence et laissés à la seule discrétion du Chef de l’Etat ne doit pas non plus être occultée dans le débat sur la réforme des institutions. Ces fonds ont toujours été et demeurent plus que jamais une source de financement occulte pour le parti au pouvoir, rompant du coup le principe d’égalité entre les citoyens qui doivent avoir un accès égal aux ressources publiques. Il nous parait utile d’élargir les pouvoirs de l’Assemblée Nationale en lui accordant les moyens d’exercer un contrôle de ces fonds afin de mettre un terme à l’opacité qui entoure leur gestion et qu’ils cessent enfin de profiter exclusivement à un clan.
Sur tous ces sujets et sur tant d’autres, le Président de la République refuse le débat. Pour lui, les seuls sujets qui méritent qu’on s’y épanche sont ceux qui peuvent concourir à la réalisation de son désir obsessionnel : la quête d’un second mandat. Au Chef de l’Etat qui pense qu’il doit avoir le monopole de la parole sur les questions qui touchent au fonctionnement de nos institutions, nous rappelons cette formule de Mao qu’il connait peut être mieux que nous : « Que cent fleurs s’épanouissent, cent écoles rivalisent ».
Serigne Assane KANE
Membre de la Jeunesse pour la Démocratie et le Socialisme (JDS)
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