Le caractère ultra-chargé de la question de l’homosexualité – à l’instar des sujets de société tels que l’avortement et, dans une moindre mesure, quoique toujours très sensibles en l’Eglise catholique, le divorce et le remariage de personnes divorcées – appellerait notamment les hommes politiques qui savent s’écouter eux-mêmes à raser les murs, c’est-à-dire à s’exonérer de leur rôle de leaders d’opinion, et donc à abdiquer leur liberté et, avec elle, leur leadership.
Les droits-de-l’hommistes n’y sont guère en reste. Ils sont en effet particulièrement attendus au plus périlleux des tournants, où il suffirait justement d’évoquer quelque droit dévolu aux personnes homosexuelles pour être marqué de manière indélébile comme homophile, voire homosexuel. De sorte que certains d’entre eux en oublieraient le caractère universel, intemporel et imprescriptible des droits humains.
Pourtant, c’est une question de salubrité morale et d’honnêteté intellectuelle que de s’en préoccuper. C’est même une nécessité républicaine. A moins que ce ne soit plutôt un devoir civique, celui qui consiste précisément à ne pas détourner son regard face à des personnes en danger au nom de religions « révélées ».
Le reste du monde est terrifié à l’idée de devoir éventuellement affronter, en tant que victime, la terrible expérience du terrorisme international, et voilà que chez nous, au Sénégal, au même moment, l’on s’illustre, par l’insulte et la violence, dans la casse « d’homosexuels » inoffensifs, qui n’ont guère pour armes que de présumées cérémonies de « mariage homosexuel », en fait des prétextes de (ré)jouissances, réputés « contre-nature » dans notre pays, obligeant alors nos forces de sécurité à se détourner de leurs priorités de l’heure.
Il est cependant fort à regretter que, à cette bêtise proprement humaine, puissent s’ajouter l’irresponsabilité coupable et la légèreté prétendument humoristique de l’hebdomadaire Jeune-Afrique, qui a publié sur son site internet, le 28 janvier 2016, pour devoir se raviser aussitôt, un article portant sur le sujet sensible de l’homosexualité et illustré par une caricature du fondateur du mouridisme arborant une robe au lieu de son traditionnel caftan. Ce qui est certainement aussi blessant, toutes proportions gardées, que la fameuse boutade malheureuse du Premier ministre Idrissa Seck, comparant jadis le fils du Président Abdoulaye Wade, Karim, à Jésus, Fils de Dieu. Aussi, son repentir à l’égard de la Communauté chrétienne du Sénégalvaut-elle en l’occurrence les regrets de Jeune-Afrique envers les Mourides. Nous devons les accepter.
Ainsi, donc, faire la chasse aux « homosexuels » est-il devenu au Sénégal un acte de djambaar, de bravoure, tandis que les traditionnels débats publics ont fini d’émerger des caniveaux, au pays de l’Emergence annoncée, et de migrer jusque dans les culottes, c’est-à-dire en-dessous de la ceinture, pour y prévaloir à longueur du temps et de manière hégémonique. C’est à croire que le conflit tri-décennal en Casamance n’est rien, comparé au « phénomène » de l’homosexualité au Sénégal. Et le pire, ce ne sont pas tant l’hystérie collective et la virulence de la violence subies par ces pauvres « homosexuels » que le dangereux mécanisme que l’on vient ainsi d’enclencher. Jusqu’où conduira-t-il le Pays de la terranga ?
« Je vous avais dit que je vous aurais donné de grand cœur ma bénédiction. Étant donné que beaucoup d’entre vous n’appartiennent pas à l’Église catholique, d’autres ne sont pas croyants, j’adresse de tout cœur cette bénédiction, en silence, à chacun de vous, respectant la conscience de chacun, mais sachant que chacun de vous est enfant de Dieu. Que Dieu vous bénisse. »
Ce message est celui du pape François, que l’on découvre, soudain, à l’entame de son pontificat, comme un souverain pontife faisant « vœu de tolérance », en plus de ses vœux de prêtre religieux, héritier de saint Ignace de Loyola, le fondateur de la Compagnie de Jésus. Et comme en échos à ce « vœu de tolérance », le pape François suggère, dans ses causeries sur certains sujets de société, que « Nous ne pouvons insister seulement sur les questions liées à l’avortement, au mariage homosexuel et à l’usage des méthodes contraceptives… Ce que dit l’Église sur ces sujets est très clair et je suis un fils de l’Église, mais il n’est pas nécessaire d’en parler sans arrêt. » Mieux, le pape François est persuadé que les « homosexuels ont des dons et des qualités à offrir à la communauté chrétienne ». A la communauté mondiale aussi, pourrait-on ajouter. Ce qui va l’amener à s’interroger comme suit, et sans détour : « Si une personne est homosexuelle et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger? »
En fait, le pape François veut une Eglise, ou plus globalement une Société, qui n’excommunie ou qui ne bannit point ; une Eglise, ou une Société, qui embrasse et en même temps embrase avec le feu de l’amour et de la tolérance ; c’est-à-dire, finalement, une Eglise, ou une Société, résolument adepte du « droit à la différence ». Mais un droit est un droit, même quand il est susceptible de heurter certains esprits.
Or, le « droit à la différence » tient son existence, sinon son acception intellectuelle, par la radicalité avec laquelle il exclut tout fondement existentiel au « droit à la ressemblance », entendu que nul n’est jamais fondé à avoir le droit de ressembler à autrui, ni même simplement y à songer, sauf à s’aliéner de manière absolue et définitive, si tant est que cela soit possible.
En l’occurrence, le fait de reconnaître à une personne homosexuelle, de par son orientation sexuelle, le « droit à la différence », ne saurait faire d’elle une autre personne que la personne irréductible qu’elle est. Qui plus est, le fait d’être une femme ou un homme, c’est-à-dire le genre féminin ou masculin, est non seulement un don, mais un don inné. Même dans le cas extrême d’un acte éventuellement médical, qui procéderait a priori au choix de genre pour une progéniture à venir, de toute façon, et par ce fait même, il serait nécessairement donné à l’enfant qui en naîtrait d’être du genre féminin ou masculin. A noter que, dans un tel contexte, le transgenre serait fondamentalement à inventer.
Plus généralement, autrui est notre semblable dans la mesure même où il est différent de nous, de manière radicale et irréductible. Or, pour de tas de raisons, sinon de projets de vie, certainement légitimes, autrui et moi pouvons nous unir. Mais si autrui comme femme et moi comme homme, ou inversement, entrons en union, parce que notamment nous nous aimons, la valorisation morale d’une telle union peut conduire à son institution légale et/ou religieuse en tant que mariage, ou simplement à son institution de fait en tant que concubinageou union libre, puis à sa consécration sociale incidente en tant que famille avec ou sans enfants.
En revanche, si autrui et moi sommes de même sexe, et si à la faveur de notre orientation sexuelle nous entrons en union, la valorisation morale de cette union, fondée sur notre « droit à la différence », ne peut que contraster, dans son fondement comme du point de vue de sa finalité, d’avec la valorisation morale de cette autre forme d’union, celle précisément de personnes de sexe différent. C’est qu’on ne peut revendiquer le « droit à la différence » puis, étant objectivement reconnu dans ce droit, et même simplement toléré dans son exercice, revendiquer en même temps le « droit à la ressemblance », du reste non-concevable au-delà de toutes formes de caricature. En d’autres termes, le fait que le chien et le chat sont tous deux des animaux, ne saurait autoriser à appeler un chat un chien, ni à le considérer,à plus forte raison, comme tel.
Nommer ces deux formes d’union, qui auront ainsi pris corps, distinctement, mais guère indistinctement, c’est leur donnersens. Comment dès lors ne pas les nommer distinctement ? Le « mariage homosexuel », sous ce rapport, en est-il vraiment un ?
Quand on ne veut ou ne peut donner sens à quelque chose, on s’abstient naturellement de le nommer. Cela devient alors un tabou que de le nommer, puisqu’on ne veut ou ne peut lui donner sens. Par exemple, le terme « homosexualité » n’a pas d’équivalent en joola-baïnouk chez les Joola-Baïnouk (de Brin), en Casamance, alors que, toujours à titre illustratif, l’expression « prostituée » y a son équivalent, soit « kalandoufoukh » (littéralement « pot de nuit »), devenu « éthiaga » à la faveur de la wolofisation rampante de la langue joola-baïnouk. Un jour viendra peut-être où ce tabou chez les Joola-Baïnouk sera levé. Il s’agira alors, pour cette communauté, de nommer et de donner sens à « l’homosexualité » et, éventuellement, à terme, à « l’union homosexuelle », du reste indûment appelée « mariage homosexuel » et considérée comme tel sous d’autres cieux.
Retrouvons le pape François dans ses causeries sur les sujets de société sus-évoqués et admettons bien volontiers que, tout dépendant qu’il est de l’Eglise, en sa double qualité de « fils de l’Eglise » et d’évêque de Rome, le saint Père n’en est pas moins un homme libre, un homme de son époque. Du moins apparait-il comme tel. Et, faisant « vœu de liberté » dans la mesure même de sa dépendance envers l’Eglise, François entend actualiser ce vœu qui lui est cher dans la manifestation et le déploiement pleins et entiers de son « vœu de tolérance » à l’égard de tous et de chacun, y compris surtout des plus petits et des plus faibles. Ce qui ne signifie aucunement que le pape François veuille se rebeller contre la Doctrine de l’Eglise. Loin s’en faut ! Le saint Père veut plutôt changer l’esprit avant, le cas échéant et seulement le cas échéant, de changer les institutions voire les dogmes. Il veut notamment que l’esprit chrétien, devenu libre, cesse de s’accommoder d’avec la situation de dépendance artificielle et de frustration voire de souffranceoù il s’est mis, pour s’offrir une autre situation, où il serait dorénavant, non seulement consciemment et volontairement indépendant, mais heureux.
D’aucuns y verront certainement une pensée subversive de la part de François. D’autres, s’agrippant redoutablement sur les institutions et les dogmes actuels de l’Eglise, dont ils font par ailleurs une lecture bien orientée et par conséquent intellectuellement suspecte, vont sans aucun doute s’ériger en boucliers contre la réflexion « révolutionnaire » du saint Père et peuvent ainsi constituer un danger physique pour le pape. Tous, en tout cas, continueront à ignorer superbement la présence en l’Eglise, et plus globalement dans la Société, de « celui-là même qui souffre », qui parle pour n’être point entendu d’eux, et qui va continuer quand même de vivre et d’agir. C’est du moins ma conviction.
Quoi qu’il en soit, François rappelle, ici, que l’Eglise, comme du reste la Société dans son ensemble, ne peut ni ne doit se sentir menacée ; et qu’elle ne peut ni ne doit s’estimer trop étroite pour accueillir et faire place. Bien au contraire ! Quand la Doctrine de l’Eglise, qui se fonde sur l’enseignement du Christ, nous recommande, et même nous commande, d’aimer les autres, y compris nos ennemis, comme nous-mêmes, elle nous instruit que, non seulement nous en sommes capables, mais que nous le devons, non compte tenu cependant de la volonté ou de la non-volonté ou encore de l’aptitude ou de l’inaptitude de nos ennemis à s’amender et à reconsidérer leur animosité à notre égard.
Rappelons, tout à propos, que ‘‘aimer comme soi-même’’ est un pléonasme, en ce que l’expression ‘‘comme soi-même’’ s’avère de trop, nécessairement. Toutefois, ce pléonasme se veut ici un outil de pédagogie par excellence, dans la mesure où il suggère, en substance, qu’aimer, c’est-à-dire donner et ne rien attendre en retour, à moins qu’on n’en attende exactement ce qu’on en attend quand on donne à soi-même, ne va pas de soi. De sorte que nous pouvons aimer quelqu’un qui ne nous aime pas ou qui n’en est pas conscient. Et vice versa.
En fait, il nous est donné d’aimer ou d’être aimé, l’amour étant un don. Or, nous ne nous servons pas toujours à bon escient de ce qu’il nous est donné d’aimer ou d’être aimé. C’est si vrai qu’une activiste française dit éprouver de l’amour pour les animaux du monde entier alors que, au même moment, elle se révèle littéralement incapable, et elle le reconnait elle-même, d’aimer son propre fils, tiré de ses entrailles. On apprendra peut-être un jour qu’elle n’a jamais su en réalité s’aimer elle-même. Quoi qu’il en soit, fuir des humains, voire les haïr, pour aller se réfugier dans un amour présomptif pour les animaux, est-ce vraiment aimer les animaux ?
Si donc Jésus nous demande d’aimer nos ennemis comme nous-mêmes, combien plus exigeant le Christ est-il, face au devoir pour l’Eglise, ou plus globalement pour la Société, d’accueillir en son sein, et dans la communion, entre autres, des homosexuels, des divorcés remariés et des personnes ayant fait l’expérience nécessairement douloureuse de l’avortement ?
Ainsi, donc, avec la nouvelle donne, d’aucuns en attendraient-ils une révolution de la part du pape François, tandis que le saint Père va se donner à l’Humanité, pour s’en être littéralement ouvert, au moyen de son « vœu de liberté » et de son corollaire, son « vœu de tolérance ». Or, l’enseignement de Jésus n’est-il pas déjà, en soi, LA REVOLUTION ?
Sauf que le caractère inédit de la révolution signée ‘‘Le Christ’’ a ceci de particulier sinon d’unique, en ce que, justement, elle est en mouvement constant, qu’elle transcende tous les temps et toutes les époques, et qu’elle dépasse tous les milieux (espaces et socio-cultures confondus) ; autrement dit, elle est en re-évolution, et de manière permanente, notamment quand elle s’incarne avec et dans les humains que nous sommes, qui évoluons, pour ainsi dire, tantôt en avançant, tantôt en stagnant, tantôt en reculant. Ce qui fait que cette REVOLUTION christique est aussi une révolution laïque.
Et pourtant, cet enseignement-révolution du Christ est fait pour être appris et su, puis appliqué, autant que faire se peut, tout en avançant ; c’est-à-dire en marchant, non pas sur la tête, mais sur les pieds, bien arrimés au sol, que dis-je, au Christ, ultimement couché puis porté en terre pour nous, et à cause de nos faiblesses, individuelles et collectives.LA REVOLUTION christique en est une, résolument, par le fait précisément du phénomène ultime avec et dans lequel elle s’est manifestée, définitivement.
François a-t-il jamais voulu, au regard du Message évangélique, isoler de manière autrement plus rationnelle l’héritage néotestamentaire de l’Eglise de son héritage vétérotestamentaire, si l’on sait que, dans les livres saints, des textes anciens sont bourrés de germes de l’intolérance, de la discrimination, de l’exclusion ou de la violence ? Aujourd’hui un élan, sincère et généreux, de la part du saint Père, et demain, peut-être, un acte d’émancipation d’une Eglise – ou plus globalement d’une Société mondiale – désormais libérée des contingences de son héritage ancien ? Cela mériterait en l’espèce la bénédiction de tous et de chacun.
Mon propos, ici,tout le monde l’aura certainement compris, ne s’adresse pas uniquement à la Communauté chrétienne ultra-minoritaire du Sénégal. Aussi, dès lors que je dois mon inspiration y relative à la récente levée de boucliers contre des personnes homosexuelles ou réputées telles au Sénégal, je le dédie bien volontiers, avec humilité, à tous et à chacun, sans distinction aucune, ni religieuse, ni socioculturelle.
Mais mon propos s’adressant aussi aux personnes homosexuelles, je leur dis : Soyez tolérants envers celles et ceux à qui vous demandez, à bon droit, de vous reconnaître dans votre « droit à la différence ». Comment donc ? Eh bien, en n’exigeant pas d’eux qu’ils vous reconnaissent l’on ne saurait quel droit de leur ressembler ou de les mimer ou encore de les singer, fût-ce, au travers du mariage, du reste érigé par la Société sénégalaise en tant qu’une institution sociale unissant un homme et une femme. Oui, vous qui êtes homosexuels, usez de votre « droit à la différence » et, à l’égal de vos autres semblables, de votre droit à une vie privée ; mais faites-le avec intelligence, sans triomphalisme, et dans le strict respect des lois et des us et coutumes qui fondent la Société sénégalaise.
A tous les autres, je leur dis ou leur rappelle ce qui suit : Si «Goordjiguène» signifie chez les Wolof « Homosexuel », c’est que, historiquement (c’est-à-dire, socialement, culturellement et dans sa sphère géographique propre), ce démembrement de la Société sénégalaise s’est fait le devoir, sinon l’honneur de reconnaître et d’intégrer en son sein les « personnes homosexuelles ». Mais guère de les bannir, encore moins de les soumettre, ni à la vindicte populaire, ni au jugement implacable de l’ignorance en action, ni a fortiori à la persécution. Je leur dis ou leur rappelle, au demeurant, que jamais aucune religion, fût-elle révélée, ne saurait être plus humaine que l’humanité en chacun d’entre nous, y compris donc l’humanité que recèle toute personne homosexuelle ou réputée telle.
Jean-Marie François BIAGUI
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