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Non Assistance À Enfants En Danger

Tous les jours et toutes les heures de la journée et de la nuit, nous croisons des jeunes enfants de la rue, dans la rue et à la rue de tous les âges sans que cela nous émeuve par ailleurs. Cette typologie des enfants errants en souffrance renseigne amplement sur l’ivresse dans laquelle notre pays a plongé au-delà des limites acceptables pour tanguer dans les pires incertitudes de notre avenir. Dis-moi comment tu traites tes enfants, je te dirais quelle société tu produiras. Pays de la teranga pour les autres pays de l’indifférence par rapport à ses propres enfants. Une véritable introspection s’impose à nous pour dire non à la traite et à la maltraitance des enfants au 21e siècle.

La problématique de la quête de pitance et enjeux socioéconomiques et politiques

La situation des enfants et le traitement dont ils font l’objet constituent un prisme sur leur place dans les projets de gouvernance. Un peu partout en Afrique les enfants arpentent nos rues devant notre indifférence collective ou notre addiction à les observer comme acteur de notre décor quotidien. En Afrique centrale, certains les appellent des enfants sorciers (Shegues), Talibé en Afrique de l’Ouest.

Aujourd’hui, la Protection sociale et les Conventions internationales sur la protection des enfants y compris aussi des adultes, constituent un enjeu important du point de vue de la gouvernance vertueuse et affective. En effet, le Sénégal dispose d’une source inépuisable de conventions internationales et de lois internes qu’il me plairait de mettre en perspective dans la situation précoloniale avec les migrations arabes pour le commerce, la situation coloniale et post-coloniale.

Cette situation est à mettre en relation avec l’introduction tardive de la religion musulmane avec les migrations arabes entre 1640 et 1840, seule puissance étrangère selon Vincent Montreuil, 1986.  Les premiers Daaras qui ont été créés en cette période ont précédé l’École occidentale. L’introduction de l’Islam se faisait sur le modèle du djihad pour islamiser les populations. Le film « Ceddo » d’Ousmane Sembéne en est une parfaite illustration.

La situation de 1970 à la fin des années 1990, le Sénégal a traversé́ une situation économique difficile. Les chocs pétroliers, respectivement de 1973 et de 1970, doublés d’une sécheresse persistante au cours de la même période a engendré entre autres conséquences une baisse importante des recettes d’exportation et de profonds déséquilibres intérieurs et extérieurs. La récession économique va atteindre des proportions alarmantes dans le courant des années 1980 avec les politiques d’ajustements structurels de la Banque Mondiale (BM) et du Fonds Monétaire International (FMI) [au nombre de quatre, entre 1980 et 1993], immédiatement suivis de la dévaluation du franc CFA, intervenue en 1994.  L’aggravation de la crise économique et la sécheresse a impacté sur les vastes mouvements migratoires des zones affectées vers les centres urbains avec un exode rural massif et un important phénomène de « daariasation » de l’’espace urbain et rural.

Des chiffres sans résonnance politique et de coeur

Les chiffres relatifs au recensement des enfants Talibés font l’objet de controverses du fait des enjeux politiques, sociaux, économiques et diplomatiques avec des données contradictoires et non exhaustives. Plusieurs sources d’informations et d’acteurs dans le recensement des enfants talibés selon les gouvernements.

Le recensement du Secrétariat à la promotion humaine 1967 dénombrait des enfants talibés mendiants, âgés de 6 à 14 ans, à 6.300 pour la ville de Dakar. Le recensement effectué par l’Union Nationale des Écoles Coraniques (Unec 1980,) avec un effectif des talibés au Sénégal à 60.000.

Étude Enda 2008, plus de 100 000 enfants impliqués dans la mendicité au Sénégal, 4. Save the Children Suède 2 000, l’analyse de la situation de l’enfant et de la femme effectuée révèle qu’il y aurait plus de trente-neuf mille (39.000) enfants mendiants, âgés de 0 à quatorze ans au Sénégal. Une enquête du gouvernement en 2014 révèle qu’il y aurait plus de 30 000 Talibés. Human right Watch a fait un rapport en 2019 qui a recensé plus de 100 000 enfants talibés au Sénégal.  Dans la région de Dakar, une étude du CNTLP en 2014 a recensé plus de 1006 Daaras avec 54 837 enfants talibés dont 69% de garçons (38 079) et 31% de filles (16 758), 53% pratiquent la mendicité chaque jour et 91% de ceux-ci y consacrent plus de cinq heures par jour. Tous ces chiffres périodiques et non exhaustifs ont le mérite de révéler l’ampleur du phénomène des talibés et l’adaptation de l’opinion comme vecteur pour chasser les mauvais esprits ou solliciter des prières. Les derniers recensements nous fournissent des données sur 54 000 Talibés à Dakar sans compter les 154 000 recensés dans le département de Kaolack et les chiffres constatés au niveau des villes transfrontalièreres.

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Gouvernance de la protection des enfants

Le phénomène de la mendicité des enfants de la rue a pris des proportions inquiétantes en milieu urbain pour prendre une forme singulière de traite des enfants qui varie selon qu’on soit en milieu urbain ou rural. Le cadre juridique et politique est bien en place avec :

-le Plan national d’action pour éliminer la mendicité des enfants (2013–2015) ;

– le programme concernant la réforme et la réglementation des daaras (2013) ;

– le Plan d’action national de lutte contre la traite des personnes (2012–2014) ;

– le Plan d’action national concernant la réforme légale pour l’incrimination des châtiments corporels et de toutes formes de violences faites aux enfants ;

– le Plan cadre national de lutte contre le travail des enfants 2012-2016 ;

– le projet de loi portant modernisation des daaras ;

– Cellule Nationale de Lutte contre la Traite des personnes (ministère de la Justice) ;

À cela, il faut ajouter le fait que la prise en charge des enfants est transversale avec l’implication des ministères de la Bonne gouvernance et de la protection de l’enfance, le ministère de la Femme, de la Famille et du genre, le ministère de la Santé et de l’action sociale, le ministère de la Jeunesse, le ministère en charge du Travail, le ministère de l’Intérieur, et le ministère de l’Économie, des Finances et du plan.

La coordination de toutes les interventions de protection des enfants se décline à travers le Comite intersectoriel de protection de l’enfant, le comité intersectoriel national contre le travail des enfants, le Comité technique national Mutilation génitale Féminine et le Comité de pilotage de la stratégie nationale de lutte contre les violences basées sur le genre. Le gouvernement sous le coup des injections américaines par rapport à la traite des enfants, avait décidé en juin 2016 de faire retirer les enfants talibés de la rue. Ainsi entre le 30 juin 2016 et le 26 mai 2017, 440 enfants accompagnés de leur mère dont 225 garçons et 215 filles ont été retirés de la rue, et 1145 enfants talibés dont 1131 garçons et 14 filles ont été également retire de la rue. C’est la volonté politique qui fait défaut devant la furie des lobbys du business religieux.

Les contours et détours de la traite des enfants

La mendicité des enfants est l’expression la plus achevée de la marginalité associée à la vulnérabilité. Le rituel de la mendicité en milieu urbain renvoie aux formes du paganisme avec la cola, le riz, le lait caille, les œufs, les bougies comme des offrandes. Il ne s’agit du pauvre (Miskine) qui se cache et qui reçoit des dons de personnes anonymes, c’est l’enfant prescripteur de la compassion auprès de sa pauvre mère ou envoyé par son marabout dans la rue. Leur nombre croissant pour ne pas dire leur envahissement dans les rues qui ne choque personne jure d’avec un circuit de recyclage de la pitance notamment avec la revente des morceaux de sucre, du lait, des baguettes de pains, des bougies, de la cola, des tissus, des feuilles blanches, aux boutiquiers, aux gargotières et aux vendeurs de café Touba et le transfert de l’argent au marabout.

La mendicité́ est une stratégie adaptative, une voie de survie, face à̀ des pouvoirs publics incapables d’offrir des réponses aux plus vulnérables de ses membres. Cette réalité́, que nul ne saurait nier, remet directement en cause les modes de « justice » distributive de l’État postcolonial. Plus largement encore, elle exprime le degré́ de précarisation de certaines populations dans le nouveau contexte de mondialisation. » [Sèye, 2010 : 216]

La Stratégie nationale de protection sociale (SNPS), 2014 p 41 : « Les enfants de la rue ou enfants en situation de rupture avec leur famille, constituent environ 1,3% des enfants de 6 à 18 ans (enfants sans attache familiale, enfants fugueurs, vivant d’expédients dans la rue). Ils sont plus nombreux à Saint-Louis (3,8%) ensuite à Kaolack 1,9%. À Dakar, ils représentent 0,7%, néanmoins leur nombre est plus important que dans les autres villes. Ils proviennent en majorité des régions de Diourbel, Thiès et Saint Louis, mais aussi des pays voisins (Guinée, Gambie, Mauritanie). Les orphelins ne représentent que 3% de l’effectif, 84% sont de parents divorcés. Les fugues ont souvent pour origine la maltraitance. Ces enfants sont souvent intégrés dans des bandes où la toxicomanie et les violences les guettent. L’enquête sur les enfants de la rue à Thiès et à Mbour (UNICEF, 1999) a montré que leur état nutritionnel et la fatigue physique qu’ils accumulent engendrent chez eux un fort taux de morbidité et 31,80% d’entre eux s’adonnent à l’usage de la drogue ».

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À cela il faut ajouter les sévices et abus sexuels la prostitution juvénile et les Infections sexuellement transmissibles et le VIH.

Une société en mutation avec une transfiguration de la famille

Nous avons tous grandi avec ces enfants pour les avoir côtoyés ou même s’essayer à l’exercice par le jeu et le mimétisme durant les grandes prières du vendredi et ils faisaient partie du décor de la cite. Au-delà des chiffres ces enfants dans la rue, de la rue et a la rue reflètent en partie la place de l’enfant en Afrique avec une forte obligation de rendement à l’investissement dès la naissance. À l’origine de tout système religieux se situe un homme inspiré, qui émerge du groupe et dispense un enseignement qui serait le contenu du message qu’il a reçu de la puissance tutélaire.([1] ) Le Daara se définit comme une structure ou se transmet l’éducation islamique grâce aux maîtres et aux parents.([2])   Un maître coranique disait qu’il est plus difficile pour un talibé de se voir interdit de mendier, les heures dévolues pour mendier leur petit déjeuner, et diner sont les seuls moments de distraction pour eux. . Le phénomène des talibés est perçu comme une forme d’apprentissage à l’ascétisme et à la vie; Le daara ne forme pas à des métiers, ou un rôle, mais juste à  être un croyant qui domestique son corps aux rigueurs et vicissitudes de la vie.([3]).  À l’époque les apprenants donnaient tous les mercredis, une contribution symbolique de 25F (alarba) par apprenants de l’externat pour subvenir aux besoins du maître. Nous nous retrouvons dans une situation permanente de médiation pour ne pas dire d’intermédiation divine, parce que nous sommes incapables seuls d’accéder au sacré.

La convention des droits de l’enfant qui est la charpente de toute la logique humanitaire de protection de l’enfant, considère l’enfant comme un titulaire à part entière de droits, et non comme un objet à protéger. Nous sommes dans une situation ambiguë qui consiste à croire que la mendicité fait partie de l’échange symbolique entre un riz, sucre, bougie, cola lait, en échange des prières d’un talibé qui est un abonne matinal.  Le développement urbain a laissé place à des stratégies de résilience des enfants talibés et des mendiants qui consistent à développer des stratégies marketing de la pauvreté avec des trajets cibles notamment devant les boulangeries, les banques, les guichets automatiques, les restaurants, les pâtisseries, les salons de thé. Avant ils faisaient le tour des maisons pour récupérer les restes des repas le matin, le déjeuner et le dîner et les familles ne peuvent plus fournir des restes quand la famille explose au point de vue démographique. La mendicité est ancrée dans la culture sénégalaise et marque tous les rituels de la naissance, au mariage, à l’examen, au Rendez-vous d’embauche, au baptême et à la mort. C’est impressionnant de voir dans la circulation le nombre de personnes conduisant de rutilantes voitures s’arrêter au niveau des feux rouges ou des carrefours pour remettre des sacrifices recommandés par le marabout. 

Les enjeux de la mesure d’interdiction ne se limitent pas seulement au Marabout/Parents de talibés au niveau des gains et du dividende social, mais aussi ceux qui sont censés distribuer des aumônes tous les jours.

Plusieurs hadiths du prophète PSSL n’encouragent pas la mendicité. Celui qui, malgré ses moyens suffisants, demande aux autres se présentera le jour du jugement dernier avec un visage déformé” ; où : “Que quelqu’un parmi vous aille chercher du bois à revendre vaut mieux que de tendre la main pour demander l’aumône, qu’il l’obtienne ou non” ; enfin : “Tout homme qui ne cesse de demander aux gens viendra le jour du jugement dernier avec des mâchoires décharnées”.

Il faut une approche pédagogique et des mesures d’accompagnement pérennes et ne pas verser vers des solutions qui seront contournées par les acteurs au profit de nouvelles entités souterraines. La plupart des marabouts actuels avec des talibés sont les produits du même système avec des compétences professionnelles pénibles qu’ils ont abandonnées au profit de la traite des enfants. Les plus ruses passent par le mécanisme du financement arabe avec la Zakat pour créer des mosquées et des complexes scolaires baptises franco-arabe ou on apprend que l’arabe avec un système d’internat juteux ou les élevés peuvent contribuer de 25,000 à 125,000 par mois. La zone de Keur Maassar, Niacourab, Keur Mbaye Fall, Sangalkam sont réputés entre le nouvel eldorado des nouveaux prêcheurs de la classe moyenne avec des moyens motorisés (4X4 flambants neufs et un harem de femmes). Il faut reprendre Vuarin qui définit 4 pôles du système de protection sociale en Afrique à savoir (la sécurité sociale, politique sociale) le marché (Assurance, tontine) le la société civile (système populaire d’entre aide, solidarité familiale, parenté) et la religion (Charité) ; [4].

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Cette forme de mendicité structurée autour des Daaras diffère de celle des familles de la sous-région avec des handicaps, des familles entières émigrent vers le Sénégal du fait de la prégnance de la mendicité et des revenus importants génères par la mendicité. La cartographie des rues de Dakar révèle un découpage thématique selon les types de handicaps moteurs, sociaux produits de l’exode rural massif bordant des rues ou des restaurants fast-food et les boulangeries pour faire le marketing de la pauvreté avec un enfant a bas âge sur le dos ou a cote de leur siège. Les territoires sont pris en fonction du potentiel de trafic humain commercial. L’hôtel des députes, l’hôtel Terranga, Centre culturel français, les restaurants, les gargotes, les boulangeries/pâtisseries, les gares routières, les hôpitaux, les marchés Sandaga, Tilene sont autant de lieux symboliques pour que les enfants talibés interpellent votre conscience humaine.

Au-delà des aspects émotionnels que le phénomène de la mendicité soulève, il est important que cela soit une opportunité pour la déconstruction de l’imaginaire des Sénégalais sur la place et la trajectoire de l’éducation de l’enfant ; Il est courant que les parents reçoivent des injonctions de leur famille pour les obliger à ce qu’on appelait le confiage des enfants. Il s’agit d’un phénomène familial en Afrique, qui consiste à transférer la prise en charge des enfants par d’autres consanguins que leurs géniteurs. (…) [C’est un] trait important de l’organisation des rapports entre parents et alliés. » [Lallemand, 1980 : 19]

L’agence Nationale de la statistique et de la Démographie du Sénégal a publié l’enquête sur la pauvreté et structure familiale (Epsf) qui révèle que la distribution des ménages selon le milieu de résidence fait apparaître qu’«il y a 14,3% d’enfants confiés à Dakar, contre 18,1% dans les autres villes. Et dans le milieu rural, ils sont 16% contre 84%.  Ce qui fait un total de 22,2% contre 77,8%. Ces confiages qui procèdent de la même logique que les enfants talibés sont justifiés par les parents à travers la scolarisation avec 26,4% pour Dakar, 22,4 pour les autres villes et 18,8% en milieu rural. L’autre raison phare, c’est la situation difficile dans le ménage qui fait qu’à Dakar, on a 12,3%, 12,2% pour les autres villes et 5,1% en milieu rural. À côté de ces prétextes, il y a la raison pour étudier le Coran avec 13,1% à Dakar, 8,2% pour les autres villes et 31% en milieu rural.

Aujourd’hui, c’est important de changer de paradigme en insistant sur la nécessité de développer une véritable politique de protection sociale de la famille avec un   programme d’éducation à la parente pour les jeunes en insistant sur les droits des enfants en vue de renforcer la souveraineté des droits des enfants, la responsabilité des parents, et la culture Citoyenne. Les normes de la ruralité en crise qui font de la mendicité des enfants comme un rite de passage de la migration en milieu urbain doivent être revisitées pour avoir un filet social adapte et généreux pour l’enfance. Le Sénégal constitue un Eldorado de la mendicité au niveau de la sous-région et abrite une multitude d’acteurs, pas seulement des mendiants, mais aussi des travailleurs migrants saisonniers (Navetane) dont le phénomène remonte même à la période précoloniale, coloniale et postcoloniale comme trajectoire de vie et de circularité des forces de travail. Mais nous devons tout faire pour mieux organiser cette solidarité disparate sans effet sur les leviers de la transformation sociale nécessaire sur de nouvelles valeurs positives.

apouye@

[1] Professeur Assane Sylla , le fait religieux , Actes du collogue philosophie et religion , Universite de Dakar, 7-8 juin 1982, NEA

[2] Mbacke K,  1994 Daaras et droits de l’enfant, IFAN

[3] Gandolfi S L’enseignement islamique en Afrique noire «  cahiers d’etudes africaines,vol XLIII , N°1,2,PP,261-277, 2003

[4]     Varin R , 1990, «  l’enjeu de la misère pour l’islam Sénégalais » Tiers monde t 31 ,n° 123, PP.600-621







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