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La Mort Du Capitaine Miki…

On est toujours dans une partie du royaume de mon enfance, les Sicap. Cette fois, à la Sicap Rue 10 ou Sicap Serigne Cheikh, du nom de l’illustre Marabout Mouride, à qui le Président Senghor avait demandé de lui construire ce quartier et une partie de la Sicap Baobabs.

La Sicap Rue 10 a une particularité. Ses rues sont numérotées en wolof. Vous avez la rue ‘’Dara’’, c’est-à-dire zéro, la rue ‘’Benn’’, pour dire Rue 1 et ainsi de suite jusqu’à la rue diourom benn. Il y a les grandes rues qui la traversent de part en part, partant de Grand-Dakar vers le Point E, qui portent des noms alphabétiques. La première intersection, après ‘’Diakay Peul fouta’’, en venant de la Sicap Baobabs, porte le nom de la rue A, la seconde, juste, en face du Yukokaï, est la rue B, là, où se trouve le ‘’Thiossane’’ est la rue C.

La rue ‘’Dara’’ se prolonge de l’autre côté de la grande avenue, c’est pourquoi, le quartier qui est en face du Casino (Printania, à l’époque) s’appelle ‘’ Dara bis’’. La Sicap Rue 10 était un quartier très animé du point de vue culturel. C’est le quartier de la famille Faye, ces musiciens que tout le monde connaît ( Adama, Habib, Lamine, Vieux Mac etc…), Ibou Cissé de Youssou Ndour. Jacob Devarieux est issu de là-bas et Souche Diop, grand animateur de Coladéras à l’époque. Cheikh Anta Diop aussi, y a habité ou une partie de sa famille. Il venait fréquemment là-bas.

A l’époque, là, où se trouve le ‘’Thiossane’’, se trouvait d’abord, un terrain vague occupé par des menuisiers, des lingères, des gens des petits métiers et quelques baraques de bonnes. Puis, le propriétaire, un toubab, du nom de Beghin, y installa une usine de produits désinfectants et plus tard, y bâtit le complexe qui s’y trouve toujours.

Parmi les premiers occupants de cette place, un menuisier du nom de Abdou Diagne. C’était un homme costaud râblé et fort, noir comme du charbon, qui louchait. De temps en temps, lors des ‘’Mbapatts’’ de Boy Bambara, il créait quelques surprises. Il n’avait pas toute sa tête, comme on dit. Il n’était pas un génie du bois, mais il savait faire des bancs et quelques menus meubles et vivait tranquille de ça. Sa passion, malgré le fait qu’il ne savait ni lire ou écrire en Français, c’étaient les bandes dessinées. Son héros : Le Capitaine Miki. A chaque fois que je revenais du marché de Tilène où j’allais échanger ou acheter des BD, je passais toujours lui en prêter. Contrairement à certains, il en prenait grand soin et me les rendaient toujours.

Abdou, quand il n’avait pas un banc à faire, était toujours plongé dans ce magnifique monde de la BD. Il remuait la tête de temps en temps, sursautait ou approuvait les aventures du copain de Susy. Il respectait aussi Tex Willer. Un jour, pour étayer son propos sur la dangerosité de la consommation de l’alcool, il me dit que Tex Willer avait frappé le Président, quand il avait vu qu’on avait donné de ‘’l’eau de feu’’ à ses navajos. Il me montra l’image. En effet, on y voyait Tex Willer, renverser la table du gouverneur, et effectivement, se plaignait de l’alcool que les Blancs déversaient dans les réserves.

Abdou était dans son monde, avec son idole, le Capitaine Miki, quand des jeunes, dont je tairai les noms, qui habitaient le quartier, qui le connaissaient, lui et sa passion, vinrent lui annoncer la mort de Miki le Ranger. Ce fut comme si on avait annoncé à Abdou Diagne, la fin de son monde.

Les jeunes-là, avaient l’habitude de se regrouper devant une maison. C’était leur grand –place, pendant les vacances et les jours fériés. Abdou ferma son petit atelier, mit son boubou, et se rendit, là, où il supposait que s’il y a deuil, les gens y iraient. C’est -à- dire, là, où se regroupent nos lascars. Abdou vint effectivement, la mine triste et l’envie d’en savoir un peu plus sur les circonstances de la mort de son héros. Il posa des questions, auxquelles répondirent quelques téméraires. Mais, au fur à mesure, le groupe se dégarnissait. L’affaire pouvait se compliquer. On ne sait jamais avec un demi-fou. Surtout, une force de la nature comme Abdou.

L’affaire se compliqua même. Chaque jour, maintenant, Abdou désertait son atelier et venait aux nouvelles. Qui avait tué le Capitaine Miki ? N’était-ce pas le grand bandit-là qu’il avait fait arrêter ? C’était quand le jour de l’enterrement ? Est-ce qu’on ne pourrait pas lui lire le Coran ?

Finalement, il fut presque impossible d’apercevoir un seul de ces jeunes dans la rue. Tout le monde redoutait que Abdou sût la vérité. Certains poltrons allèrent même chez leurs grands-parents.

L’affaire arriva aux oreilles des parents, et il fut décidé d’élaborer une stratégie pour sortir de cette dangereuse situation. Après mille subterfuges et astuces, on fit comprendre à Abdou, que c’était une fausse rumeur, que Miki était en vie et continuait ses aventures. On lui offrit même la dernière sortie de Névada, et il fut convaincu.

La dernière fois que j’ai revu Abdou Diagne, c’était il y peut-être 25 ans. Dès qu’il me vit, alors que nous étions restés au moins 10 ans sans nous voir, il commença à me parler du Capitaine Miki.

Cette fois, il se plaignait de plus pouvoir le voir. Peut-être « qu’il était mort » me dit-il.

Ouf !

 

ALIOUNE NDAO

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