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Légitimation Scientifique Du Reniement De Macky Sall : Ismaïla Madior Fall Entre Despotisme éclairé Et Ambiguïté

Légitimation Scientifique Du Reniement De Macky Sall : Ismaïla Madior Fall Entre Despotisme éclairé Et Ambiguïté

 

«Né citoyen d’un Etat libre, et membre du souverain, quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d’y voter suffit pour m’imposer le devoir de m’en instruire.» Rousseau

Ismaïla Madior Fall est un bel esprit, peut-être même un des plus brillants esprits de notre pays aujourd’hui. L’homme est d’une perspicacité intellectuelle et d’une rigueur universellement admirées. Sa dernière production en réponse à l’argumentaire du Pr Serigne Diop sur le caractère non contraignant de l’avis du Conseil constitutionnel est à tout point de vue un exemple de démarche argumentative. Ce­pendant, malgré son désir d’être objectif et presque infaillible comme un mathématicien, le Pr peine à convaincre et suscite la suspicion, au moins sur trois points de son texte.

1. Le Professeur commence son texte par des précautions et mises en gardes inhabituelles dans la démarche d’un scientifique. : «Tout le monde peut parler de santé, mais seuls les médecins peuvent parler de médecine. Tout le monde peut parler de mines, mais seuls les géologues peuvent parler de géologie. Tout le monde peut parler de Constitution, mais seuls les constitutionnalistes (c’est-à-dire ceux qui ont passé leurs diplômes post-universitaires dans cette discipline, été responsables de l’enseignement de la matière à l’Université et ayant fait des publications reconnues sur celle-ci) peuvent parler, avec l’autorité scientifique appropriée, de droit constitutionnel, dans sa triple acception de droit des normes, droit des institutions et droit des libertés fondamentales.»

Remarque : On pourrait soupçonner ici le scientifique de faire preuve d’obscurantisme scientifique en vou­lant d’office écarter «le profane» de questions certes scientifiques, mais ayant des enjeux politiques incommensurables aux paradigmes scientifiques. Si la démo­cratie devait se fixer à des certitudes scientifiques, ce serait à coup sûr la perte de la souveraineté populaire et l’asser­vissement politique du non scientifique. Nous estimons qu’au contraire c’est le propre de la société ouverte que de reconnaître à tout homme, pourvu qu’il soit doué de raison, le droit de délibérer sur les questions impactant sur le destin de sa société. Il faut, au demeurant, faire la différence entre la science et l’application de la science. Les scientifiques peuvent théoriser, découvrir et inventer ce qu’ils veulent, mais ils ne pourront jamais exclure les profanes du débat relatif aux implications sociales et morales de leurs théories.

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2. Le professeur poursuit son argumentaire par un ton quasi sentencieux : «Evidemment, tous les juristes ont la liberté de parler de droit constitutionnel, mais la parole des spécialistes (et non des constitutionnalistes, terme galvaudé dans notre pays) est censée, présumée avoir plus d’autorité que celle des non spécialistes. Quelle que soit la passion politique, cette vérité élémentaire doit être admise. Sinon, cela ne sert plus à rien de passer des décennies de sa vie à se spécialiser dans un domaine scientifique. Et les spécialisations n’auraient plus aucun intérêt.»

Remarque : c’est vrai que la science doit par nature prendre ses distances par rapport à l’opinion, qui est la base de l’engagement politique toujours partisan, mais la science (pour parodier Kant) ne pourra jamais faire un pas avant d’avoir «rendu hommage à l’opinion» dont la rectification et la dissipation sont parfois le point de départ de la recherche scientifique. Veuil­lez donc nous laisser la liberté d’errer sur le droit, car c’est l’âme même de notre vie sociale. Les bredouillements citoyens sur le droit sont, à notre avis, précieux pour la survie et le perfectionnement de la démocratie, car très souvent le droit est la formalisation des aspirations du Peuples. Et pour dire encore un mot sur la rigueur éthérée de la science, il faut rappeler que même dans les sciences expérimentales, la théorie s’ajuste sur la pratique si elle ne s’en inspire pas tout bonnement. Est-il nécessaire à ce propos de rappeler que ce sont les observations expérimentales ou plutôt les intuitions empiriques de Fa­raday qui ont été la source d’inspiration de Maxwell ? Les formules mathématiques de ce dernier n’auraient jamais été possibles sans les intuitions de Faraday puisqu’elles ne font que formaliser celles-ci. Nous vous saurions donc gré, professeur, de bien vouloir pardonner aux citoyens de se mêler des affaires de science, car leurs atermoiements pourraient bien être source d’inspiration pour le droit. Avis ou décision du Conseil constitutionnel : ce qui importe en dernière instance c’est ce que veut le Peuple, pourvu que cela ne l’aliène pas en tant que Peuple.

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3. Dans son avis sur l’avis de Serigne Diop, le professeur Is­maïla Madior Fall affirme ceci : «Le Conseil constitutionnel du Sénégal ne rend pas d’avis, mais des décisions. Le constituant et la loi organique n’ont pas prévu des cas dans lesquels le Conseil rend des actes dits avis et d’autres dits décisions. Les deux textes pré­voient que le Conseil rend ex­clusivement des décisions.»

Remarque : Au regard d’un tel raisonnement comment faudra-t-il désormais lire le texte du professeur intitulé «La révision de la Constitution au Sénégal», notamment ce passage : «L’ar­gument selon lequel la procédure est valable parce qu’avalisée par le Conseil constitutionnel à travers un avis est, à notre sens, irrecevable pour deux raisons au moins : d’abord, il s’agit juste d’un avis (avec tout ce que cela implique en droit) qui ne peut autoriser, interdire ou couvrir une irrégularité ; ensuite, le Conseil constitutionnel aurait même donné un avis qui dépasse le champ de ses compétences. En effet, il est bien habilité à donner un avis lorsqu’il s’agit de la soumission au Peuple d’un simple ’’projet de loi’’ ressortissant de la matière législative ordinaire, et non d’un texte relevant de la matière constitutionnelle. Evi­demment, la facilité a simplement consisté à dire, en l’occurrence, que Constitution et loi sont synonymes. C’est ce que la juridiction constitutionnelle a fait. Saisi par le président de la République par lettre en date du 3 novembre 2000, conformément à l’article 46 de la Cons­titution, le Conseil a estimé que «considérant que, l’article 46 de la Constitution dispose que le président de la Ré­publique peut, sur proposition du Premier ministre et après avoir consulté les présidents des Assemblées et recueilli l’avis du Conseil constitutionnel, soumettre tout projet de loi au référendum (…) que le président de la République tient de cette disposition constitutionnelle le droit d’initiative au ré­férendum sans distinction entre la matière constitutionnelle et la matière législative ordinaire» est d’avis «que le président de la Ré­publique peut, sur proposition du Premier ministre et après avoir consulté les présidents de l’As­semblée nationale et du Sénat, soumettre au référendum le projet de Constitution ?»

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Le vrai problème est que Monsieur Macky Sall avait et a encore (sans aucun risque) les moyens de respecter sa pro­messe de faire cinq ans. Qu’un Président suive la volonté de son Peuple n’a rien d’hérétique par rapport au rigorisme juridique. Nous pensons, en ce qui nous concerne, que le pire ennemi de la démocratie, ce n’est ni le mensonge distillé à outrance sous forme de propagande tacite ou expresse, ni même le fascisme. Ce sont plutôt les certitudes scientifiques qui sont le pire ennemi de la démocratie, car par leur nature paradigmatique, elles excluent le Peuple de ce qui fait l’essence même de la démocratie, à savoir la délibération permanente et radicale.

 

Alassane K. KITANE

Professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

La révision de la Constitution au Sénégal, Par Ismaila Madior Fall, pp. 20-21

 

Alassane K. KITANE

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