Depuis trois années la recherche pétrolière et gazière dans le bassin sédimentaire sénégalais à le vent en poupe. Les dix-sept blocs existants et mis sous contrat commencent à nourrir des espoirs légitimes, ceux de Sangomar Offshore profond et Geumbeul confirment d’importantes découvertes de classe mondiale. En annonçant la dernière découverte de gaz par Kosmos et Petrosen le Président Macky Sall invitait à la réflexion pour l’intérêt supérieur du Sénégal en exhortant, « le Gouvernement a mettre en place un environnement propice à l’exploitation à la valorisation et à l’optimisation des impacts socioéconomiques du Pétrole et du Gaz en termes de création d’emplois, de mise en œuvre d’infrastructures, et de développement de compétences de niveau international ». Ainsi il conviât à une réflexion consensuelle pour le management de ces ressources selon un modèle économique sénégalais pour atteindre l’émergence. Ma contribution d’aujourd’hui remet au goût du jour l’ensemble des propositions que j’ai eu à faire sur le pétrole et le gaz depuis bientôt deux années ceci dans le cadre d’interviews et des forums internationaux (réf.Sallon International de l’Energie, Conférence Cop21 à Paris, Forum 1er Emploi du Medes, etc.). Ainsi cette contribution tente d’analyser les expériences de certains pétro-Etats avec leurs succès et leurs échecs afin de proposer des pistes de réflexion au futur modèle sénégalais.
Le Nigéria
Ce Pays produit 2,55 millions de barils /jour et 2milliards de tonnes de gaz naturel, ces richesses alimentent 80% du budget de ce grand pays de près de 200 millions d’habitants et il dispose encore de 50 ans de réserves exploitables.
Les constats relevés dans le modèle nigérian sont les suivants:
– le vol du pétrole ceci représente près de 20% de la production donc près de 500 000 barils /jour dont les 150 000 sont raffinés clandestinement et les produits dérivés revendus dans les pays limitrophes, 350 000 barils/jour destinés à la revente sur le plan international par une contrebande bien organisée.
– l’insécurité fiscale : la loi sur la réforme du secteur est attendue et la pression fiscale devrait baisser de 94% à 86% avec une exigence de paiement de royalties de 20%, avec la suppression du crédit d’impôt de 50% par un « flat » fixe de 5 dollars USD par baril.
Les subventions sur le secteur sont une nébuleuse qui empêchent l’émergence de raffineries locales capables de faire face à la demande de produits dérivés du pays .
– l’insécurité dans la zone du Delta du Niger ou sévit une crise identitaire en plus du phénomène Boko Haram. Récemment beaucoup de Majors ont fermé leur puits, et ont quitté le pays.
-La gestion népotique des revenus : avec l’arrivée du Président Bouhari une nouvelle ère de gouvernance s’amorce avec l’opération « mains propres », car après près d’un demi siècle d’exploitation pétrolière 60% de la population vit en deçà du seuil de pauvreté.
Le Tchad
Ce Pays fait partie des derniers pétro-Etats en Afrique ceci depuis 2003 après près de 30 années d’exploration de son bassin sédimentaire on shore, il produit près de 200 000 barils/jour et achemine sa production par un pipeline souterrain de 1 050 kms passant sur le territoire camerounais jusqu’au port de Kibriau. Les revenus pétroliers ont boosté le budget du pays qui est passé de 300 milliards CFA en 2004 à 1800 milliards CFA en 2013. La mise en place de la loi sur les revenus pétroliers a créé le Comité de Contrôle et de Surveillance des Revenus. Ce dernier fixe la répartition des revenus au niveau des secteurs prioritaires.
Les constats relevés dans le modèle tchadien sont les suivants:
– Malgré la loi précitée il y’a une opacité totale dans la gestion des revenus, la Banque Mondiale a quitté le projet à cause du manque d’engagement du gouvernement à affecter les revenus nécessaires à la lutte contre la pauvreté.
– Les multiples controverses sur les contrats entre l’Etat et les Majors : sur la fiscalité, le comptage de la production, les modes de rémunération des acteurs.
– Les énormes dégâts sur l’environnement
– La loi sur les revenus ne concerne que les champs pétroliers de Doha. Les nouveaux champs ne sont pas encore visés, le comité de contrôle des revenus n’a pas les moyens de son indépendance vis à vis de l’Etat ses avis restent consultatifs.
– Les multiples tensions militaires et ethniques qui menacent l’équilibre politique du Tchad.
L’Angola
Après quatre décennies de guerre l’économie du pays reprend grâce aux revenus du secteur des hydrocarbures et des mines ceci depuis 2002, la production pétrolière avoisine 2 millions barils/jour et le pays possède un sous-sol très riche en minerais stratégiques comme l’uranium le cobalt, le manganèse. L’Angola réalise de très grands taux de croissance 24% en 2007 et 16% en 2010. Le fonds souverain angolais est doté à hauteur de 5000 milliards de francs CFA dont les 50% servent aux investissements publics dans les secteurs prioritaires et les autres 50% sont placés sur le marché financier et obligataire local et international.
En 2013 le gouvernement angolais a adopté la loi imposant le règlement de toutes les transactions pétrolières en monnaie locale. Cette décision hautement patriotique permet de faire profiter à l’économie locale et aux banques des énormes flux générés par le secteur pétrolier estimés à 7000 milliards de franc CFA annuellement. Avant cette loi les transactions étaient faites à l’étranger en dollars.
Les constats relevés dans le modèle angolais sont:
– La vulnérabilité économique est très grande le budget est alimente à près de 80% par les revenus du secteur des mines et du pétrole, les chocs exogènes comme la baisse du prix du baril impactent négativement sur l’économie. Le « syndrome hollandais « affecte l’économie du pays depuis la chute du prix du brut .
– L’Angola possède un déficit en infrastructures sociales et économiques qui freine le développement social du pays. L’endettement est modéré tout en restant soutenable cependant il demeure quand même très important surtout qu’il est adossé sur la mise en gage de ressources futures avec des prêts chinois et brésiliens.
– 35% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté
– Une loi organique prévoit de régler le problème de la commande publique objet de népotisme et prévoit de régler la mise en concession des blocs pétroliers, gaziers et miniers.
Le Gabon
Sa production est autour de 240 000 barils/jour et le pays dispose d’un sous-sol extrêmement riche en plus de forêts aux essences diverses. Le pays engage une nouvelle ère de gouvernance du secteur pétrolier en votant la dernière loi sur les hydrocarbures avec des innovations majeures dans la gestion des ressources cela fut possible grâce à l’implication de la société civile, des acteurs politiques et des Bailleurs de Fonds autour d’un dialogue consensuel pour l’intérêt supérieur du Gabon.
Les constats relevés dans le modèle gabonais restent les suivants :
– Plus de 3 décennies de népotisme dans la gestion des hydrocarbures avec des scandales répétitifs incluant la classe politique et les Majors (affaires Elf & FranceAfrique)
– Nouvelle volonté politique de meilleure gouvernance du secteur, la nouvelle loi intègre deux nouveaux cadres consultatifs sur le contrôle des revenus et la gestion des prix des hydrocarbures, elle donne aussi beaucoup plus de pouvoirs au régulateur du secteur.
– 35% de la population vit en deçà du seuil de pauvreté le déficit en infrastructures sociales est criard.
– Le pays reste encore un État rentier qui tire plus de 70% de ses recettes sur les hydrocarbures, les mines et la forêt, sans vision très claire sur l’après pétrole.
Guinée Équatoriale
Elle est devenue un pétro-Etat en 1996 et produit près de 400 000 barils/jour avec d’importantes réserves en gaz naturel liquéfié et de méthanol de classe mondiale. Cette manne pétrolière à multiplie par 10 le produit intérieur brut du pays et par 30 le pouvoir d’achat des équato-guinéens. Le pays dispose d’impressionnantes infrastructures dans le domaine routier, sanitaire et social.
Les constats relevés dans le modèle économique équato-guinéen sont les suivants :
– Le népotisme dans la gestion des revenus : forte implication de l’ethnie du Président dans les affaires (Biens mal Acquis en France avec le fils du Président)
-Vulnérabilité démocratique la succession du Président âgé de 75 ans est déjà ouverte sur fond d’incertitude. Il existe deux postes de vice-président gère l’un par l’actuel premier Ministre et l’autre par le fils du Chef de l’Etat.
– Manque de diversification de l’économie: l’agriculture, la pêche et la pisciculture et le raffinage sont négligés, aucune stratégie politique n’est définie pour l’ère après pétrole.
– Risques migratoires accrus les travailleurs qualifiés viennent de la sous-région
– La nouvelle loi sur les hydrocarbures est timide et résulte plutôt de la pression des bailleurs de fonds sur le régime que d’une réelle volonté politique de bonne gouvernance. Elle ne définit pas précisément les pouvoirs de l’autorité de régulation sur le contrôle et la répartition des revenus pétroliers.
La Norvège
Elle est devenue un Pétro-Etat depuis 1960 suite aux importantes découvertes de pétrole et de gaz dans les bassins sédimentaires de la mer Du Nord, de la mer de Barrent, et de l’arctique, sa production avoisine 2 millions barils/jour. Elle possède deux raffineries dont 30% des produits dérivés alimentent le pays et le reste est exporté. Au plan continental ce pays possède les premières réserves mondiales de charbon. Le référendum de 1972 a défini les dispositions constitutionnelles à mettre en œuvre dans la gestion des revenus tirés des hydrocarbures. Le fonds souverain norvégien fût mis en place avec comme objectif de collecter les revenus des hydrocarbures et de réaliser des placements financiers à l’international pour les générations futures. Ce fonds norvégien est aujourd’hui le premier fonds souverain au monde il pèse cinq cent mille milliards de francs CFA et détient 2% de la capitalisation boursière mondiale devant les fonds arabes et asiatiques.
Les constats relevés dans le modèle Norvégien restent les suivants :
– Grande démocratie parlementaire même si le régime est une monarchie constitutionnelle dirigée par le roi de Norvège et chef de l’Église Luthérienne, il symbolise l’unité nationale et nomme les membres du Gouvernement qui doit avoir le vote de confiance du parlement norvégien.
– Les autres secteurs de l’économie comme l’agriculture, la pêche, les industries, les services, sont valorisés et ils contribuent fortement à la croissance du pays.
-Malgré qu’en Europe et dans le monde la Norvège est un exemple de la bénédiction du pétrole et du gaz dans un contexte d’un Etat pétro-Ethique, il n’en demeure pas moins l’existence de quelques points faibles dans la gestion du fonds souverain par exemple le choix des courtiers de placement des fonds.
A l’exception de l’absence de vitalité démocratique le modèle norvégien ressemble aux modèles arabes (Arabie Saoudite, Koweït, Quatar, Dubai..). Les modèles Africains, mis à part quelques exceptions de réalisations sociales et dans les infrastructures comme en Guinée Équatoriale, sont le plus souvent des exemples de malédiction du pétrole.
Le Sénégal
Depuis l’année dernière notre pays est devenu un pétro-Etat à cause des découvertes confirmées de pétrole et de gaz de classe mondiale.
Même si l’exploitation est attendue à l’horizon 2020. Dans l’état actuel des simulations il est encore trop tôt pour définir la courbe de production journalière, il y a quand même urgence de créer un cadre de dialogue consensuel pour réussir le pari de la bénédiction du pétrole.
Notre Pays est donc à la croisée des chemins : entre rester dans les méandres de la pauvreté et de l’endettement ou aller vers l’émergence économique et sociale en optimisant la manne financière du pétrole et du gaz.
L’analyse de la réglementation actuelle du secteur des hydrocarbures sénégalais ainsi que l’analyse des modèles économiques décrits ci-dessus nous permettent de proposer des pistes de réflexion sur un modèle sénégalais capable de générer un environnement propice à l’exploitation de ces ressources pour le développement de notre pays.
Les dix principales mesures et actions à prendre sont les suivantes :
Le renforcement du système démocratique sénégalais: la nouvelle constitution reste un premier jalon.
Créer un ministère des Hydrocarbures avec de fortes prérogatives sur le secteur en amont et en aval.
Étendre les compétences du régulateur actuel aux hydrocarbures en diversifiant les membres du conseil d’administration aux acteurs pétroliers et à la société civile.
Renforcer les compétences de Petrosen dans les négociations des permis d’exploration, de contrôle et d’exploitation
Créer par voie légale un comité de suivi des Contrats d’exploration et d’exploitation composé de l’Etat de la société civile des acteurs pétroliers, des bailleurs, des représentants des Partis politiques, des familles religieuses, des Représentants de la presse et des représentants de l’enseignement.
Créer par voie légale un comité de suivi et d’affection des revenus tirés du pétrole, du gaz et des mines dont la composition est identique à celle du comité de suivi des contrats .
Renforcer les prérogatives légales du fonds souverain sénégalais le Fonsis en lui permettant de gérer et d’optimiser les revenus tirés du pétrole, du gaz et des mines tout en modifiant son conseil d’administration en y intégrant les membres des comités de suivi des contrats et de répartition des revenus. Ce fonds ne devrait en aucun cas tomber sous le contrôle majoritaire d’opérateurs privés même sénégalais.
Renforcer les capacités financières du fonds de garantie Fongip et la banque Bnde pour mieux financer l’auto-entreprenariat surtout dans les métiers codifiés dans le secteur des hydrocarbures et les autres secteurs de l’économie comme l’agriculture, la pêche, l’apiculture, les transports etc.
Créer de nouvelles filières de formation dans les matières du pétrole, du gaz et des mines dans les programmes des Ecoles de Formation et des Universités.
Finaliser le dossier Sénégal l’initiative de la transparence sur les industries extractives ce qui imposera aux majors et à l’Etat de déclarer les revenus tirés du pétrole, du gaz et des mines .
Les dispositions énumérées nécessitent une refondation totale du code pétrolier et une retouche du dernier code minier de 2004.
Pour réussir le pari pétrolier sénégalais le prix à payer passera par ce dialogue consensuel sans exclusive sur les options à retenir.
Ainsi le génie de notre peuple nous garantira la bénédiction du pétrole.
Modibo Diop
Ingénieur Polytechnicien, ancien Auditeur du Ceds De Paris, Expert-consultant international en Energie, Eau et Infrastructures, Ex-DG Aser et Ex C.T DG Senelec./Senegal