Par décret n° 2016 – 306 du 29 février, le président de la République a publié le projet de loi portant révision de la Constitution après celui convoquant le référendum pour le 20 mars 2016. A la suite de cette publication, de nombreux acteurs de l’arène politique et de la société civile avaient vivement exprimé leur souhait pour le report de la date du référendum afin de mener une large concertation devant déboucher sur des consensus forts, gage de la stabilité, de la sécurité et de la paix sociale au Sénégal.
Malgré ce fort souhait, le président de la République a préféré maintenir sa décision unilatérale pour l’organisation du référendum à la date échue. Pis, le président de la République a affiché un mépris total face à des milliers de Sénégalais qui sont tous animés par le respect des règles du jeu démocratique pour la consolidation de l’Etat de droit et l’exercice plein et entier des droits et libertés consacrés par la Constitution nationale.
Face un tel mépris, de nombreux citoyens sénégalais qui, hier comme aujourd’hui, œuvrent pour le respect de la souveraineté du Peuple se sont ainsi constitués en plusieurs Fronts du Non afin de mener un combat farouche permettant d’asseoir les bases d’une démocratie majeure et apaisée, ainsi que celles d’un Etat de droit reflétant le niveau d’évolution de notre pays longtemps considéré comme une vitrine de la démocratie et un havre de paix dans une Afrique secouée par de profondes crises.
En plus de ce mépris dont sont l’objet de nombreux citoyens sénégalais, il convient de noter l’arrogance avec laquelle les partisans du régime politique actuel tentent de justifier ce qu’il convient de qualifier de parjure, à savoir le renoncement du président de la République à son engagement moral devant le Peuple sénégalais et la communauté internationale après trois ans et demi de suspens.
Non seulement le président de la République a renoncé à son engagement moral en se barricadant derrière l’avis du Conseil constitutionnel non contraignant qu’il a transformé en décision dudit Conseil pour manipuler l’opinion publique, force est encore de constater que le projet de réformes constitutionnelles qu’il soumet à l’appréciation du Peuple sénégalais souffre de beaucoup d’ambiguïtés. Parmi celles-ci, il faut noter le manque de clarté et de concision dans le projet de réformes constitutionnelles du président de la République qui contient des pièges dont le plus évident est la possibilité qu’il donne à Monsieur Macky Sall de faire un éventuel troisième mandat à partir de 2024. Il s’agit là d’un véritable danger pour les institutions de la République, la démocratie et l’Etat de droit qui fonctionnent sur les principes de la primauté du droit, le respect des droits humains et de la bonne gouvernance.
C’est la même posture qu’avait prise le Président Abdoulaye Wade qui avait dit qu’il ne pouvait pas briguer un troisième mandat et qui est revenu sur sa décision en 2011 pour se dédire, ce qui a abouti à la naissance du Mouvement du 23 juin 2011 qui a été au premier plan du combat contre un troisième mandat.
Par ailleurs, le projet de réformes constitutionnelles proposé par le président de la République est en deçà des conclusions et recommandations de la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri) qui a été commanditée par Monsieur Macky Sall lui-même avec à sa tête le Pr. Amadou Moctar Mbow.
Les travaux de la Cnri qui sont des consultations citoyennes à travers tout le Sénégal ont abouti à des conclusions et recommandations pertinentes et plus importantes du point de vue des avancées démocratiques, de la consolidation de l’Etat de droit, du respect des droits humains et de la bonne gouvernance, à savoir :
– le renforcement de l’indépendance de la justice à travers la réforme du Conseil supérieur de la Magistrature, de sorte que le président de la République et le ministre de la Justice ne seront plus respectivement président et vice-président dudit Conseil ;
– le remplacement du Conseil constitutionnel dont les 5 juges sont nommés par le président de la République par une Cour constitutionnelle plus indépendante et dont les décisions seront exécutoires ;
– la démission du président de la République de son parti dès son accession à la Magistrature suprême pour éviter qu’il soit l’otage de sa propre formation politique ;
– la rationalisation des partis politiques avec l’adoption du statut du chef de l’opposition et le financement des partis pour une égalité de chances entre ces derniers lors des compétitions électorales ;
– le recentrage de l’Etat autour de ses missions régaliennes ;
– la consolidation de l’Etat de droit et de la démocratie ainsi que le renforcement et la protection des libertés publiques ;
– l’équilibre des pouvoirs entre l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire ;
– l’approfondissement de la démocratie représentative et participative ;
– le renforcement de la décentralisation et de la déconcentration ;
– la territorialisation des politiques publiques ;
– la promotion et la protection des valeurs positives de la société sénégalaise ;
– la promotion de la bonne gouvernance, de la transparence et de l’éthique dans la gestion des affaires publiques ainsi que la culture de l’imputabilité ;
Le renforcement de la cohésion sociale et de la stabilité institutionnelle, etc.
Au regard de ce qui précède, on se rend compte que le projet de réformes constitutionnelles du président de la République constitue non seulement un leurre, mais aussi le fait de renoncer à la parole donnée est une gageure ayant occasionné une vague spontanée d’indignations des acteurs et citoyens de tous bords qui œuvrent par la défense de la République en danger.
C’est la raison pour laquelle, à mon humble avis et intime conviction, la responsabilité des partis politiques qui aspirent à l’exercice du pouvoir, ainsi que celle des organisations de défense des droits humains et de la société patriotique est de s’opposer énergiquement à toute tentative de confiscation de la souveraineté du Peuple à travers des actions d’information et de sensibilisation afin d’exhorter les citoyens encore indécis, ou qui seraient tentés par le boycott du référendum, parce qu’étant meurtris par l’ampleur de la déception ou pour quelque raison que ce soit, à voter Non, car l’abstention, tout comme l’inaction, ne peut que servir la cause de ceux qui les ont trahis.
Il s’agit là d’un appel pressant à tous les citoyens sénégalais en âge de voter et inscrits sur le fichier électoral pour qu’ils se mobilisent comme jamais auparavant et aillent voter Non, afin de contribuer à l’écriture de l’histoire de leur Peuple et de barrer le chemin à tous ceux qui, hier comme aujourd’hui, ne voient la Constitution du Sénégal que comme un outil au service de leurs intérêts personnels.
Ce sont là autant de raisons qui nous ont motivé à rédiger cette contribution pour montrer que les énormes efforts consentis par le Peuple sénégalais pour faire de l’éthique et de la morale des normes structurantes de la vie politique, économique et sociale ne doivent pas être vains. En effet, lorsque dans un Etat de droit et une République démocratique le chef de l’Etat qui est la clé de voûte des institutions essaye par des subterfuges de manipuler la conscience des citoyens pour faire passer des intentions visant à confisquer la souveraineté du Peuple, il est de la responsabilité historique de tous les démocrates et patriotes de dire Non pour ne pas faillir à leur mission fondamentale.
Par M. Aboubacry MBODJI
Socio-anthropologue