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La Fiction Pour Le Non : L’instituteur Monsieur Diop , Ses écoliers Et La Maladie Du « E ».

La Fiction Pour Le Non : L’instituteur Monsieur Diop , Ses écoliers Et La Maladie Du « E ».

Bonjour les enfants.

Alors vous savez bien que tous les enseignants sont en grève mais je suis venu aujourd’hui pour un cours qui ne peut pas attendre. Alors on parlera « du foie » et de «  la foi ».

« Le foie », mes écoliers, est une volumineuse glande annexe du tube digestif, aux fonctions multiples et complexes de synthèse et de transformation de diverses substances.

Mais soulignons tout de même, et c’est ce qui m’intéresse que « le foie » est un morceau très convoité comme alimentation. Quand nous abattons les animaux pour des besoins d’alimentation, nous faisons tout pour se tailler la part du foie. Avez-vous une fois vu, ou goûté du foie. Oui …Moustapha.

« Monsieur, le foie est très délicieux, durant la tabaski mes grands frères en grille énormément autour du fourneau. On l’utilise aussi dans les sandwichs. Bouba en vend au fonds de la rue. Il nous en donne des morceaux souvent, il dit que c’est riche en protéines ».

Merci mon cher bien dit.

Alors passons à « la foi ». Là il s’agit, mes petits, de l’adhésion à un idéal qui nous dépasse, d’une croyance à une cause, à une religion ou même à une chose. Pensez à la foi que vous avez en la grandeur et la noblesse de votre pays, de votre nation, de votre ville, de votre village, de votre maison, de cette belle école qui est notre. La foi que vous avez en votre équipe de football, en votre lutteur, en vous- mêmes…euh, même à votre prophète, soit-il Jésus, Muhammad, Moise, et évidemment à votre Dieu….Vous comprenez.

Alors vouloir manger du foie est un désir, un instinct à satisfaire, tandis qu’avoir de la foi c’est se hisser à un certain niveau psychologique, moral et intellectuel.

Tout d’un coup, Mamadou s’écrie: « euh, Monsieur, c’est simple quand j’écris « le foie » je pense à un mets délicieux et quand je vois « la foi » je pense à cette conviction inébranlable que les braves résistants sénégalais avaient en notre possibilité d’accéder à l’indépendance et à devenir une si belle nation ».

Génial Mamadou, alors, allez-vous les confondre dans le futur. « NON dit la classe en chœur ».

Soudain le petit Niagass leva la main. « Monsieur, j’ai entendu qu’un grand homme, il parait qu’il habite à la grande capitale, là-bas à Dakar les a confondus. J’en ai entendu parler hier, ce n’était pas clair, mon père en parlait à un de ses amis ».

Oh, pauvre Niagass, c’est comme tu m’avais lu….

C’est pour cela que tous les enseignants ont arrêté aujourd’hui la grève pour sauver cette jeunesse que vous êtes.

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Les politiques nous taxent de nuls et d’incompétents tout le temps. Voyez ce qu’ils font avec nos mots qu’ils empruntent chaque jour de façon très imprudente.

C’est une longue histoire mes chers pour en revenir à ton Monsieur de Dakar.

Mais retenez quand même que c’était une erreur banale, grave dans ce pays de Senghor qui prenait des décrets sur la précision de l’orthographe, de la grammaire et même du vocabulaire « républicains ». Ce fin grammairien, qui était convaincu que le bon usage de la langue était une nécessité pour la République et garantissait son prestige et son aura.

Il est vrai, que l’argument d’une faute de frappe a été avancé. Certains aussi disent : «  ben…écoutez, soyez un peu indulgent l’erreur est humaine ». Mais la réalité est tout autre.

D’un ton grave, Aissata s’empressa : « excusez-moi d’aller plus loin, Monsieur Diop. On sait tous que dans tous les pays qui se respectent, les décrets, notes de services et toute autre information qui quitte le sommet de l’Etat doivent passer par un long chemin de relecture, d’ajustement et d’examen minutieux. Mon grand frère qui est à l’université nous dit que c’est plus de 1000 agents qui s’occupent de tout ce qui est communication, image ou autre qui touchent aux institutions, à l’autorité et à l’Etat. Comment est-ce possible qu’on parle de faute de frappe, d’inattention….L’Etat, la vie de notre nation, c’est sacré…. ».

Khalifa de l’autre côté tente d’emboiter le pas.  «  J’ai entendu ma tante dire qu’ils ont tout fait en se précipitant, elle ne cesse de parler de temps court, ces histoires de… ».

Les enfants, votre intelligence d’aujourd’hui me surprend. Vous écoutez les discussions de vos aînés… On dirait que vous apprenez mieux hors des classes. La vérité est qu’ils se sont font du tort à eux-mêmes. Freud nous apprend qu’aucune faute, erreur, ou lapsus n’est commis gratuitement. Certains ont lu le fond du message, comme nous les enseignants, dont la profession est aujourd’hui dépréciée. Alors, nous allons montrer la fonction cruciale que nous remplissons dans ce pays. En réalité, ces gens qui ont conçu ces affiches sont obsédés par un but. Ils  désirent ardemment conquérir….

« Oui, en  réalité, entonne subitement Idrissa. Excusez-moi Monsieur si je vous coupe en plein raisonnement. Je pense avoir lu dans un vieux livre à la maison des idées de ce genre. Cela n’a jamais été clair à mon esprit. Papa n’aime pas qu’on s’approche de ce livre, et je le lis souvent à la dérobée, il s’intitule «  damne de la terre »…ou quelque chose comme ça. Un jour j’y ai a lu des lignes mémorables, et bizarrement, ces mots, depuis, me reviennent très souvent. Dans un passage, il est dit : « ces dirigeants ont soif, ils ont faim. Ils sont obsédés par le pouvoir, l’autorité, la force ». Je me demande en fin de compte si ces gens n’ont pas faim au point de vouloir griller du foie ».

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Enfin, Ndaanaan, tu y es, ils ont beaucoup pensé à se régaler, à déguster, à manger….Ils ont mis « une foie » à la place de « une foi ». Mais je vous dis, ils n’en gouteront pas. Regardez bien, « une foie », écrit comme tel, n’existe pas. C’est un problème de « e ». Soit on l’enlève dans le « une » dans « une foie » et là c’est correct, il s’agit du foie qu’on mange. Soit on soustrait le « e » de foie dans « une foie » et là aussi c’est cohérent, car c’est la foi de la croyance. Alors quand on a un problème de « e » on est victime d’une maladie d’hésitation, de tergiversation, de manque de confiance en soi. Toutes les personnes que vous entendez dire « euh, euh, euh » dans leurs discours ont la maladie du « e » car c’est le même son « euh ». Donc « e » est égale à « euh ». La maladie du « e » ronge le sommet de l’Etat mes amis.

C’est tellement grave, ridicule et amusant. Il y’a en vérité « un foie » et « une foi ». Alors ils rêvent d’une chose qui n’existe pas à vrai dire vous vous rendez compte ! Rappeler vous de l’exercice de vos ainés de la classe de troisième du collège qui viennent souvent travailler ici, qu’on avait trouvé sur le tableau et où il était écrit : « vouloir, rêver d’une chose qui n’existe pas relève de l’utopie ». Or mes amis, l’utopie n’a jamais réussi…

En réalité mon ami Idrissa, l’ouvrage s’appelle Les Damnés de la terre. L’auteur Frantz Fanon, y critique de manière virulente nos élites et les politiques dans des pays comme le nôtre. Ces gens dont le seul mobile est d’occuper les instances….

En fait pour eux, le pouvoir c’est le manger et la dégustation qu’il faut restreindre entre leurs mains. L’affiche ne pourrait se concevoir autrement. Voyez….Alors on va voter. Voter NON. Les enfants ! Refuser de perdre le bien et le goût de la langue, du travail soigné, de l’organisation, la méthode, de la finesse et de l’élégance.

D’un ton calme, Oumy pris la parole. Nous ne sommes pas en âge de voter. Je dirais cependant à Maman, Papa, et tout le monde de choisir le « NON ». On va corriger ce dérapage. Si c’est une faute, qu’ils ne vous critiquent plus Monsieur Diop. Si c’est une erreur de frappe, ou de l’empressement, la prochaine fois, ils vont visionner des milliers de fois les affiches afin de les parvenir à la grande masse. Lors de notre kermesse, vous ne cessiez de nous demander de faire attention sur le contenu de nos lettres, affiches et flyers. On s’était occupé soigneusement de tout cela. Nous, de simples écoliers ! Eux alors ? N’est-ce pas que l’image parle comme la langue. Si on doit remuer mille fois la langue, je pense qu’il faut visionner deux mille fois, à mon humble avis.

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Parfait mes amis, avant de vous libérer, je tiens à vous montrer cette affiche dont on a tant parlé et qui fait l’objet de tous les commérages. En voici un exemplaire pour vous rassurer des faits évoqués. Une fillette assise dans la première rangée s’écrie ensuite : « Cela me fait mal, que notre république soit « représentée » ainsi. On devait être attentif, notre pays a eu comme premier président, un académicien, le poète Senghor, qui ne tolérait pas la moindre incohérence même si politiquement il était l’objet d’acerbes critiques. Tiens, mais je ne vois pas le NON Monsieur, est-ce encore mes yeux comme je porte des lunettes ? ».

Ah Mame Boy sursauta l’enseignant, rassures-toi, ta vision est la même que celle que nous possédons sur cette affiche. N’en veux pas à tes lunettes…. Alors, j’allais oublier, il s’agit d’une injustice, d’un parti-pris. Ils l’ont fait sciemment. Alors, rappelez-vous des conseils de ce grand Madiba. Il disait que dans un exercice pédagogique, la chose la plus frappante, quand il s’agit de choisir, est sans doute le nid du piège. Quand c’est trop frappant, ça devient trop facile. La facilité est la piscine des paresseux.  Qu’on ne tombe pas dans le piège du OUI! Parlez-en à la maison. Le « OUI » est d’une portée plus que frappante et facile à déceler, voilà le piège. Dans les problèmes pratiques que nous donnons les solutions sont toujours cachés, jamais évidentes. Vous choisissez ce qui saute à l’œil et vous faussez la première opération dont dépend le reste du raisonnement. Le « NON » qui est la richesse est presque invisible, ils le cachent. Ils ne veulent pas qu’on le choisisse,  allons le chercher.

Mais une chose afin…Notre mot d’ordre est toujours maintenu. Nous nous sommes sacrifiés pour vous mettre en lumière ces absurdités aujourd’hui car c’était inacceptable. Et surtout, parlez-en à la maison.

 

Ameth Diallo

Doctorant Etudes Anglaises

Université Gaston Berger

Saint Louis du Sénégal

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