Le référendum du 20 mars 2016 a vécu et les électeurs n’ont pas été des «électueurs» comme l’avaient espéré les partisans du Non. Ils ont reçu un uppercut électoral et c’est fort heureux, pour notre démocratie, qu’ils n’aient pas été mis K.-O. Ainsi certains d’entre eux auront l’endurance pour résister encore jusqu’aux prochaines élections, celles-là pour lesquelles ils auraient dû ménager leurs forces et leurs finances. En tout cas, à l’issue du référendum du dimanche passé, les citoyens qui se sont rendus aux urnes n’ont ni renversé la table ni cassé la vaisselle, comme en rêvaient les «Nonistes» dont le tracé électoral hypnotique avait épousé tout sauf le trajet et la trajectoire d’un combat référendaire. On ne les a pas entendus ou bien on les a peu entendus sur les 15 points saillants de la réforme, objet du référendum. Par contre, les «Nonistes» se sont bruyamment signalés sur deux terrains.
Sur le premier terrain, ils ont voulu vaille que vaille donner au référendum les contours et les pourtours d’une élection présidentielle avant l’heure. Tout dans leur campagne renvoyait à une obsession : emprunter un raccourci pour abréger le pouvoir du Président Macky Sall. Or, comme disait Aleksandr Sergueïevitch Pouchkine, «ce qui convient à Londres est prématuré à Moscou». Ils se sont mis dans les plumages d’hirondelles électorales qui feraient vite le printemps politique. Hélas, ils se sont gourés de saison. Ils se sont trompés de pennage et de printemps.
Il y a aussi ces marqueurs aux allures d’une campagne présidentielle. Parmi ces marqueurs, le discours des «Nonistes» qui, au lieu d’être centré sur les points de la réforme constitutionnelle, ne serait-ce que pour en démontrer la vacuité, s’est géométriquement figé sur la personne du Président Macky Sall et sur le bilan de son mandat qui, pourtant, -et ce qui leur a donné plus de démangeaisons ayant musclé leur rhétorique-, court désormais jusqu’en 2019. On aura donc beau essayer d’entrer dans la logique des partisans du Non, de leur lexique politique, scanner leurs slogans de campagne, on n’y débusque qu’un seul message : «Il faut que le Président dégage !» Et tous leurs supports de communication ont servi de défouloir anti-Macky. Ils avaient préparé un cercueil et des clous pour enterrer un mandat que le Peuple, au nom duquel ils proclament agir, a confié en location au chef de l’Etat pour sept ans avant de le remettre en jeu en 2019, cette fois-ci pour un quinquennat. D’où leur convocation, en cas de la victoire du Non, de la démission du Président Macky Sall. Et les «ñanibañnaïstes» de faire référence au Général de Gaulle ! Kafkaïen ! Beaucoup d’entre eux se sont fait les chantres enflammés de cette vulgate. Ils ont clamé qu’en cas de victoire du Non, le Président Macky Sall devait en tirer les conséquences et démissionner. En ce qui concerne les conséquences qu’eux devraient tirer de la victoire du Oui, ils ont opté pour l’édredon du mutisme. La responsabilité à géométrie variable !
Séances et scènes de délires
Le second terrain aura été le plus désopilant. En effet, la campagne des «Nonistes» s’est résumée à surfer sur l’émotion dans sa version monstrueuse, à produire l’invective et à cultiver l’infamie. Elle a tourné, chez eux, en une sorte de rente de l’indécence. Ils ont partout et en tout réduit ce qui devrait être une confrontation d’idées et de visions en séances et scènes de délires sur l’homosexualité dont ils soupçonnent qu’elle est, disent-ils, entre les lignes de la réforme relative aux nouveaux droits. Or, le 4e point du projet de révision de la Constitution est clairement libellé ainsi : «La reconnaissance de nouveaux droits aux citoyens : droit à un environnement sain, sur leurs ressources naturelles et leur patrimoine foncier.» Point ! Il faut être daltonien ou magicien pour soupçonner dans ce libellé une moindre allusion à l’homosexualité. A moins d’être dans le délire refoulé de son moi. Au secours, psychés !
Certains contempteurs du Oui, dans leur bilan d’épiciers électoraux, ont comparé les référendums antérieurs à celui du 20 mars 2016 pour dire que ce dernier a été le plus impopulaire. D’abord, les adeptes des comparaisons furtives et non argumentées font sciemment l’impasse sur un fait : jamais une campagne référendaire n’a autant charrié du sordide et de l’indécence. Les référendums sous les Présidents Senghor, Diouf et Wade ne s’étaient pas heurtés à une opposition aussi farouche d’une classe politique que le référendum du 20 mars 2016. Et c’est tronquer l’histoire que de dire que les référendums précédents ont fait l’objet d’un large consensus et d’une appropriation des citoyens, alors même que la maturité citoyenne à l’époque, est loin de celle que le Sénégal connaît actuellement. Autrefois, c’était tout au plus dans un «entre-soi» politique.
La campagne des «Nonistes» a été un furieux colportage de médisances. Or, ainsi que l’écrivait Antoine de Rivarol, «la médisance parle du mal dont elle n’est pas sûre, elle se tait prudemment sur le bien qu’elle sait». Aux médisances se sont ajoutés les mensonges. Concernant les mensonges, dans le champ politique, Jacques Julliard y distingue «trois espèces : ceux qui sont inévitables. Ceux qui sont utiles. Ceux qui sont désastreux». L’opposition avait manifestement choisi la dernière espèce.
Au résultat, les faux-semblants, les faux-fuyants, les insinuations pernicieuses, les haines cuites et recuites n’ont pu avoir raison de la perspicacité des citoyens sénégalais. A ceux-là, les hommes politiques ont intérêt à prêter plus, sinon autant d’intelligence qu’eux. Ils ont, au-delà des bruits politico-médiatiques, du bon sens qu’ils ont, à chaque élection, traduit, dans les urnes. Et ainsi barbeler les projets qui tentent d’embastiller leur liberté, d’accomplir en toute responsabilité, dans la solitude de l’isoloir, leur devoir citoyen.
A l’issue des résultats provisoires marqués par la victoire du Oui, certains partisans du Non, qui s’accommodent décidément du paradoxe et de la contradiction, ont revendiqué on ne sait quelle victoire au prétexte que le fort taux d’abstention signifie un rejet des réformes proposées. Ces abstentionnistes, affirment-ils sans frémir, leur appartiennent. Diantre, pourquoi donc ces gens-là sont allés aux urnes et ont fait campagne pour le non ? Pourquoi ils se sont abîmés à faire le bilan du Président Macky Sall ? Pour que les électeurs ne votent pas en masse en leur faveur ? Ne sont-ils pas donc supposés mobiliser les électeurs pour voter en faveur de leur projet électoral ? On aurait compris que les partisans du Non revendiquent les abstentionnistes dans leur escarcelle électorale, s’ils avaient choisi le boycott du scrutin. Mais y participer, battre campagne et aller aux urnes pour seulement après la défaite s’adjuger de l’abstention, «la plus sonore des opinions», avouez que c’est une manière de se moquer des Sénégalais et de ne pas respecter ses propres électeurs. M’enfin, quand une défaite est un «pleurnichoir», on y entend les plus incongrus gémissements.
A boire et à manger dans l’abstention
On se demande d’ailleurs sur quel baromètre et sur quels paramètres s’appuient les marchands de certitudes pour mettre les abstentionnistes dans la balance des «Nonistes». Il y a certainement à boire et à manger, à juger et à jauger, à peser et à soupeser dans ce que renferme le taux des abstentions. Désaffection des politiciens, brouillage et brouillard sur les 15 points de la réforme, perception faible des enjeux, frustrations sociales, insatisfaction ou tout simplement indifférence envers un scrutin qui ne revêt aucun caractère obligatoire, etc. La panoplie des causes est si variée qu’il est imprudent d’abattre des certitudes difficiles de valider scientifiquement.
Une chose demeure : la classe politique, toutes tendances et nuances confondues, doit avoir le courage de se remettre profondément en question en prenant notamment en compte le bon sens du citoyen sénégalais suffisamment mature à l’épreuve d’une longue pratique démocratique et électorale, sanctionnée par deux alternances exemplaires. Dimanche, à l’issue du scrutin référendaire, les citoyens ont fait descendre de leur promontoire les candidats précoces à la Présidentielle, mais aussi les arrogances nauséeuses émergeant du côté du pouvoir.
Au Pds, principale force de l’opposition dont Me Wade vient de revendiquer le statut de chef, les résultats du référendum dessinent un avenir qui ne peut plus continuer à se statufier dans une geôle ou dans une résidence en France. Il ne peut continuer à vivre à partir d’une télécommande activée depuis Rebeuss ou par les mains crépusculaires à Versailles. Le «bougisme» de l’équipe qui le conduit, depuis sa défaite, ne suffit plus, a fait ses preuves face aux différentes épreuves alors que le Pds compte de vaillants intellectuels et militants capables d’être les enfants de l’aube. Encore faut-il que ceux qui incarnent la relève sachent prendre leur destin politique en mains en installant enfin les fossiles politiques dans des hamacs.
Pour le camp présidentiel, des leçons courageuses doivent être tirées sans complaisance au regard des résultats du scrutin référendaire. Au-delà de la victoire, il faut pénétrer dans l’intelligence de ces résultats, lire et bien lire la nouvelle cartographie électorale et les messages, y compris et surtout des partisans du Non. Ils ne sont ni quantité négligeable ni quantité à négliger. Quoi que l’on puisse dire ou penser, ceux-là représentent un échantillon significatif des citoyens sénégalais dont tous ne sont pas forcément des éléments organiques de partis.
Le référendum a vécu. Au travail, loin des flatulences verbales ! Pour le reste, méditons ces sages propos de Victor Hugo : «La vérité est une et n’a pas de rayon divergent ; elle n’a qu’un synonyme, la justice. Il n’y a pas deux lumières, il n’y en a qu’une, la raison. Il n’y a pas deux façons d’être honnête, sensé et vrai. Le rayon qui est dans l’Iliade est identique à la clarté qui est dans le dictionnaire philosophique. Cet incorruptible rayon traverse les siècles avec la droiture de la flèche et la pureté de l’aurore. Ce rayon triomphera de la nuit, c’est-à-dire de l’antagonisme et de la haine.»
Soro DIOP