En tant qu’ensemble de règles et de principes qui régissent les actes et les comportements d’un groupe ou d’une collectivité, la discipline est non seulement la marque d’un peuple civilisé, mais elle constitue surtout une condition sine qua non de tout développement.
A contrario, l’indiscipline en plus du fait qu’elle sape les fondements d’une émergence possible, elle constitue surtout un des symptômes d’une société alitée, corrompue, déclinante et en manque de leadership.
Quelque nombriliste ou chauviniste que le peuple sénégalais puisse être, il faut tout de même qu’il admette que le Sénégal souffre d’une indiscipline criarde qui frise l’insouciance voire la pathologie. Si notre quotidien est rythmé par des drames macabres causés par des actes d’incivismes notoires, c’est non seulement parce que nos concitoyens se sont enlisés dans un laxisme maladif, mais surtout du fait que les instances politiques et administratives censées impulser la cadence disciplinaire ont failli à leur mission de gestion rigoureuse des affaires publiques. On semble ne prendre rien au sérieux dans notre pays, tout est banalisé, négligé, justifié par une prétendue ‘’volonté divine ‘’au point que des actes d’une extrême gravité tels qu’enfreindre le code de la route, détourner l’argent du contribuable, violer systématiquement les mesures élémentaires de construction, polluer l’espace public entre autres sont à peine réprimandés et délestés de la responsabilité humaine.
C’est à croire que l’indiscipline est culturelle pour ne pas dire cultuelle, car elle est tellement ancrée dans nos actions et nos comportements qu’elle apparaît même comme un phénomène normal à tel enseigne qu’un piéton puisse traverser l’autoroute sans broncher, qu’un automobiliste puisse circuler à vive allure en sens interdit sans s’alarmer, qu’un fonctionnaire puisse arriver en retard ou s’absenter sans s’inquiéter, qu’un marchand puisse occuper l’espace public illégalement avec assurance, que des activités religieuses ou sociales soient organisées sur la voie publique anarchiquement sans choquer , qu’un médecin abandonne ses obligations professionnelles au profit de ses intérêts privés violant le serment d’Hippocrate , que des enseignants soient devenus des adeptes de grèves cycliques au mépris de leurs missions pédagogiques et de l’avenir de leurs élèves tout en continuant à percevoir leurs salaires , que des administrateurs et des gestionnaires des deniers publics puissent détourner l’argent du contribuable sans conséquences , que des entreprises choisissent délibérément de ne pas s’acquitter de leurs obligations fiscales impunément, que des députés puissent se donner en spectacle à l’Assemblée nationale sans aucune sanction, que des hommes politiques et des ministres soient cités dans des scandales sans aucunes mesures disciplinaires. Bref, la liste des ‘’incivismes’’ est loin d’être exhaustive mais ses conséquences sont dramatiques tant d’un point de vue sociale, politique, qu’économique.
L’indiscipline contribue à aliéner la mentalité d’un peuple dans la mesure où elle cultive l’irresponsabilité ou le sentiment d’impunité et elle encourage la persistance de comportements laxistes consécutifs à une absence d’éducation civique ou à une violation outrancière des règles. Elle exprime surtout le sentiment d’un peuple en rupture avec la citoyenneté ou chacun met ses intérêts privés au dessus de ceux de la collectivité. En vérité, l’indiscipline remet en cause profondément l’idée même de République au sens de ‘’Respublica’’ ou de la chose publique du fait de sa propension à mépriser les lois communes aux profits de désirs purement égoïstes.
C’est ce qui explique pourquoi des étudiants vandalisent les biens communs oubliant qu’ils sont le fruit de l’effort collectif pour revendiquer ‘’’leurs droits’’, que des supporters mettent à sac les infrastructures sportives et agressent de pauvres innocents pour exprimer leurs frustrations, que des adeptes de confréries religieuses tympanisent leurs voisinages par des chants religieux improvisés , que des marchands ambulants et des travailleurs informels squattent les lieux publics sous prétexte qu’ils doivent nourrir leurs familles en ignorant pourtant qu’ils vampirisent l’économie et tordent le coup à la légalité, que des citoyens assainissent leurs demeures et salissent l’espace commun sans se rendre compte que la pollution affectera gravement leurs qualités de vie.
Dans le champ politique, l’indiscipline sévit si sévèrement qu’elle a généré non seulement une profusion de formations politiques; mais elle a contribué à briser les liens idéologiques des camarades et frères d’un même parti politique favorisant une transhumance débridée et opportuniste brouillant ainsi les repères programmatiques des partis de sorte qu’ un militant d’obédience libérale est capable de cheminer avec un socialiste , un communiste ou trotskyste de ‘’souche’’ .
L’indiscipline est telle que n’importe qui peut occuper une fonction au dessus de ses qualifications, s’arroger des prérogatives qui ne sont pas les siennes à l’image de ses usurpateurs des médias ou de ses arrivistes de la communication qui, par un tintamarre insoutenable et une vulgarité immonde, vicient l’espace publique.
Les statuts et les rôles sont tellement déréglés au Sénégal que ceux qui sont censés incarner la société civile semblent être de connivence avec le pouvoir en place ; les religieux naguère faiseurs de rois veulent de leur part s’installer au trône. Ce qui est d’autant plus intolérable, c’est que les autorités politiques, administratives et religieuses qui sont en principe garant de l’ordre et de faire régner par la force de la loi ou par la rigueur morale la discipline sont loin d’être irréprochables d’un point disciplinaire tellement leurs actes et leurs propos sont aux antipodes de l’orthodoxie républicaine ou de l’éthique religieuse. Pour cause, l’argent du contribuable est dilapidé à tout bout de champ dans des futilités du genre arène nationale ou dans des cérémonies prétendument religieuses apparentées à des soirées folkloriques alors que des supers priorités dans les domaines de la santé, de l’éducation, des infrastructures et de l’agriculture sont rangées aux calandres grecques.
Autant dire que l’indiscipline sous toutes ses formes sociales, environnementales, économiques, religieuses, politiques constitue un véritable frein à l’essor de notre pays, car non seulement elle fragilise le sentiment national en fractionnant notre ’’volonté de vie commune’’ en d’épars intérêts personnels, mais elle anéantit tous les efforts de développement.
Dés lors, il convient de rétablir la discipline d’abord au niveau individuel, puis au niveau collectif par le moyen d’une éducation à la citoyenneté en amenant chaque membre de la collectivité à comprendre que sa survie ne peut se réaliser ou s’accomplir que par et dans les respects des lois de la République.
Ceux qui sont réticents à se soumettre à la rigueur de la discipline par le biais de la pédagogie civique devront être contraints par l’autorité souveraine par l’usage de la force légale à se plier scrupuleusement au respect des règles communes. Mais, ce qui est sans doute le plus important pour discipliner nos compatriotes, c’est la présence d’un leader charismatique et patriote capable de taire ses penchants partisans, ses désirs personnels pour se mettre au service des intérêts suprêmes du pays sans ce cela l’émergence sera une amére illusion.
Ciré Aw
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