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Quel Sens Donner Au Haut Conseil Des Collectivites Territoriales ?

L’article 6 du projet de loi portant révision de la Constitution a placé le fameux Haut Conseil des Collectivités Territoriales parmi les «institutions de la République» et l’article 66-1, inséré dans un Titre VI bis du projet, l’a qualifié d’«assemblée consultative» en renvoyant à une loi organique le soin de déterminer « le mode de désignation, le nombre et le titre de ses membres, ainsi que les conditions d’organisation et de fonctionnement de l’institution».

Selon des informations publiées dans la presse, un avant-projet de loi organique, fixant également les missions de l’institution et les indemnités des futurs «conseillers territoriaux», serait en circulation dans différentes administrations. A la lecture de la composition et de l’organisation projetées pour ce Haut Conseil, force est de constater que nous revenons à la formule du Sénat du Président Wade, jadis décrié, avec la proposition de 120 «conseillers territoriaux», dont 80 représentants des autorités locales, élus au scrutin départemental indirect et 40 membres nommés par le président de la République. Il est en outre envisagé le paiement à ces conseillers d’indemnités mensuelles, cumulées avec des indemnités de session, ainsi que la mise sur pied d’instances et structures pléthoriques (Assemblée plénière ; Bureau ; Conférence des présidents ; Commissions, Services administratifs ; etc.).

Il convient de rappeler pourtant, que tout en reconnaissant – il y a plus d’un an – l’opportunité de la création d’un tel Haut Conseil, pour autant qu’il s’appellerait Haut Conseil « des collectivités territoriales » et non Haut Conseil « des collectivités locales » et qu’il aurait pour vocation de fédérer les orientations et actions des entités territoriales et locales, ainsi que d’assurer une mutualisation des approches et des ressources, il avait été souligné qu’il n’était pas indiqué de l’ériger en «institution de la République».

Le choix d’une institution de la République ayant été acté par l’adoption référendaire du projet de loi constitutionnelle, contre l’avis de bon nombre d’analystes, d’observateurs et d’acteurs politiques, dont certains n’y voyaient qu’une volonté de créer un « Sénat bis», la Plateforme « AVENIR, Senegaal bi ñu bëgg» pense qu’il ne devrait pas être question, cependant, de faire supporter par le budget de l’Etat des dépenses de structures et de personnel autres que celles liées à un éventuel secrétariat permanent, en optant à cet égard pour une configuration plus réaliste et plus rationnelle, où cet organe serait exclusivement composé de représentants des autorités territoriales – maires, présidents de conseil départemental, mais aussi gouverneurs et/ou responsables des pôles-territoires, élus es-qualité et/ou désignés. Ces membres disposant déjà de rémunérations dans le cadre de leurs mandats et fonctions respectifs, notre Plateforme est ainsi d’avis qu’il faudrait, tout au plus, envisager l’octroi en leur faveur d’indemnités de session et non d’émoluments mensuels, pour éviter de faire de ce Haut Conseil une entité «budgétivore» de plus.

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En tout état de cause, le pouvoir actuel ne peut pas ne pas savoir que l’érection d’une nouvelle institution de la nature de celle proposée dans ce projet de loi organique n’est absolument pas une réponse aux besoins du pays. Le fait que ce Haut Conseil ait été érigé en une institution de la République n’implique pas qu’il doive, ipso facto, disposer des mêmes structures et modalités de fonctionnement que d’autres institutions de la République, telles que le Conseil Economique, Social et Environnemental ou l’Assemblée nationale, par exemple. Aussi, une organisation matricielle, placée sous le sceau de la simplicité et de la flexibilité et reposant sur quelques commissions sectorielles permanentes, renforcées en tant que de besoin par des comités ad hoc, transversaux et ponctuels, devrait-elle pouvoir suffire, en sus de la mise en place d’un bureau élu et d’un éventuel secrétariat permanent.

C’est pourquoi nous pensons que la configuration pressentie pour ce Haut Conseil n’est pas indiquée et que le président de la République devrait se convaincre, s’il veut effectivement promouvoir «une gouvernance sobre et vertueuse», que l’objectif de doter les collectivités territoriales d’un espace de concertation devrait être concilié avec celui de réduire le train de vie de l’Etat, en optant pour une simplification de l’organisation et du fonctionnement des structures de l’Etat, plutôt que pour la création d’organes aussi gigantesques que celui là. La preuve, si besoin en était, c’est que la disparition du Sénat n’a nullement constitué un vide dans le ressenti des Sénégalais.

A moins qu’il ne s’agisse, comme on a pu l’entendre dire, d’une « simple stratégie destinée à caser une clientèle politique», à travers les 40 postes réservés à sa nomination et les 80 postes qui seront libérés au sein des exécutifs locaux par les futurs membres de ce Haut Conseil ?…

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Sur un autre plan, dans la mesure où ce Haut Conseil est conçu comme une assemblée consultative d’impulsion et de suivi de la réforme territoriale et locale, avec pour missions de créer et/ou de renforcer les mécanismes de coordination nécessaires à la gouvernance à la base, une clarification s’impose en ce qui concerne ses missions et celles de la «Commission Nationale du Dialogue des Territoires» récemment créée.

En effet, aux termes de l’avant-projet de loi organique, le Haut Conseil devrait «donner un avis sur toute politique relative à la décentralisation et au développement territorial, concourir à la concertation et au dialogue entre l’Etat et les collectivités territoriales, promouvoir le développement des collectivités territoriales et le bon fonctionnement de leurs organes, etc.». D’un autre côté, au regard des dispositions du décret de création de la Commission Nationale du Dialogue des Territoires (à savoir le décret n° 2015-1970 du 21 décembre 2015), celle-ci a pour objet « d’assister le Président de la République dans la définition de mécanismes de coopération territoriale, d’accompagner le gouvernement dans la promotion des groupements d’intérêt communautaire, d’aider les collectivités locales à la mise en place de groupements d’intérêt communal et d’établissements publics territoriaux, de faciliter la constitution de groupements territoriaux ou pôles territoires et les relations gouvernement collectivités locales d’une part et d’autre part entre collectivités locales afin d’améliorer la concertation entre différents acteurs territoriaux».

L’on peut ainsi relever une confusion née d’une utilisation sans distinction de l’acception «collectivités territoriales», ce qui risque d’être à l’origine d’empiètements. Dans les deux textes – l’avant-projet de loi organique, comme le décret relatif à la Commission nationale – l’expression «collectivités territoriales» est utilisée indifféremment à l’égard : d’une part, des collectivités locales (conseils départementaux et communes), qui, en tant qu’entités décentralisées, sont des collectivités administrées librement par des assemblées délibérantes élues au suffrage universel direct et disposant de compétences transférées ; et, d’autre part, des pôles- territoires, qui, étant conçus certes comme des entités autonomes, ont vocation cependant à être des organismes publics (établissements publics territoriaux, délégations territoriales, etc.) gérés par des exécutifs bénéficiant de compétences déléguées.

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De plus, en dépit de certains arguments récemment avancés, la soi-disant différence de composition des deux instances ne saurait suffire à justifier cette dualité caractérisée par un chevauchement des missions ; une composition, du reste, quasi-analogue, la seule différence résidant dans le fait que la Commission Nationale du Dialogue des Territoires comprend des représentants de l’administration et de l’Assemblée nationale, en sus de représentants des maires et présidents de conseil départemental.

Il serait donc souhaitable de tenir compte de cette importante distinction dans la répartition des missions entre les deux instances, en concentrant le rôle de la Commission Nationale exclusivement autour des pôles-territoires, tout comme il serait opportun de s’attacher à définir ou clarifier au passage le statut juridique de ces pôles-territoires, deux ans après le début de mise en œuvre de l’Acte III de la décentralisation.

C’est pourquoi notre Plateforme «AVENIR, Senegaal bi ñu bëgg» estime indispensable une relecture de l’avant-projet de loi organique en gestation, afin de rationaliser la composition et l’organisation du Haut Conseil et, étant entendu que le dialogue entre pôles- territoires et collectivités locales devrait plutôt être l’affaire de ce Haut Conseil, de procéder par la même occasion à la retouche du décret du 21 décembre 2015 relatif à la Commission Nationale du Dialogue des Territoires, afin de réorienter ses missions vers les problématiques concernant le développement de véritables pôles régionaux de développement, par une prise en charge des fonctions inhérentes à la facilitation de la territorialisation des politiques publiques, à l’interface nécessaire entre l’Etat et les pôles-territoires, à la mutualisation des approches de développement, à la promotion de la coopération et de la solidarité interterritoriales et, enfin, à l’arbitrage des conflits éventuels entre pôles-territoires.

 

Mohamed SALL SAO

Président de la Commission Etudes et Stratégies, Plateforme politique

«AVENIR, SENEGAL BI ÑU BËGG»

 

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