L’affaire dite Aïda Mbodj du nom de la Présidente du conseil départemental de Bambey révoquée le 20 mai 2016, au-delà des prises de position juridiques et politiques affichées, soulève, entre autres questions, celle de la réforme du cumul des mandats et de son corollaire, la mise en œuvre d’un véritable statut de l’élu.
Beaucoup de nos concitoyens s’accordent aujourd’hui à dire, que le cumul des mandats constitue une entrave à la crédibilité de l’action politique en ce sens qu’il permet de reconstituer entre les mains d’une même personne, l’unité des pouvoirs dont Montesquieu dénonçait le caractère contraire à la liberté politique des citoyens.
En d’autres termes, la pratique du cumul des mandats dans le temps (notamment pour les mandats exécutifs) achève la confiscation du pouvoir, augmente les charges des élus, crée des réseaux d’influence qui peuvent être néfastes à l’intérêt public et aboutit à la mise en place de systèmes clientélistes auxquels il est très difficile d’échapper. Sous ce rapport, le cumul des mandats profite beaucoup plus aux élus qu’aux citoyens. Certains citoyens n’hésitent même pas à parler « d’élus avides d’avantages indemnitaires liés au charges publiques » et à comparer certains députés et élus locaux, aux Préteurs de la Rome antique.
Le cumul des mandats consacre par ailleurs le manque de disponibilité des élus qui pour la plupart cumulent des fonctions qu’ils ne peuvent matériellement exercer convenablement. Lorsqu’il concerne les députés, il favorise l’absentéisme chronique qui nourrit l’antiparlementarisme et la confusion des intérêts locaux et des intérêts nationaux. Un député représente la nation toute entière et pas seulement les électeurs de sa localité. Son rôle est de faire les lois, de s’impliquer dans leur mise en œuvre et de contrôler le gouvernement. Tout cela exige assiduité, disponibilité, exemplarité et davantage de responsabilité d’autant que nos parlementaires devront désormais intégrer dans leurs réflexions les questions relatives aux nouveaux droits des citoyens (relativement à notre environnement et à notre patrimoine commun) ,aux droits de l’opposition et du chef de cette opposition avec aussi, comme enjeu fondamental, l’instauration d’une Assemblée nationale véritablement efficace.
Pour être à la hauteur de tous ces défis, il est temps de mettre un terme au cumul de mandat parlementaire avec tout mandat exécutif local (présidents et vice- présidents de collectivités territoriales, maires et adjoints compris) mais également avec toute activité professionnelle rémunérée. L’expérience d’élu local peut bien évidemment être antérieure à celle de député. De même que les députés doivent être exemplaires, de même tous les maires par la responsabilité qui leur incombe et le travail qu’ils ont en charge, doivent avoir les moyens de se consacrer à temps plein à cette fonction. L’acte III de la décentralisation leur donne une visibilité et une légitimité de premier plan et leur a confié des tâches immenses qui exigent de leur part écoute, disponibilité, concertation et détermination. C’est pourquoi, un maire ne doit plus cumuler aucun autre mandat (conseiller départemental, député)
On ne peut pas être proche, à l’écoute, efficace, novateur en cumulant plusieurs mandats.
Mettre fin au cumul des mandats, c’est aussi porter la démocratie à un niveau supérieur avec la démultiplication des élus, le partage des rôles, la formation et la mobilisation de centaines de nouveaux responsables à tous les niveaux. C’est une bonne leçon de citoyenneté. Le non cumul est aussi un bon moyen pour renforcer l’assiduité et faire disparaitre le député et le maire à temps partiel.
Toutefois force est de reconnaître le mérite des élus qui se battent quotidiennement pour faire avancer l’intérêt général et pour aider à l’amélioration des conditions de vie de nos concitoyens et aussi, qui sont des serviteurs dévoués et passionnés, mais nous pensons qu’ il est aujourd’hui nécessaire compte tenu des exigences de notre démocratie, d’adopter au plus vite une loi ambitieuse qui limite strictement le cumul des mandats, en interdisant aux députés d’exercer un mandat exécutif local et en empêchant l’exercice de deux mandats exécutifs locaux simultanés. Cependant non- cumul bien ordonné commence par soi-même et l’exemplarité, c’est aussi de ne pas attendre la loi pour s’appliquer à soi-même la limitation du cumul des mandats.
Mais le non-cumul des mandats n’a de sens et n’est viable que s’il se prolonge par un véritable statut de l’élu qui permette aux députés, aux présidents de conseils départementaux et aux maires, de remplir effectivement leur mission et de se consacrer pleinement au mandat confié par nos concitoyens. Cela suppose aussi, de notre point de vue, une juste rémunération qui assure pleinement une fonction élective sans avoir besoin de travailler, et un droit à la formation pour les élus qui n’ont pas toujours connaissance des compétences nécessaires à l’exercice de leur mandat, d’autant que l’assiduité est la première obligation pour un élu sauf conditions particulières (maladie, déplacement professionnel prolongé…)
Le non cumul est un enjeu de démocratie, de crédibilité, de transparence, de lutte contre les concentrations excessives du pouvoir et de soupçon d’avidité. Il pourrait même en plus des fonctions parlementaires et exécutives locales viser les fonctions ministérielles.
Cicéron ne disait-il pas « Il n’est rien d’autre par où ceux qui sont à la tête de l’Etat peuvent se concilier la bienveillance de la multitude que la modération »
Dr Mamadou Moustapha Dieng
Chargé d’enseignement,Département d’Histoire FLSH UCAD
Secrétaire national aux élus AND JEF/PADS/A