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Et Si La Société Faisait Obstacle à Elle Même ?

Et Si La Société Faisait Obstacle à Elle Même ?

Entre des responsables politiques qui affichent leur recours à la sorcellerie et des personnalités du showbiz ou de grands sportifs qui déclarent urbi et orbi à qui veut les entendre que c’est une réalité normale, elles ont malheureusement de beaux jours devant les pratiques occultes au sénégal. Jamais ne se produit un évènement quelconque sans qu’une raison mystique ne soit convoquée: la faillite d’une entreprise, la perte d’un emploi, une défaite de l’équipe nationale, un parent malade ou une foulure au pied a toujours une origine mystique. Une explication logique et rationnelle des événements est toujours soit trop simpliste, soit naïve au regard de la réalité sociale et des mentalités.

Une soumission à la sorcellerie

Mise à part la différence sémantique entre terrorisme et sorcellerie, il n’est pas irrationnel de s’interroger sur la distinction réelle entre ces deux crimes. Cela peut paraître cruel de le dire, mais le terroriste parce qu’il fait usage de méthodes expéditives et pas moins condamnables, on en disconvient pas, est plus “bienveillant” dans l’exécution de son crime. Au regard des pratiques du sorcier semble se dégager en effet une exaltation infernale d’un pouvoir qui installe chez la victime la souffrance et le tourment dans la durée comme pour mieux s’en prévaloir. Le premier se munit d’armes automatiques, d’armes blanches et d’explosifs, le second fait couler le sang d’un animal capturé sur votre photo, observe l’apparition d’une étoile précise, puis se met à l’invoquer en récitant une formule de sorcellerie. Ainsi la sorcellerie obtenue ne peut être défaite que si l’étoile observée apparaît une nouvelle fois lors du rituel contraire, sachant que certaines étoiles n’apparaissent qu’une seule fois par an. Dans certains cas l’on se sert d’un ou plusieurs effets personnels appartenant à la personne visée par le rituel de sorcellerie, il peut s’agir d’un vêtement (une chemise, un sous-vêtement, un mouchoir…) ou d’un objet personnel (une bague, une montre, un collier…), le sorcier récite alors une incantation demandant une certaine modification de cet effet (modification de couleur, de forme, d’odeur…) et si cette modification a lieu dans la semaine suivant le rituel, alors l’objectif sera atteint. Au final ces deux malheurs produisent le même résultat en terme de désastre: des victimes déchirées, malades, frappées de désespoir et d’amertume, et écrouées par la douleur.

Pour autant au Sénégal la sorcellerie, qui rappelons le, est un travers qui dénature affreusement l’espace socio-politique ne fait pas encore l’objet de colloques ou de grandes conférences en vue de la prise en charge de cette question. Elle n’a pas encore suscité de front patriotique contre sa prolifération ni n’a provoqué d’initiatives concrètes de la part des autorités étatiques pour la circonscription de ce mal à défaut de pouvoir l’éradiquer de la société.

Peut-être n’en est-on pas arrivé au stade critique pour cette société d’un vice profond dont les racines auraient incessamment besoin d’être extirpées au risque de porter préjudice à son épanouissement ! La réalité, malheureusement, réfute ce postulat.

Les pratiques mystiques traversent toutes les couches de la société. Du haut fonctionnaire au gorgorlu en passant par la jeune employée de bureau, le vigile à l’entrée d’un hôtel de luxe ou la vendeuse dans la rue, chacun à son petit talisman de la part de son vénérable charlatan. L’image fort contrastée d’amulettes et de gri-gri débordants d’un “Nietty-Abdou”, d’une “taille-basse”, d’un pantalon ou d’un vêtement à manches courtes, est une réalité intégrante de la vie quotidienne au Sénégal. Mais sous ces dehors d’une société africaine contemporaine en prise avec ses contradictions et ses paradoxes, se joue un drame existentiel presque affligeant.

Nous sommes des millions de Sénégalais responsables à des degrés divers au sein de la structure sociale qui nous réveillons chaque jour avec la conviction que la puissance avérée des esprits appartenant aux forces de l’ombre inspire une soumission et une crainte tout à fait naturelle. Par conséquent nous prenons pour parole d’évangile leurs injonctions mélancoliques. Nous sommes ainsi prêts à sacrifier à ces “seigneurs” tout et n’importe quoi car le pouvoir surnaturel de ces derniers serait capable de changer nos malheurs et déboires du moment en une prospérité béate et tranquille. Du coup la famille, la communauté, l’organisation professionnelle, les collaborateurs et la société en général passent au second plan, puisque la réussite de la relation vis-à-vis de notre entourage et des autres est assujettie à la volonté “infaillible” du génie “tout puissant” dont on sollicite l’avis sur toutes les questions concernant notre vie.

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Par ailleurs on est résolus à tout entreprendre selon la situation et le degré de difficultés auquel on est confrontés pour :

  • se débarrasser d’un collègue qui constituerait une entrave à notre succès professionnel,
  • éviter de serrer la main d’un parent qui serait porteur du mauvais œil,
  • laisser partir l’homme, la femme avec le (la) quel(le) on a décidé de partager notre vie parce qu’il (elle) est supposé(e) être la cause de notre subite décadence et de notre misère ambiante,
  • anéantir une co-épouse qui “diminue” considérablement la gratification et l’amour auxquels nous avions droit avant, nous et nos enfants.

En effet la barre du sacrifice n’est jamais trop haute face à l’ultimatum que lance le génie. et son marabout. Qu’importe le malheur ou la souffrance que nous causons au passage si cela peut nous garantir l’atteinte de “la réussite”. Car le but du jeu est d’obtenir le succès personnel en précipitant la mauvaise fortune de l’autre, rien de moins.

Quelles leçons doit-on tirer d’une sociologie sénégalaise qui fait confiance au prince des démons, au démon des prophéties, au démon de la perfidie, celui des airs, au démon exterminateur ou encore à Satan l’opposé de Dieu plus qu’à la rigueur de la démonstration et à la persévérance dans l’effort ? Autrement dit quelle est notre réponse face l’assumation par la société d’un obscurantisme suranné et de surcroît pour des raisons purement matérielles ? Car en définitive une persistance dans cette attitude serait une sérieuse entrave à toute perspective de développement puisque la logique et la raison disparaissent progressivement du champ d’analyse des uns et des autres.

Le rapport à l’argent

Une des réalités auxquelles le Sénégal fait face au plan social réside dans le fait de tensions que suscite souvent la promotion sociale dans une société ou le niveau de vie est globalement précaire. Celles-ci sont liées d’une part à l’injustice qui souvent naît d’une telle élévation et qui est relative à un jeu de favoritisme au sein de l’entourage du promu. Et d’autre part d’une attitude de gloriole, parfois revancharde et de méprise envers ses “ennemis” notée de la part du promu lui-même suivant une position d’exhibition de son nouveau “pouvoir”. Le sociologue Djiby Diakhaté décrit de manière caricaturale et pas moins exacte cette réalité d’une société sénégalaise engagée dans une alliance sinistre avec le bien matériel et l’argent:

“Il est apparut un nouveau prophète au Sénégal: l’argent, «yonente yalla xaliss»” (“l’argent, un messager de Dieu”).

Si la croyance aux pratiques occultes occupe une place importante dans la psychologie de la société sénégalaise, une recherche des causes potentiels à ce caractère révèle qu’au delà d’actes marginaux de paganisme une mauvaise affinité avec l’argent ainsi que la jalousie tiennent une place centrale.

Notre subconscient accueille les pratiques occultes à coté de l’argent et des conditions de vie stables dans une triptyque romancée qui est le symbole banal d’une certaine réussite personnelle à la sénégalaise. L’importance de la place que l’accord entre ces réalités occupe dans l’intuition populaire au Sénégal aujourd’hui est profonde. Ce comportement étend en effet son influence dans tous les secteurs d’activités à travers la société contre le manque d’opportunités ou encore “l’acharnement du sort”, telle une thérapie spiritualiste.

En effet suite à quelques “succès” et “victoires” obscurs la logique mystique à travers l’incontournable marabout et avec conviction d’ailleurs, se prévaut d’une “infaillibilité légendaire”, et s’autoproclame ainsi maître suprême de solutions: ”Ma Meun” (“je suis infaillible”).

Elle commande instinctivement alors au ministre de la république comme au banquier de faire abstraction de toute rationalité et de toute cohérence dans leur quête de solutions face aux traverses quotidiennes de la vie, et de n’avoir ainsi recours qu’à l’alchimie de l’incantation. L’enjeu étant pour le premier comme pour le second un accès rapide à la richesse et donc à un pouvoir relativement important. Faisant fi de leur formation, et de leur éducation, ces hauts responsables se laissent ainsi envoûter par le charme maléfique de la magie et de la sorcellerie aux quelles ils confient leur destinée, et qui leur assurerait même des pirouettes magiques contre d’éventuelles poursuites judiciaires. Il ne serait pas étonnant que ce soit là l’une des causes fondamentales à la forte tendance à la manipulation et à l’attachement à la facilité qui caractérisent la société sénégalaise. Le Dr Samba Ka fait bien allusion à cette réalité:

“Le peuple sénégalais n’est pas un peuple de travailleurs et la plupart de ceux qui travaillent font semblant de travailler. C’est ce qui explique que nous ne sommes pas productifs” .

Là encore la responsabilité des élites est clairement engagée. Lorsqu’en effet des personnages publics véhiculent le sentiment détonnant d’un cheminement inévitable avec des esprits secrets sensés “garantir” une vulgaire réussite, la ligne rouge d’un message irresponsable et futile face à la population qu’impose leur statut de décideur est ainsi franchie. Parce qu’ils soutiennent de même le contraire des principes qu’ils sont sensés appuyer et défendre. En outre ils se fragilisent eux-mêmes lorsqu’ils abritent l’idée d’une nécessité pour les représentants qu’ils sont de recourir à la magie notamment pour garder leurs privilèges: “kune nguur nexul da nga caa bokul” (“le pouvoir est synonyme de privilèges, prétendre le contraire relève de la jalousie”). Ils fragilisent en même temps les institutions et les organisations, mais aussi les populations qu’ils représentent principalement en jetant le discrédit sur des valeurs fortes de la société sénégalaise.

Il appartient véritablement aux hommes publiques de rassurer et non pas d’alarmer les populations. Ils est de leur devoir et de leur responsabilité à travers une attitude correcte et un discours plausible et engagé de démontrer clairement que “xaliss ken duko luubel, da ñu koy ligéey ci ñax ak ci ngor” ou encore que“daraja boko sakulè sa bopp mu sonal la” (“on gagne sa vie à la sueur de son front”, “tout honneur qui se décrète, portera un jour préjudice à son homme”).

La tendance malheureusement est à l’inverse au Sénégal, parce que “le politicien confiant de son immunité mystique conférée par le sorcier entame une grande carrière de prédateur économique et social. Tout va passer sous le rouleau compresseur de l’impunité (femmes, argent, véhicules, villas) jusqu’à ce qu’un décret présidentiel plus sorcier vienne mettre fin à la carrière très mystérieuse du ministre. En attendant le décret divin !”. Par conséquent il ne faut pas s’étonner que la mentalité populaire adopte facilement des slogans factices tels que “xaliss ken duko ligéey da ñu koy làxarti” ou même “koo fi dèg muy coow boo ko wowé ci rux mosal ko muné patt” (“l’argent ne se gagne pas par le travail mais bien par la manipulation”, “tous ceux et celles qui crient au scandale retournent leur veste une fois qu’on leur graisse la patte”). En réalité au Sénégal comme le dit le Dr Samba ka “la plupart de ceux qui travaillent font semblant de travailler” parce que la société a fini d’assimiler l’enrichissement aux manœuvres et au tripotage. Elle veut gagner à tous les coups.

La convoitise est certes un état d’esprit qui si on le laisse se développer librement nous fait perdre notre paix mentale et nous désarçonne au point d’en perdre la maîtrise de nous-mêmes. Mais elle est encouragée par la société notamment à travers la banalisation de comportements négatifs tels que la fanfaronnade ou la dévalorisation de l’autre au détriment d’une concurrence saine. Cette dernière est une dimension importante dans la marche vers une société productive et dynamique qui promeut la compétence et le mérite. La jalousie et l’envie sont des sentiments d’une stérilité profonde. Elles conduisent en temps de faiblesse à prendre les biens des autres injustement ou à refuser d’aider les autres quand ils ont besoin de nous. Elles provoquent l’espoir que le mal s’abatte sur les autres et la joie de les voir dans le malheur. Les pratiques occultes dont la vocation est de susciter la calamité devraient être le dernier recours auquel nous conduirait un éventuel effort si tant est que la volonté y soit, et allant dans le sens d’une maîtrise de ces émotions.

L’attitude de la société vis-à-vis de l’argent naturellement est à assainir. Parce que c’est la rampe sur la quelle va s’appuyer la rivalité des uns et des autres pour faire du recours à la sorcellerie entre autres résolutions dangereuses une option dont la poursuite fatalement devient une question de vie ou de mort. Mais il ne faut pas sous-estimer l’enjeu de l’apport d’une culture de l’éthique qui serait un rempart efficace contre des postures négatives. Ces dernières peuvent naître de la jalousie et de l’envie mais aussi d’autres émotions destructrices. En effet par une bonne éducation on peut réaliser une société solidaire et entreprenante. Car on ne récolte que ce que l’on sème.

Il serait profondément sain pour une société sénégalaise qui se veut authentique, moderne et en harmonie avec elle-même de reconnaître d’abord le caractère préjudiciable et insoutenable d’un ancrage aussi profond des populations dans les pratiques occultes et à des fins souvent criminels. Au nom d’une société responsable, mature et tournée vers le progrès il est indispensable de s’employer systématiquement à les combattre dans un deuxième temps afin de guérir la société d’une blessure profonde qui par conséquent la rend vulnérable. Peut-être alors cette dernière sera à même de réaliser l’abîme profond dans lequel le recours aux pratiques occultes l’a plongé depuis qu’elle a érigé cette fin en raccourci vers le “bonheur”.

La sagesse de Al Ahnaf Ibn Qayss gagnerait enfin à être méditée de manière intime par la société sénégalaise. Car elle doit renverser la tendance forte d’une confiance sordide placée en la magie et qui est la cause pour elle de tant de tragédies et de malheurs:

”Le jaloux n’aura jamais de quiétude, l’avare ne sera jamais loyal, un impatient ne sera jamais un ami, on ne comptera plus sur un menteur, un traître n’est jamais un conseiller, et un homme de mauvais caractère ne règne pas”.

 

Abdourahmane babou

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