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Crépuscule Des Idoles

Crépuscule Des Idoles

Le principal et le seul enseignement pratique qu’il a fallu tirer des résultats des consultations populaires organisées depuis le début de la présente décennie, ou même au-delà, est celui-ci : des idoles sont en voie de disparition, et de nouvelles sont en train de naître. En effet, le crépuscule des idoles ne date pas des dernières consultations référendaires. C’est plutôt de­puis plus d’une décennie que ce phénomène se manifeste sur la scène de la sociologie politique locale. Par ces vocables : «an­ciennes idoles», nous désignons une catégorie sociale bien déterminée, à savoir celle des princes et des princesses des oligarchies religieuses et de l’aristocratie républicaine. La classe antipodique est celle des «nouvelles idoles» que constituent les lutteurs des arènes, les professionnels du foot, les musiciens, les comédiens et les aphrodites propulsées au-devant de la scène par le vaste réseau médiatique. La liste peut bien être allongée.

Mais l’essentiel est que des hommes politiques doués d’une intelligence remarquable ont compris cet enjeu de taille que représente le temps crépusculaire que les idoles décadentes vivent présentement, et que ces hommes rusés agissent en toute logique. Ce sont les anciennes tout comme les nouvelles gloires du ballon rond et les étoiles montantes de la lutte qui sont sur leur ligne de mire. On n’oubliera jamais comment les politiciens faisaient la cour de manière frivole à ces gladiateurs des temps modernes durant la campagne référendaire. C’est la même logique de décadence qui est à l’œuvre dans l’irrespect des consignes de vote, suivi de résultats antipodiques sortis des urnes opposant les foyers religieux d’une part, aux autres localités du pays d’autre part.

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Voilà une situation apocalyptique que même ni les acteurs politiques ni les idoles décadentes elles-mêmes ne déplorent. C’est com­me si les uns et les autres éprouvent une certaine joie maligne à la contemplation du spectacle cataclysmique, et qu’ils se sentent épuisés du lourd fardeau de toujours cautionner des victoires électorales. Ils veulent s’autodétruire et appellent de tout leur voeu le marteau nietzschéen pour se donner un coup de grâce dans ce champ de la pratique politique profanatrice.

Aucune catégorie d’hommes n’est à l’abri de la dynamique sociale. L’évolution historique fera tomber, tôt ou tard, tous les clivages, les uns après les autres. Ainsi, une autre catégorie d’idoles prendra-t-elle la relève et deviendra porte-étendard des grands électeurs. Cependant, la question qui taraude certains esprits est de savoir comment les gladiateurs des arènes nationales, avec leurs mains assoiffées du sang des autres, et les gloires du foot, qui sont tous des analphabètes n’ayant pas eu suffisamment le temps à consacrer aux études, à l’époque de jeunesse, peuvent devenir, au gré des circonstances, des leaders d’opinions et donner des consignes de vote à la jeunesse, même si c’est de manière implicite. La réponse n’a pas davantage d’intérêt que le constat de ce phénomène. Les footballeurs et les lutteurs sont-ils en train de réussir là où les oligarques et les aristocrates échouent ? Tout semble indiquer que c’est bien ce qui est en phase de se produire. L’hypothèse à a­vancer est très simple. C’est celle de la nécessité de combler le vide laissé par les idoles du passé récent. La nature a toujours horreur du vide, dit-on. Le vide est constamment comblé, même au prix de l’irrespect de cette exigence morale grotesque selon laquelle il faut mettre l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. La réalité est aux antipodes d’un tel impératif éthique.

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Le «crépuscule des idoles» est une formule que nous avons empruntée à Nietzsche pour décrire ce phénomène de rejet des consignes de vote ; rejet cristallisé notamment par la victoire des adversaires politiques des oligarchies religieuses et de l’aristocratie républicaine et par la défaite des candidats de ces dernières, lors des récentes échéances électorales. L’usage à cette fin de «crépuscule des idoles» est loin d’être un excès ou une maladresse, si l’on garde en mémoire l’image de l’idole dans la perspective nietzschéenne. En analysant Crépuscule des idoles, Eric Blondel écrit :

«L’image de l’idole suggère une modalité affective ; on s’y attache, on la respecte, on la vénère. Elle a une autorité impérative, elle n’est pas une simple représentation.»

Cette description s’applique bien à l’image de nos idoles locales.

En effet, les idoles sont aimées, respectées, leurs localités elles-mêmes sont des lieux entourés d’aura, aux yeux de leurs incon­ditionnels. Leurs vues sont indiscutables, du moins publiquement. Elles occupent une place particulière dans la mentalité des citoyens. Ceux qui ont osé les traiter comme de simples hommes ordinaires fournissent présentement des efforts colossaux, mais inutiles, afin d’effacer des mémoires collectives ces jugements de valeur osés.

La structure des idoles, naguère solide, commence à s’effriter et à chanceler sous l’effet des secousses cataclysmiques violentes causées par les aléas politiques de ces derniers temps. A ce sujet, Blondel pense que «cette fin des idoles indique aussi l’annonce d’une nouvelle aurore, la promesse de la gaîté d’un esprit libéré de idoles». Il est évidemment ici question d’une émancipation progressive des idoles en déclin.

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Un autre signe du temps crépusculaire est que d’éminents historiens commencent à se lasser et à délaisser la relation de la vie des oligarques et de celle des aristocrates pour s’intéresser davantage à la biographie des hom­mes humbles du monde du sport et de la musique. Main­tenant que le constat est fait, il s’agit de savoir si les an­ciennes idoles vivront à terme leur temps crépusculaire pour disparaître à jamais ou, au contraire, pour se retirer momen­tanément du champ d’action et rebondir à nouveau, afin de réoccuper le de­vant de la cène et de réorienter à leur propre profit la noble action politique et sociale. Si évidemment la tendance du déclin se confirme, alors la nouvelle classe des idoles, à savoir celle des gloires du foot, les nouvelles, tout comme les anciennes, et des gladiateurs des temps modernes continuera son ascension fulgurante dans le firmament de la pratique politique locale. Mais à coup sûr, l’avenir se chargera de nous donner la réponse définitive.

 

Babacar DIOP

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