Les derniers développements du problème des transporteurs sénégalais pour se rendre en Casamance et les nouvelles difficultés avec la Gambie nous ramènent à l’actualité du conflit dans la région méridionale. Pour un simple observateur, les premiers facteurs évidents du conflit sont l’éloignement et l’enclavement de la Casamance, séparée du reste du Sénégal par la Gambie et encadrée au sud par deux autres pays. Cette position défavorable se double d’autres facteurs de marginalisation. A. Ngaidé, universitaire mauritanien, a pu souligner que dans un contexte de diversité proclamée, mais non assumée, le Sénégal, malgré son ancrage démocratique, confond l’ensemble du pays avec sa région centrale.
Des mesures de décentralisation ont certes été adoptées. Mais l’expérience démontre qu’au bout du compte, les ressources, les infrastructures, les équipements et les services resteront toujours inégalement répartis sur l’ensemble du territoire national. Ils seront encore concentrés dans trois ou quatre régions, toujours les mêmes. La situation de la Casamance est encore plus singulière. Par rapport à tout le reste du pays, c’est la région naturelle dans son ensemble, qui est traitée comme une périphérie, sur plusieurs plans. Lorsque l’idée de déplacer la capitale du pays a été évoquée, c’est la localité de Pékesse au nord, encore plus loin de la Casamance, qui a été pressentie.
Au contraire, une mesure significative en contexte sénégalais pourrait consister à transférer le Parlement à Ziguinchor, après évaluation des expériences existant ailleurs. De nombreux pays ont opéré un rééquilibrage de l’architecture territoriale, bâtie sur deux, voire trois pôles de pouvoir.
En Afrique du Sud, Pretoria est la capitale politique, Johannesburg la métropole économique et Le Cap est désormais le siège du Parlement. Au Bénin, Porto Novo est devenue à la fois la capitale politique et le siège du Parlement, à côté de Cotonou. Le Parlement tanzanien a été transféré à Dodoma et Dar Es Salam reste la capitale. Certains pays ont même construit des villes nouvelles pour y transférer leur capitale politique : Yamoussoukro en Côte d’Ivoire, Abuja au Nigeria, mais aussi Brasilia au Brésil et Ankara en Turquie. On peut citer en outre les exemples des pays qui ont deux capitales, politique et économique : Yaoundé et Douala au Cameroun, Rabat et Casablanca au Maroc et bien entendu Washington qui est le siège du gouvernement américain. Le plateau est encore plus étendu en Arabie Saoudite avec Ryad, Djeddah et Makkah, la capitale spirituelle du monde musulman. Des organisations internationales ont également distribué leurs principales activités dans différents pays : le Parlement de l’Union africaine est à Durban, celui de l’Union européenne à Strasbourg, et les institutions spécialisées de l’Onu sont à Genève.
L’installation du Parlement à Ziguinchor aurait des effets multiplicateurs. Elle obligerait d’abord les autorités à prendre le taureau par les cornes, pour trouver une solution convenable à l’enclavement de la Casamance, quel qu’en soit le coût. Soixante ans après l’indépendance et le naufrage tragique du bateau le Joola, il est impossible de continuer à miser plus longtemps sur l’installation hypothétique à Banjul d’un régime favorable à l’érection d’un pont sur la Gambie. Une voie de contournement de qualité, qui traverse d’autres régions, aurait en outre des effets bénéfiques pour ces collectivités territoriales également délaissées. Même si le problème casamançais n’existait, elles seraient malgré tout en droit d’exiger d’être reliées au reste du pays par des infrastructures de qualité.
La voie de contournement et la reprise du trafic sur la Transgambienne ne s’excluent pas. Elles ne sauraient dispenser non plus de poursuivre inlassablement les efforts pour réunir les conditions d’une véritable fédération ou confédération avec la Gambie, voire avec d’autres pays, sur des bases équitables. La première tentative d’union était une occasion pour instaurer un bilinguisme anglais-français, au lieu de choisir d’«annexer» un voisin souverain, avec une seule langue, comme si cela allait de soi. Le Sénégal, pays sans ressources et qui se positionne sur le créneau des services, du plateau académique et des échanges intellectuels ne pourrait que bénéficier aussi de l’usage de l’anglais.
Marcel Mahawa DIOUF
Fonctionnaire de l’Union africaine à la retraite