1. « La tolérance est une vertu qui rend la paix possible » (Kofi Annan). D’autre part, « la tolérance n’a jamais excité de guerre civile, l’intolérance a couvert la terre de carnage » (Voltaire). Ces deux postulats permettent de poser de façon large la question de la laïcité, remise à jour par le débat, autour de « l’intangibilité de la laïcité » qui figurait dans l’avant-projet de révision constitutionnelle, du président de la République Macky Sall. Mieux encore, même si cette disposition a été retirée du projet final, soumis au peuple le 20 mars dernier, la laïcité n’avait pas, pour autant, disparu des discussions référendaires, et elle reste encore de façon prégnante au sein de la société, pour différentes raisons.
2. Selon le Larousse, la laïcité est la « conception et organisation de la société fondée sur la séparation de l’église et de l’État, qui exclut les Églises de l’exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l’organisation de l’enseignement ». Néanmoins, il est généralement admis que « la laïcité est le principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat ». C’est-à-dire, l’Etat reste neutre à l’égard des institutions religieuses, et ne contribue ni financièrement, ni matériellement, ni d’une autre façon, aux activités et, à la gestion des cultes, et le Clergé ne se mêlant pas de politique.
3. Sans revenir sur l’histoire de la laïcité, nous pouvons néanmoins noter que dans la plupart des pays surtout occidentaux, la genèse de la laïcité et son applicabilité sont intimement liés, à des évènements historico-politico-sociologiques. Une étude comparative du système laïc d’un quelconque pays du monde, avec celui de la France, permettrait de comprendre l’absence de modèle uniformément appliqué, pour des pays se revendiquant, pourtant, laïques. D’autre part, c’est ce qui expliquerait la difficulté d’exportation du système rigoureux de laïcité française, qui ne se retrouve dans nul autre pays au monde, parce que les processus de construction sont, aussi, historiquement différents.
4. Le principe de laïcité a pris corps pendant la Révolution française en 1789, et s’est surtout concrétisée par la fin des privilèges ecclésiastiques et, l’affirmation de principes universels, dont la liberté de conscience et l’égalité des droits exprimés par la Déclaration des droits de l’homme. La suppression ou l’abolition des privilèges du clergé met fin aux pouvoirs que celui-ci détenait, dans l’ancien régime. En 1905, la loi sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, au-delà d’affirmer implicitement le principe de laïcité, définit le régime juridique des relations entre l’Etat et les cultes, met en œuvre la liberté de conscience et, confirme le principe de séparation.
5. Selon notre analyse, dans la conception sénégalaise de laïcité, il est difficile de tracer de façon très nette, ce qui relève du privé (de l’intime) et ce qui appartient à la sphère publique. C’est d’ailleurs, une des raisons de non « transposabilité » de l’orthodoxie laïque française, dans notre pays. Parce que, la séparation entre le spirituel et la fonction étatique ou, quelque autre fonction publique n’est pas si tranchée, et nous semble difficile, à mettre en œuvre (heureusement d’ailleurs). De plus, la laïcité sénégalaise a été construite sur un modèle faisant fi, de son héritage laïc français, pour asseoir ses propres normes politiques et sociales. Notre laïcité s’inscrit et s’enracine, entre autres, dans nos valeurs socio-culturelles d’échange, de dialogue, de compréhension, de démocratie, et surtout de tolérance, fondement de nos rapports.
6. La laïcité a toujours été présente dans les différentes constitutions du pays depuis l’indépendance. Néanmoins, pour certains religieux musulmans (les religieux), le Sénégal est majoritairement musulman (90% de la population), donc, cela suffit à le faire régir de lois, règlements ou, décisions d’inspiration islamique ; d’autant qu’ils estiment, aussi, que leur système en remplacement de la laïcité, serait plus adapté. Leurs revendications ne sont pas nouvelles et, ont toujours jalonné l’existence de la République, cependant depuis les années 2000, nous avons constaté un retour en force.
7. Selon nous, leur projet est discutable voire très critiquable, étant donné que, celui-ci n’aborde pas la question des chrétiens, des athées, ou des autres, avec toute la rigueur qui sied en pareille circonstance. Ainsi, avec leurs désirs de vouloir substituer le système arabo-islamique, au modèle laïc, la question qu’il convient de se poser, est de savoir, d’une part, si l’islam est compatible avec la démocratie et la laïcité. D’autre part, si l’islamisme (en tant qu’idéologie tirée de l’islam) est compatible avec la démocratie et la laïcité.
8. Dans le cas de l’islam, sans hésitation notre réponse, est « OUI ». Par contre dans le cas de l’islamisme nous sommes foncièrement sceptiques, et notre réponse serait plutôt « NON ». Aux regards de ce que nous avons pu observer dans un passé récent au Nord Mali ou en Syrie. Mais encore, des exactions commises idéologiquement au nom de l’islam par « Bokko Aram », « AQMI », ou « Daesh » et leurs émules. De plus, certains faits relevés dans certains pays, comme l’Afghanistan, ou le Soudan, nous rendent fort dubitatifs pour croire, à une certaine compatibilité entre « islamisme » et démocratie ou laïcité. Notre interrogation n’a point pour objet de laisser penser ou, d’insinuer que certains religieux dans le pays pourraient être des clones, de « Bokko Aram », par exemple, il est cependant permis de s’interroger.
9. De notre point de vue, laïcité et démocratie sont intimement liées, car la démocratie c’est la reconnaissance, le respect et la protection des droits des minorités. C’est pourquoi, une religion ouverte, tolérante et, de paix (en l’espèce l’islam), qui partage, entre autres, avec la démocratie les idéaux, de reconnaissance, de respect et, de protection des minorités, est compatible avec tout système, tout modèle ou, toute autre religion. Pour preuves, la pratique de l’islam au Sénégal (pays à 90% de musulmans) tend à confirmer notre assertion, d’autant que, la cohabitation, entre musulmans et catholiques, n’a jamais posé de problème majeur.
10. Depuis les années 2000, nous avons constaté une résurgence accentuée de la laïcité dans le débat. Cette situation pouvant être analysée, sous l’angle du prosélytisme religieux sinon, confrérique du président Abdoulaye Wade qui avait voulu montrer, ou manifester sa foi et/ou faire savoir son appartenance à la mouridiyya. Ce qui au demeurant, n’avait jamais été observé sous les magistères des présidents Senghor et Diouf. Donc, avec une succession de manifestations inconditionnelles de sa foi, certains religieux ont, peut-être, cru déceler (à tort ou à raison) en sa personne, un allié compréhensif. Pour non seulement porter leurs revendications, mais encore les appuyer, les accompagner et, faire aboutir leurs vœux, d’instauration d’un système d’inspiration islamique en remplacement de la laïcité. Et, en voulant utiliser sa confrérie à des fins purement politiques voire politiciennes, il avait/a rendu de facto très compliqué les rapports entre l’Etat et, quelques communautés religieuses.
11. Selon nous, le mot laïcité est non seulement très connoté, mais encore très clivant, donc à manier avec prudence par tout Chef d’Etat ou tout responsable politique, dans un pays comme le nôtre. Lors de la préparation du référendum constitutionnel du 20 mars 2016, les crispations étaient nombreuses autour de la laïcité, figurant dans l’avant-projet référendaire, du président Macky Sall. Par manque d’inférence, sans doute, il a failli réveiller les religieux, en ayant commis l’erreur de vouloir rendre intangible la laïcité. Des opposants à la réforme constitutionnelle proposée, et plus particulièrement des religieux ont senti, une démarche implicite du gouvernement à vouloir légaliser l’homosexualité.
12. Pourtant, le président Macky Sall avait dit et, redit que l’homosexualité ne sera jamais dépénalisée au Sénégal. Cependant, le « wax waxeet » y étant, beaucoup de nos concitoyens n’accordaient plus beaucoup de crédits à sa parole. D’autant que, l’actuel Ministre Sidiki Kaba avait déclaré « l’homosexualité n’était pas un délit, et que le problème de sa dépénalisation n’en était pas un ». Toujours selon lui « c’est l’acte contre nature qui était un délit, et pour que cela en soit un, il fallait que le flagrant délit soit établi ». Face à des religieux, et de citoyens opposés et, mobilisés contre l’intangibilité de la laïcité, le Chef de l’Etat a finalement reculé et a retiré la disposition controversée. N’empêche, cela a donné les résultats que nous connaissons dans la Région de Diourbel, et, en particulier dans la ville de Touba, même si le OUI est sorti victorieux le 20 mars 2016, sur l’ensemble du territoire national.
13. En périphrasant Winston Churchill, pour qui « la démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres ». De cela, nous énonçons pour conclure « la laïcité est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres ». En conséquence, si le modèle laïc actuel ne répond plus aux attentes et, aux réalités de la majorité des sénégalais, notre pays ne peut faire l’économie d’engager un débat portant sur cette question. Sans évitement, cette rencontre/discussion devra être dépassionnée, pour permettre de trouver dans la sérénité un modèle de remplacement plus adapté. Qui tient compte de nos valeurs (culturelles, religieuses, sociales et politiques), mais encore, de notre aspiration et volonté de vivre ensemble, pour une impérative consolidation de nos acquis laïques.
Daouda N’DIAYE
Juriste/Analyste politique
* Article dédié à Babacar DIOP