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Faudrait-il Réviser L’article 92 De La Constitution ?

Faudrait-il Réviser L’article 92 De La Constitution ?

Le nouvel article 92 de la Constitution du Sénégal supprime les compétences de la Cour suprême

1. Les modifications de la Constitution actuelle du 22 février 2001 ont été adoptées par référendum organisé le 20 mars 2016. Le texte soumis au référendum et adopté a été promulgué sous la forme de la loi constitutionnelle n° 2016-10 du 05 avril 2016, publié au Journal officiel, numéro spécial 6926 du jeudi 7 avril 2016, aux pages 505 à 509. Au regard de la technique juridique de la révision des textes, l’article 92 nouveau du texte constitutionnel comporte trois sortes de dispositions : les dispositions qui n’ont pas été modifiées et sont par suite reconduites dans le nouveau texte, les dispositions nouvelles, enfin les dispositions implicitement modifiées. Dans le nouvel article 92 de la Constitution ainsi restructuré, les compétences initiales et générales de la Cour suprême ont été omises ou supprimées. Il y a lieu de discuter des conséquences juridiques de la rédaction de cet article.

2. Pour rappel, l’article 92 de la Constitution décrit les compétences initiales et générales de trois composantes du pouvoir judiciaire que sont : le Conseil constitutionnel, la Cour suprême et la Cour des comptes. Aux termes de l’article 94 de la Constitution, ces compétences initiales sont complétées par une loi organique pour chacune des institutions  judiciaires concernées. Par ailleurs,  toute modification de la Constitution, qu’elle soit expresse ou implicite, accidentelle ou délibérée, institue un nouvel ordonnancement juridique pour les matières concernées par ladite modification.

3. Le droit positif actuellement en vigueur au regard du nouvel article 92 de la Constitution se présente donc ainsi :

Les  dispositions fixant les compétences de la Cour des comptes n’ont pas été modifiées.

N’ont pas également été modifiées celles qui prescrivent que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours, qu’elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.

Les dispositions ci-après sont  nouvelles : le Con­seil connaît des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant la Cour d’appel ; le Conseil peut être saisi par le président de la République pour avis ; le Conseil est juge de la régularité des élections nationales et des consultations référendaires et en proclame les résultats.

Les dispositions ci-après sont omises ou supprimées du nouvel article 92 de la Constitution et par suite n’y figurent plus. Leur omission ou suppression s’analyse comme une modification implicite de l’article 92. Ce sont celles prescrivant que le Conseil constitutionnel connaît de la constitutionnalité du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale ; ce sont également celles qui déterminent les compétences initiales et générales de la Cour suprême ; elles sont ainsi conçues :

La Cour suprême juge en premier et dernier ressort de l’excès de pouvoir des autorités exécutives. Elle connaît des décisions de la Cour des comptes par la voie du recours en cassation. Elle est compétente en dernier ressort dans le contentieux des inscriptions sur les listes électorales et des élections aux conseils des collectivités territoriales. Elle connaît, par la voie du recours en cassation, des décisions des cours et tribunaux relatives aux autres contentieux administratifs.

En toute autre manière, la Cour suprême se prononce par la voie du recours en cassation sur les jugements rendus en dernier ressort par les juridictions subordonnées.

4. Il y a lieu d’observer ce qui suit, en ce qui concerne lesdites dispositions omises ou supprimées du nouvel article 92 :

Les dispositions concernées étaient déjà omises ou supprimées dans le projet de loi de révision de la Constitution soumis au référendum. On peut le vérifier en consultant de nombreux organes de presse dans lesquels ce projet avait été publié  in extenso.

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L’avis du Conseil constitutionnel, proposant une meil­leure rédaction de ce projet gouvernemental, visait bien le nouvel article 92 parmi ceux qui devaient être remplacés, mais ne proposait aucune modification de fond de cet article.

Le gouvernement avait réécrit le projet de loi pour tenir compte des observations du Conseil constitutionnel et plusieurs organes de presse avaient ensuite publié le nouveau document ; certains de ces organes l’avaient intitulé «Le texte définitif du référendum», ou encore «Le texte que le Président va soumettre aux Sénégalais». Les dispositions concernées étaient toujours omises ou supprimés ; elles ne figuraient pas non plus dans ces documents.

Il résulte de ce qui précède que :

  • Le Conseil constitutionnel aurait statué sur un projet de l’article 92 dans lequel les dispositions concernées avaient été omises ou supprimées.
  • le Conseil ne l’aurait pas fait remarquer au président de la République ; en effet, dans ses observations, publiées in extenso dans la presse, aucune ne concerne le contenu de l’article 92 ; celui-ci est simplement mentionné au nombre des 18 articles à remplacer ;
  • le président de la République a modifié son projet de loi en tenant compte des observations du Conseil constitutionnel et l’a soumis au référendum ;
  • le Peuple a été consulté sur un texte de l’article 92 de la Constitution ne comportant pas les dispositions omises ou supprimées ; il l’a approuvé, le président de la République l’a promulgué, l’a fait publier au Journal officiel et le Journal officiel l’a publié sur son site.

Les dispositions omises ou supprimées du nouvel article 92 de la Constitution  constituent, juridiquement, une modification implicite dudit article. Certaines de ces dispositions concernent le Conseil constitutionnel ; d’autres concernent la Cour suprême. Cette modification implicite  appelle les observations ci-après :

5. Pour les dispositions concernant le Conseil constitutionnel, l’omission ou la suppression de l’expression «rè­gle­ment intérieur de l’As­semblée nationale» paraît délibérée. En effet, le texte en vigueur avant le référendum du 20 mars 2016 prescrivait que le Conseil constitutionnel connaît de la constitutionnalité du Règlement intérieur de l’As­semblée nationale. Toute­fois, aucune disposition ne précisait le type d’acte juridique  que constitue ce règlement. Pour légiférer sur cette question, le nouvel article 62 de la Cons­titution prescrit que le règlement intérieur de  l’Assemblée nationale sera une loi organique. Par ailleurs, le nouvel article 78 de la Constitution dispose que les lois organiques ne seront promulguées qu’après que le Conseil constitutionnel les aura déclarées conformes à la Constitution. Cela explique que dans le nouvel article 92 de la Constitution, l’expression «règlement intérieur de l’Assemblée nationale» ait été omise ou supprimée. Il s’agirait ici d’une omission ou d’une suppression délibérée. Cette compétence du Conseil n’est pas supprimée. Simplement, elle s’exerce désormais sur le fondement d’autres articles de la Cons­titution relatifs au contrôle de la conformité à la Constitution des lois organiques, y compris celle qui porte règlement intérieur de l’Assemblée nationale.

6. Pour l’omission ou la suppression des dispositions relatives aux compétences de la Cour suprême, deux hypothèses sont possibles :

La première hypothèse est celle où l’omission ou la suppression aurait été délibérée, volontaire, décidée comme telle par les rédacteurs de la Constitution. Ce serait donc à dessein que les compétences de la Cour suprême auraient été omises, supprimées du nouvel article 92 de la Constitution. Si telle était la bonne hypothèse, elle ferait l’objet d’une  analyse juridique appropriée.

La deuxième hypothèse, celle retenue dans la présente contribution, est celle où les dispositions concernées auraient été omises ou supprimées par inadvertance, accidentellement, de manière non délibérée. Le fait que ces compétences omises ou supprimées ne se retrouvent nulle part ailleurs dans la Constitution, même formulées autrement, rend cette hypothèse vraisemblable. Si  elle  se vérifie, cela signifierait que ce n’est pas une question de droit, mais de fabrication physique d’un document. Ce cas de figure, fréquent en matière d’édition, survient lorsqu’au cours du traitement informatique d’un document, un pavé de texte est omis, ou accidentellement effacé et par conséquent ne figure plus dans le document final.

Toutefois, l’omission ou la suppression, qu’elle soit délibérée ou accidentelle, comporte les mêmes conséquences juridiques pour le nouveau droit positif. Ces conséquences sont les suivantes pour le droit positif issu de  la rédaction du nouvel article 92 de la Constitution :

L’existence constitutionnelle de la Cour suprême n’est pas remise en cause du fait de cette omission ou suppression.  En effet, cette haute juridiction est créée par l’article 6 de la Constitution comme institution de la République. Par ailleurs, l’article 88 de la Constitution l’institue comme l’une des composantes du pouvoir judiciaire.

En revanche, le fondement constitutionnel de ses compétences est remis en cause du fait de cette omission ou suppression.

Les conséquences juridiques de ce dernier point méritent d’être discutées.

7. L’ancien article 92 de la Constitution déterminait les compétences initiales et générales de chacune des composantes du pouvoir judiciaire visées à l’article 88, à savoir le Conseil constitutionnel, la Cour suprême et la Cour des comptes. En outre, l’article 94 de la Constitution, toujours en vigueur, dispose que des lois organiques déterminent les autres compétences de ces juridictions. Le droit positif, résultant de la nouvelle rédaction de l’article 92, en ce qu’elle omet ou supprime les compétences générales et initiales de la Cour suprême sont les suivantes :

Premièrement, la Cour suprême se trouve être la seule haute juridiction dont les compétences générales et initiales ne figurent pas dans la Constitution. Certes, en cherchant les occurrences de l’expression «Cour suprême» dans la Constitution, il est possible de reconstituer certaines attributions de cette haute juridiction, mais non ses compétences générales, formalisées par des expressions génériques telles que : juge en premier et dernier ressort, juge de l’excès de pouvoir des autorités exécutives, recours en cassation sur les jugements rendus en dernier ressort par les juridictions subordonnées, contentieux administratifs. Ces compétences omises ou supprimées du nouvel article 92 ne se retrouvent nulle part ailleurs dans la Constitution ni ne découlent de l’interprétation des autres articles de la Constitution.

Deuxièmement, la loi organique prévue à l’article 94 de la Constitution ne peut que compléter les compétences initiales de la Cour suprême supposées créées par l’article 92. Elle peut certes les développer, expliciter les modalités de leur exécution, mais elle ne peut pas les créer ex nihilo. En conséquence, dès lors que lesdites compétences sont omises ou supprimées de l’article 92, elles devraient l’être dans la loi organique sur la Cour suprême. En tout état de cause, l’exception d’inconstitutionnalité soulevée contre de telles dispositions de la loi organique sur la Cour suprême devrait prospérer. Enfin, si une nouvelle loi organique sur la Cour suprême reprenait ces dispositions omises ou supprimées, en l’état actuel de la réaction dudit article 92, le Conseil constitutionnel, désormais obligatoirement saisi, devrait déclarer ces dispositions de cette loi organique non conformes à la Constitution.

8. De ces observations, il résulte qu’il faudrait réintégrer dans l’article 92 de la Constitution les compétences initiales et générales de la Cour suprême, si elles avaient été omises ou supprimées par inadvertance.

La réintégration de ces dispositions ne peut se faire qu’à la suite de la révision de l’article 92 de la Constitution, soit par voie référendaire soit par voie parlementaire.

9. Toute autre procédure, visant à réaliser cet objet, ne serait pas juridiquement satisfaisante. Ainsi :

Le procédé du rectificatif n’est pas approprié. Il consisterait à publier au JO l’article 92, avec la mention : «Recti­ficatif», réintégrant les dispositions omises ou supprimées. Le Rectificatif suppose que le texte réintégré existait déjà dans le document original, ce qui n’est pas le cas dans l’espèce.

Le principe de la réactivation des textes non abrogés n’est pas applicable en l’espèce. Ce principe, posé par l’ancien article 107, al. 1er de la Cons­titution, signifie que les lois et règlements en vigueur, lorsqu’ils ne sont pas contraires aux nouvelles dispositions de la Constitution, restent en vigueur, tant qu’ils n’auront pas été modifiés ou abrogés… L’application de ce principe aurait conduit à admettre que les compétences concernées de la Cour suprême n’ont pas été abrogées et sont toujours en vigueur. Or, l’article 107 a été abrogé par les rédacteurs de la loi portant révision de la Constitution.

La technique du remplacement des articles modifiés ne permet pas de corriger le dysfonctionnement constaté dans l’espèce. Cette technique, utilisée par les rédacteurs des nouveaux articles de la Cons­titution, consiste à remplacer les articles modifiés, quelle que soit l’étendue de la modification, par des nouveaux articles portant les mêmes numéros. L’article 92 est l’un des 18 qui ont été ainsi remplacés dans la dernière loi portant révision de la Constitution. Le remplacement est un verrouillage qui ne laisse aucune possibilité de survivance des anciennes dispositions de l’article concerné. En revanche, la technique rédactionnelle basée sur le principe de subsidiarité utilisée dans la rédaction de la loi constitutionnelle n.2012-16 du 28 septembre 2012, consiste à n’inscrire dans le projet de loi portant révision de la Cons­titution que les dispositions nouvelles ou expressément reformulées ; toutes les autres restant en vigueur. Appliquée à l’espèce, cette technique aurait permis de réintégrer les dispositions concernées dans l’article 92, sans recourir à sa révision.

10. La révision de l’article 92 de la Constitution, au besoin en procédure d’urgence, permettra de régler ce dysfonctionnement pour l’avenir.

Mais dès à présent se pose un problème juridique qu’il est encore plus urgent de régler. En effet, depuis la promulgation des nouveaux articles de la Constitution le 5 avril 2016,  la Cour suprême est privée de la partie substantielle de ses compétences constitutionnelles.

Il semble dès lors indiqué que le président de la Répu­blique, en application de l’une des nouvelles dispositions de l’article 92 de la Constitution, saisisse le Conseil constitutionnel pour avis sur la question de savoir si la Cour suprême peut continuer d’exercer des compétences qu’elle ne tient plus de la Constitution et quelle est la validité juridique de celles de ces compétences omises ou supprimées qu’elle exerce depuis le 5 avril 2016.

 

Professeur Jacques Mariel NZOUANKEU

Directeur de la Revue des Institutions politiques et administratives du Sénégal – Ripas

ripassen@yahoo.fr  

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