Qui n’a pas entendu ces propos dithyrambiques des Sénégalais : « Nous n’avons ni diamant ni pétrole, pourtant nous sommes écoutés et respectés partout dans le monde ». Je suppose que de telles allégations reposent sur la stabilité politique, mais surtout sur l’intelligence de l’homo senegalensis. Aujourd’hui que nous avons découvert du pétrole, du gaz naturel et d’autres ressources minières « abondantes et de bonne qualité », je suis en droit de me demander si ces ressources s’opposent au génie sénégalais tant vanté. Les importantes attentes placées sur l’exploitation du pétrole et du gaz naturel au Sénégal sont légitimes au regard des transformations socio-économiques qu’elle doit impulser. Ces attentes sont légitimes eu égard aux avantages que procure le statut de pays producteur ; ce n’est pas pour rien que le pétrole est appelé « l’or noir ». Un pays qui en dispose peut s’attendre à ce que son économie puisse atteindre une nouvelle dimension. L’augmentation des importations et la correction de notre balance commerciale, séculairement déficitaire, auront des retombées socio-économiques non négligeables en termes de création d’emplois et d’accroissement du pouvoir d’achat des populations.
Le pétrole et le gaz naturel permettront au Sénégal de forcer le respect des pays qui l’ont toujours vu comme un Etat de petit gabarit. L’intégration de l’Opep va nous octroyer un poids diplomatique plus lourd et, comme les autres, nous disposerons d’un moyen de pression supplémentaire qui rendra notre voix plus audible dans le banquet des grandes nations.
Cependant, ce nouveau statut de pays producteur et exportateur ne fait pas que des heureux. Bien au contraire, il affole même plus d’un pour qui les ressources minières comme le pétrole sont source de malheur. Cette inquiétude, souvent désignée sous la célèbre appellation de « malédiction du pétrole », n’est pas sans fondement compte tenu des nombreux conflits qui ont un soubassement relatif à son exploitation. Ce ne sont pas les exemples qui manquent en Afrique. Une superposition des cartes des ressources naturelles et des conflits donnera une idée nette de la situation. De fait, les foyers de tensions les plus difficiles à régler correspondent aux zones les plus riches en matières minérales. Le diamant sierra léonais et libérien, le pétrole nigérian et tchadien, l’uranium nigérien et le scandale géologique congolais n’ont pas permis d’améliorer la situation économique et sociale de ces pays africains. Ces ressources les ont plongés dans des situations désastreuses qui les enlisent encore dans des conflits sanglants et complexes.
Mais des exemples de réussite ne manquent pas dans le monde, même s’ils sont rares en Afrique. Beaucoup de pays ont profité de la manne pétrolière pour s’inscrire résolument dans les vertes prairies du développement. En Afrique, on peut citer le cas de l’Algérie qui, même si le pétrole n’a pas permis de régler toutes les contradictions, a réussi à éviter les difficultés que l’on prête à l’exploitation de cette ressource. Ailleurs, les pays du Golfe persique, le Pérou, etc., ont su tirer profit des bénéfices du pétrole et se hisser à des niveaux de développement plus élevés. Naturellement, il convient, pour le futur pays producteur et exportateur de produits pétroliers qu’est le Sénégal, de méditer sur le sort des pays victimes du pétrole et de s’inspirer des Etats modèles qui ont réussi à mettre à profit les bienfaits de leur sous-sol ; le benchmarking aura tout son sens dans cette situation.
En attendant, retenons ces quelques orientations d’un citoyen qui souhaiterait que les Sénégalais d’aujourd’hui et de demain puissent bénéficier pleinement de ce qui pourrait être une véritable aubaine.
Par ailleurs, l’exploitation de ces ressources doit respecter l’environnement. On sait déjà que les gisements se trouvent dans des zones très sensibles du point de vue de la biodiversité. D’ailleurs, le gaz naturel et le pétrole se trouvent dans des zones de polarisation d’Aires marines protégées (Saint-Louis et Sangomar). Les installations doivent tenir compte de ces initiatives, les renforcer et, surtout, éviter de contribuer à leur affaiblissement ou à leur destruction. Une part conséquente des retombées de cette exploitation est à investir dans l’amélioration du système de gouvernance de ces Amp.
De plus, les minerais ne sont pas inépuisables. A partir de ce moment, une bonne partie des recettes réalisées devrait être investie dans la diversification des activités économiques. Si le pétrole nous permet de réaliser la révolution agricole tant attendue, je pense qu’il nous aura permis de franchir un grand pas dans notre marche vers le développement. Les ressources comme le pétrole devraient être des leviers pour stimuler les autres secteurs de l’économie et non pas le support principal de celle-ci pour au moins deux raisons. D’une part, le caractère très instable des cours pétroliers qui plongent les producteurs n’ayant pas la capacité d’anticipation dans des crises longues et difficiles. D’autre part, la mobilisation mondiale contre les énergies fossiles finira tôt ou tard par sonner le glas de l’hégémonie du pétrole et ses dérivés au profit des énergies moins destructrices pour le climat et moins dégradantes pour la santé humaine.
Au-delà de ces faits, l’exploitation des ressources énergétiques requiert de notre part et de la part de nos leaders politiques de beaucoup d’intelligence et de délicatesse. Le plus difficile est de s’affranchir des diverses pressions des multinationales qui ne broncheront pas à jouer sur tous les claviers, réglementaires ou non, pour s’arroger les retombées de l’exploitation de nos ressources. Je ne reviendrai pas sur ce dont elles sont capables pour arriver à leurs fins. Je ne veux pas penser au Rwanda, à la Libye, à l’Irak, etc. Par conséquent, la balle est dans le camp de ceux qui ont la lourde charge et la responsabilité historique de signer les contrats. De grâce, ayez toujours en tête ce que peuvent être les conséquences de vos actes d’aujourd’hui sur les 50, voire 100 ans à venir. Les Sénégalais de cette génération vous jugeront.
Les armes les plus redoutables contre le cynisme de ces prédateurs sans vergogne sont la transparence, l’honneur et le patriotisme. Il est heureux d’entendre le président de la République, lors de l’audience accordée au Cese, dire : « C’est maintenant qu’il faut réfléchir sur ce que nous devons faire de ces ressources et pas lorsqu’on aura commencé leur exploitation ». Mais ma joie et ma satisfaction ont été extrêmes pendant la cérémonie de lancement du dialogue national, lorsqu’il a annoncé l’inscription du Sénégal dans l’Itie (Initiative pour la transparence des industries extractives). Ce geste mérite d’être souligné, car montrant une volonté apparente de transparence puisqu’on sait déjà que la norme Itie permet aux citoyens de constater, eux-mêmes, quels sont les montants perçus par leur gouvernement et issus des ressources naturelles de leur pays.
Sachant que l’Itie n’intervient qu’en aval, après la signature de tous les contrats d’exploitation, il faudrait en amont adopter la démarche Irs (Investissement socialement responsable) pour s’entourer de toutes les garanties et parer à toutes les fâcheuses éventualités. Cette nouvelle approche consiste à ne sélectionner que les entreprises ayant les meilleures pratiques environnementales, sociales et de gouvernance. De façon plus explicite, il s’agit, pour nos gouvernants, d’être très regardant sur l’historique des entreprises qui seraient intéressées par la filière pétrolière sénégalaise. Par historique, j’entends les antécédents de ces entreprises en Afrique et dans le monde par l’utilisation de certains critères comme le traitement des salariés, les investissements utiles et les bonnes pratiques en matière de préservation de l’environnement. A partir de ce moment, nous pouvons être sûrs de la fiabilité, de la crédibilité et de la bonne foi de nos partenaires économiques et financiers à nous accompagner à tirer réellement partie de nos ressources, puisque l’objectif étant, au finish, de disposer pleinement de toute la chaine de valeur de l’exploitation.
La prise en charge des aspirations légitimes des populations par un partage juste et équitable des ressources est également un facteur de pérennisation de la filière et un facteur non négligeable de stabilité. Depuis quelques années, le Sénégal produit de l’or et, jusqu’ici, aucune information n’est accessible au grand public sur l’apport de cette exploitation dans l’amélioration des conditions de vie, même le prix du gramme n’a connu aucune baisse sur le marché national. Voilà un exemple à ne pas perpétuer sous peine de réveiller la furie de ces millions de citoyens en quête d’un avenir meilleur. On ne s’attend pas moins à ce que le prix du carburant à la pompe baisse substantiellement et à ce que le prix de tous les produits dérivés du pétrole soit cassé. Ce n’est que dans ces conditions que le signe indien assorti aux richesses minières pourra se vaincre.
Si nous ne sommes pas encore prêts à faire preuve de rigueur, de sérénité, de poigne, bref, d’efforts nécessaires pour encadrer la filière des produits énergétiques, mieux vaut ne pas ouvrir la boîte de Pandore et laisser d’autres générations, plus matures, s’occuper de cette affaire. Les pétro-cfa ne valent pas notre stabilité et notre quiétude. Je dois reconnaitre la manifestation de bonne foi et la capacité des autorités à gérer convenablement ces questions, mais restons sur nos gardes.
Yakhya BADIANE
Géographe/
environnementaliste
yakhyabadiane@gmail.com