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L’école, Le Prince Et Le Marabout

L’école, Le Prince Et Le Marabout

La récente médiation réussie des chefs religieux dans la résolution de la crise qui oppose l’Etat du Sénégal aux enseignants se doit d’être saluée. Car démontrant, si besoin en était encore, le rôle éminemment important que les acteurs religieux sénégalais ont historiquement joué, et continuent de jouer, dans la stabilité, l’apaisement social et la préservation des équilibres fondamentaux de notre pays. Ceci, quelles que soient les critiques, souvent tendancieuses et idéologiquement orientées, des classes intellectuelles laïcisées ou salafisées sur les « chefferies religieuses féodales » et les « confréries non orthodoxes », dont certaines limites sociologiques objectives et éléments non vertueux ne les ont nullement empêché de jouer jusqu’ici une partition que lesdites classes n’ont jamais pu jouer et qu’elles auraient même beaucoup de mal à suppléer. Fi sëriñ si jaar, ku fa jaar taq ban. C’est cela la vérité. La triviale. Loolu la Yàlla dogal.

Toutefois, aussi importante que soit cette mission originelle reconnue aux acteurs confrériques, il n’en demeure pas moins que celle-ci se doive d’être revue et mieux contextualisée. Au vu surtout d’un certain nombre d’éléments et de faits qui, à défaut d’être mieux appréhendés, risquent même de décrédibiliser à terme l’institution religieuse et de l’empêcher de jouer, dans le futur, ce rôle dont le pays a tellement besoin.

Pour reprendre l’exemple de sa récente implication dans la crise scolaire, il nous paraîtrait assez naïf de croire que les seuls appels à l’apaisement des deux camps, sans une véritable suite, puissent résoudre durablement une situation s’étant complexifiée au fil des décennies et qui n’a que trop duré. En effet, le risque est grand que, les mêmes causes étant connues, jusqu’à preuve du contraire, pour produire les mêmes effets, tant que cette médiation ne s’attaquera pas courageusement aux SOURCES du mal profond qui gangrène l’école sénégalaise et les systèmes éducatifs alternatifs (daaras etc.), d’autres crises majeures, peut-être même plus graves, seront à prévoir. Et les mêmes « marabouts » d’être de nouveau rappelés, encore et encore, à la rescousse pour jouer, en catastrophe, les sapeurs pompiers ou, pis, aux « médecins après la mort », comme l’on dit. Cette mort déjà programmée de l’école sénégalaise, atteinte d’un cancer en phase terminale et dont les derniers soubresauts bruyants et pathétiques ne sauraient être étouffés et réprimés par de simples compresses symboliques ou sparadraps religieux.

C’est cela le drame ou malformation congénitale du « contrat social sénégalais » entre religion et politique. Les religieux sont confinés et se complaisent trop souvent dans la fonction d’ « infirmiers », chargés de pallier les symptômes des maux et germes suscités par les actes, choix problématiques et intérêts des hommes politiques sur les masses. Se contentant, pour l’exercice de cette fonction subalterne, d’un maigre salaire d’infirmier et des avantages (dits clientélistes) y afférents. Alors que, et c’est cela le « drame », leurs dispositions et vocations naturelles, la place historique et affective inégalée de la religion dans ce pays, les attentes infinies que celle-ci suscite dans la mémoire collective et le psyché senegalensis, tout, vraiment tout, milite pour que les religieux soient les chirurgiens de cette nation. Des chirurgiens qui ont fait montre, dans le passé, de leurs talents médicaux, par une césarienne morale de qualité, aux durs moments de la gésine prénatale et de l’enfantement national. Eux qui ont, très souvent, dû ligaturer, recoudre courageusement, refermer des plaies purulentes, extirpé au dur scalpel des daaras et des darous des tumeurs ethniques et sociales ayant eu raison d’autres peuples. Même si, malheureusement, quelques fois, de trop jeunes ou peu regardants praticiens ont terni leur profession, par l’amour inconsidéré du lucre et du stupre, les ayant mené au commerce ignominieux d’organes et d’âmes palpitantes. Mais ce ne fut pas, n’est-ce pas, pour rien que l’expression « brebis galeuses » fut inventé.

Cette fonction « chirurgicale » de premier plan, dont le salaire correspondant va bien au-delà des miettes et des mallettes, des passeports et des passe-droits, des aides aux magals ou dons aux gamous, des résidences et palais de la présidence – ces primes d’infirmier – mérite assurément plus. Elle mérite que les religieux ne soient plus uniquement utilisés par les acteurs politiques comme de simples pions ou courtiers dans leurs jeux de positionnement et leurs joutes pour le pouvoir. Elle mérite plus qu’un rôle subalterne.

Pour exercer pleinement cette prérogative et contribuer efficacement dans la résolution durable de la crise scolaire, les religieux doivent ainsi, pour reprendre cet exemple, se montrer plus exigeants. Plus exigeants envers eux-mêmes d’abord, envers les acteurs politiques et sociaux ensuite. En quoi faisant ?

C’est cette attitude responsable et de plus de prise de responsabilités dans les problématiques fondamentales de leur pays, sans aucun parti pris ou compromission, que les sénégalais attendent de leurs élites religieuses. Et tant que ces responsabilités ne seront pas pleinement prises pour l’avènement de plus de justice sociale et celui du vrai « Dîn ». Et, qu’au contraire nous, acteurs religieux, acceptons d’être manipulés ou cantonnés par les politiques dans la périphérie de leurs « Deals ». Nous risquons non seulement de devenir des « Serigne Deal » non crédibles et disqualifiés, mais ne pourrons ni faire avancer significativement cette nation, ni notre religion. Ce qui serait bien dommage.

Ce pays, qui est le nôtre, a donc plus que jamais besoin, non pas de « Serigne Deal », mais de véritables « Serigne Dîn », intègres et pleinement conscients de leur noble sacerdoce, pour le faire avancer.

 

A Aziz MBACKE majalis

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