A cet effet, un guide a été élaboré par l’organe dirigeant du football africain, dans lequel sont déclinés les exigences et critères imposés aux clubs aspirant participer aux compétitions au niveau continental. Une telle mesure est salutaire car permettant de renforcer le développement du football dans notre continent. Il est précisé dans ce guide que l’objectif visé par la CAF à travers l’instauration d’une telle licence est, entre autres, l’amélioration de la capacité économique et financière des clubs, par la gouvernance d’entreprise et le contrôle.
Cette exigence relative à la pratique de la gouvernance d’entreprise et du contrôle, appliquée aux organisations sportives en charge du football, mérite une attention particulière, surtout dans le contexte actuel marqué par de nombreuses difficultés auxquelles sont confrontés les clubs de football professionnel au Sénégal.
Avant d’aborder le contexte du football local, il importe de rappeler la zone de turbulence dans laquelle s’est retrouvée l’instance dirigeante du football mondial, la Fédération internationale de Football Amateur (FIFA), ce qui a provoqué le départ de l’ancien Président Joseph Blatter et d’autres hauts responsables accusés de corruption. Face à cette situation, les nouveaux dirigeants de la FIFA font de la bonne gouvernance une priorité majeure.
Dans le cadre de notre contribution, le problème de la gouvernance du football au Sénégal sera abordé non pas sous l’angle de la corruption comme ce fut pour la FIFA, mais plutôt sous l’angle des difficultés persistantes auxquelles sont confrontés les clubs professionnels. Face à ces difficultés, les principaux responsables en charge de la gestion du football au Sénégal ne cessent d’interpeler l’Etat, pour réclamer un appui financier. C’est le cas d’un haut responsable de la Fédération Sénégalaise de Football (FSFB), le mardi 19 janvier 2016, lors d’une émission organisée par une chaîne de télévision. La même préoccupation a été formulée par un haut responsable de la Ligue de football professionnel (LFP), sur le même plateau de télévision, au lendemain de l’élimination de l’équipe nationale de football locale pour le CHAN Rwanda 2016.
Sur cet aspect précis concernant l’appui financier de l’Etat, il y a lieu de rappeler la position de Monsieur Pape DIOUF, ancien Président de l’Olympique de Marseille (OM), dans un article intitulé « Le foot pro sénégalais n’est pas viable » et publié sur le site internet WiwSPORT en date du 24 août 2014. Pour l’ancien Président de l’OM, « quand des gens décident de créer une activité privée, commerciale, il leur revient à eux de trouver les financements, d’organiser leur business. On ne peut pas ouvrir une boutique et demander l’aide de l’État ».
A cet égard, il importe de noter que pour ce qui concerne la gestion du football, l’Etat a délégué ses pouvoirs à la Fédération Sénégalaise de Football (FSFB). La délégation, par définition, est l’action de charger une personne physique ou morale d’une mission, d’une fonction, avec pouvoir d’agir ; l’action de transmettre un pouvoir à quelqu’un. Une délégation de pouvoirs est un acte juridique par lequel une autorité (le délégant) se dessaisit d’une partie de ses pouvoirs et les transfère à une autorité subordonnée (le délégataire). Le délégataire assume alors les obligations et les responsabilités liées aux pouvoirs qui lui sont délégués. Ainsi, dans l’exercice de ses missions et prérogatives, le délégataire de pouvoir est censé s’aligner sur les mêmes exigences de gouvernance que le délégant ou faire mieux.
Sur le plan de la gouvernance, nous constatons un déphasage réel entre le délégant (l’Etat) et le délégataire (FSFB). En effet, au moment où la CAF incite nos clubs à faire des efforts dans la gouvernance, l’Etat du Sénégal a fait des progrès avérés dans ce domaine. La bonne gouvernance constitue une préoccupation majeure pour nos Etats africains et figure parmi les 5 aspirations majeures des peuples africains sur lesquelles est basé l’Agenda 2063 de l’Union Africaine ; les quatre autres aspirations étant la démocratie, le respect des droits de l’homme, la justice et l’Etat de droit.
Dans ce domaine, l’Etat du Sénégal met en œuvre depuis plusieurs années un Programme national de Bonne Gouvernance dont les effets attendus sont la création de conditions propices à la croissance économique et au développement humain durable, à travers entre autres, un cadre institutionnel et administratif transparent, efficace et efficient ; un partenariat effectif entre l’Etat et les organisations du secteur privé et de la société civile ; des ressources humaines bien formées, motivées et imprégnées des principes de bonne gouvernance. C’est ainsi qu’en 2013, le Sénégal a enregistré sa plus forte progression depuis 2000 sur l’Indice Ibrahim, qui établit un classement des performances réalisées par les 54 pays d’Afrique à travers quatre catégories de gouvernance (Sécurité et souveraineté du droit, Participation et droits de l’homme, Développement économique durable, Développement humain).
Dans la même optique, l’Etat du Sénégal s’est engagé dans la mise en œuvre de la gestion axée sur les résultats. Le 2 septembre 2014, le Groupe de la Banque Africaine de Développement mentionnait sur son site internet que « le Sénégal recourt à l’approche de la gestion axée sur les résultats de développement pour contribuer à mettre en œuvre le Plan Sénégal émergent de manière plus efficiente. Un leadership efficace pour des résultats entraîne une plus grande capacité à planifier, budgétiser, mettre en œuvre, à suivre et être redevable des résultats obtenus ».
En effet, plusieurs structures étatiques se sont inscrites dans la logique de la gestion axée sur les résultats, à travers l’élaboration de lettres de politique sectorielle de développement par les ministères techniques, de plans stratégiques de développement par les établissements publics, sociétés nationales et agences, sans oublier les contrats de performances qui sont devenus une pratique courante entre les services liés hiérarchiquement.
Sur le volet relatif à la gestion budgétaire, l’indice sur le budget ouvert du Sénégal est passé de 10 en 2012 à 43 en 2015 selon l’Union européenne. L’UE explique que ce bon qualitatif est dû à une transparence budgétaire qui s’est traduite par la régularité dans la publication de la Loi de Finances Initiale, des lois de règlements, ainsi que des situations d’exécution budgétaire trimestrielle. Pour l’UE, l’ouverture affichée pour impliquer la société civile dans le processus budgétaire pourrait permettre, à terme, d’importantes avancées dans la transparence budgétaire et la supervision du budget.
Avec de telles avancées réalisées par l’Etat dans le domaine de la gouvernance, il est surprenant de constater qu’une structure délégataire de pouvoir de l’Etat ne soit pas au même niveau de performance que son délégant, quand on sait que les procédures au sein de l’Etat souffrent souvent des lourdeurs administratives et que les structures délégataires de pouvoirs ont l’avantage d’avoir des procédures plus souples favorisant la pratique de la bonne gouvernance. Au moment où les efforts de l’Etat dans le domaine de la gouvernance sont appréciés positivement par des partenaires telles que la BAD et l’UE, la CAF invite les clubs de football sénégalais à faire des efforts dans la Gouvernance.
Face aux difficultés criardes auxquelles sont confrontés les clubs de football professionnel qui sont devenus des sociétés privées s’activant dans le sport-business, de hauts responsables de la FSFB et de la LFP ont proposé la même solution, à savoir l’appui financier de l’Etat. Il faut cependant rappeler que nous sommes présentement dans le contexte de l’Etat-Stratège, un contexte différent de celui de l’Etat-Interventionniste, ce qui justifie les nombreuses initiatives prises par l’Etat pour améliorer l’environnement des affaires, afin de permettre au secteur privé de porter la croissance économique du pays.
Les clubs de football professionnel étant des sociétés privées, on s’attend logiquement à ce qu’ils trouvent les solutions leur permettant de contribuer à la création de richesse dans notre pays.
Il est certes légitime pour tout acteur économique national de solliciter l’appui de l’Etat, mais les stratégies préconisées par la CAF en vue d’améliorer la situation économique et financière des clubs, à savoir la gouvernance d’entreprise et le contrôle, interpellent les acteurs chargés du management des clubs de football en Afrique en général et particulièrement au Sénégal où nos clubs n’arrivent pas à s’affirmer au niveau africain.
En effet, les organisations modernes, à travers leurs documents de planification stratégique, déclinent leur vision, fixent leurs objectifs, stratégies et résultats attendus et mettent en place un dispositif de suivi évaluation. Un tel schéma permet aux acteurs internes et externes de l’organisation de pouvoir apprécier la performance de l’organisation et de contribuer à son développement.
Ainsi, en application des principes de la gouvernance d’entreprise, les instances dirigeantes du football professionnel au Sénégal devraient procéder à l’évaluation de cette riche expérience que constitue le démarrage du championnat professionnel. Les dirigeants du football ont certes eu le mérite de faire le grand saut en permettant à notre pays d’entrer dans l’ère du football professionnel, mais la résolution des difficultés rencontrées appelle une approche particulière, différente de celle avancée déjà et relative à l’intervention financière de l’Etat.
Après 7 années d’expérimentation du professionnalisme, il est impératif de procéder à l’évaluation de cette courageuse et ambitieuse expérience suivant une approche inclusive permettant à toutes les parties prenantes de contribuer à la résolution des difficultés constatées, notamment celles d’ordre financier. L’approche consistant à vouloir proposer des solutions pour résoudre les problèmes sans une évaluation préalable ne serait pas conforme avec la pratique de la bonne gouvernance d’entreprise préconisée par la CAF.
Dans l’article cité plus haut, Monsieur Pape DIOUF disait que « le sport sénégalais, et plus particulièrement le football sénégalais, a besoin d’un diagnostic dur, qu’on ne peut pas soigner un mal, quand on ne le diagnostique pas clairement ».
Concernant particulièrement le financement du football professionnel au Sénégal, une évaluation du chemin parcouru permettrait d’identifier les problèmes réels et de trouver un mode de financement adapté à notre contexte socio-économique. Les réalités étant différentes d’un pays à un autre, il nous faut faire l’effort de trouver un mode de financement approprié. On ne peut réussir la reproduction d’un modèle pratiqué ailleurs que si l’on réunit les mêmes conditions économiques, culturelles et sociales.
Il aurait été souhaitable qu’au démarrage de l’ambitieuse expérience que constitue l’avènement du football professionnel, les orientations et objectifs soient déclinées dans un programme précis pouvant faire l’objet d’un suivi et d’une évaluation sur la base d’indicateurs préalablement définis. Le choix pouvait être porté sur un programme pilote se déroulant sur quelques années et qui à terme ferait l’objet d’une évaluation, avant d’entrer dans une deuxième phase visant à corriger les dysfonctionnements constatés et à développer davantage le football professionnel au Sénégal. A défaut d’une programmation précise basée sur des objectifs clairs, on risque de verser dans un pilotage à vue.
Il est donc évident que la recommandation de la CAF relative à l’application des principes de la gouvernance d’entreprise et du contrôle constitue un défi majeur pour les acteurs impliqués dans la gestion du football professionnel au Sénégal. De manière plus précise, les nouveaux critères fixés par la CAF pour obtenir la licence autorisant la participation aux compétitions interclubs ont pour objectifs de poursuivre la promotion et l’amélioration du niveau et de la qualité de tous les aspects du football en Afrique ; de veiller à ce que les clubs aient un niveau de gestion et d’organisation approprié ; d’adapter et de développer l’infrastructure sportive des clubs ; d’améliorer les performances économiques et financières des clubs, de renforcer leur transparence, leur crédibilité et leur contrôle ; de garantir la continuité des compétitions internationales de clubs au cours de la saison ; de permettre la comparaison entre clubs sur des critères financiers, sportifs, juridiques, administratifs et d’infrastructure.
Cependant, la réalisation des objectifs fixés par la CAF nécessite l’implication de ressources humaines compétentes. Le cas de la FIFA est assez illustratif à ce propos. Le Président de l’instance dirigeante du football mondial nouvellement élu, Monsieur Gianni Infantino, après avoir porté son choix sur Madame Fatma Samba Diouf Samoura, ancienne Diplomate qui a fait sa carrière aux Nations Unies, pour assurer les fonctions de Secrétaire général, a dit d’elle : « Je suis certain que ses idées auront un impact très positif sur l’ensemble de l’institution ».
Ainsi, pour trouver une solution aux récents problèmes qui ont terni l’image du football mondial, le Président Gianni Infantino a fait appel à une compétence extérieure au système, faisant sienne une assertion du très célèbre savant Albert EINSTEIN qui affirmait : « On ne résout pas les problèmes avec les pensées qui les ont engendrés ».
Espérons que les responsables fédéraux du football sénégalais, les responsables de la ligue de football professionnel et les dirigeants des clubs de football professionnel auront la sagesse de s’attacher les services de compétences capables d’apporter leur contribution pour l’amélioration de la gouvernance du football dans notre pays.
Paul DIONNE
Administrateur Civil
Maîtrise STAPS (INSEPS)
DESS Gestion de Projet (CESAG)
MBA Management du Sport ESG Paris (en cours)
Email : kordionne@gmail.com