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« Requiem For A Dream » : La Mort Programmée De La Démocratie Sénégalaise

« Requiem For A Dream » : La Mort Programmée De La Démocratie Sénégalaise

Henri Kissinger a dit que l’art de la bonne gouvernance consiste à se fixer des objectifs dans les limites de ce qu’une société peut accepter : il ne faut aller ni au-delà ni en-deçà. Il faut dire que le régime de Macky Sall est alors à mille lieux de la bonne gouvernance. En analysant les contours de ce pseudo dialogue national, on ne peut que faire le constat d’un énorme gâchis pour notre pays avec cette deuxième alternance (qui n’en est d’ailleurs pas une, car l’homme qui nous dirige a participé activement et férocement aux douze ans de règne du PDS). On mobilise des énergies et des passions soit pour divertir le peuple, soit pour le diviser et à la fin on vient se présenter comme un pape de la miséricorde et du dialogue ! Et si tout ceci n’était qu’une mise en scène pour occulter ses tartuferies ?

« En passant devant la maison du Président Wade, j’ai senti un frisson parcourir tout mon corps … Je rencontrerai les leaders de l’opposition… » Ainsi parla Macky Sall, ainsi toute la mascarade fut enclenchée. Ainsi donc sommes-nous gouvernés par les émotions d’un président : il a suffi d’une simple émotion présidentielle pour que le cours de l’histoire politique actuelle de notre pays soit infléchi. Un président qui est resté sourd aux appels à la raison de sa société civile et des mises en garde claire des intellectuels contre les dérives de sa gouvernance a subitement été piqué par une mouche de lucidité et d’humanisme. Ainsi le pseudo dialogue national fut imposé au Sénégal avec comme prologue un délire collectif de plusieurs heures au palais présidentiel. Ce sont assurément des surréalistes politiques qui ont imaginé ce scénario : un tel bavardage dans un lieu aussi symbolique pour une république que le palais présidentiel !

Alors qu’on s’attendait à ce que le PDS incarne dans l’adversité et l’honneur le statut d’une opposition dont la culture politique (opposition-pouvoir-opposition) est unique en Afrique, il s’est sans scrupule, rué vers un dialogue brusque et sans enjeu démocratique réel pour le pays. Comment ignorer que ce dialogue n’est rien d’autre qu’un moyen pour Macky Sall de se sortir de l’impasse dans laquelle il s’est fourré ? Il n’est pas permis de penser que le PDS ignore les desseins occultes du président : s’il va à ce dialogue c’est bien parce qu’il entend l’infléchir en sa faveur. Mais où est l’intérêt national dans tout ce jeu de dupes ? Le rôle historique des leaders actuels de ce parti devrait être d’encadrer et de façonner les jeunes dans la patience et la foi aux idéaux de leur parti : le PDS est un patrimoine national que nul n’a le droit de sacrifier sur l’autel des intrigues politiciennes d’un homme comme Macky Sall. Il y a des moments où les hommes de destin brillant comprennent que c’est à leur tour de porter le fardeau de leur époque quels que soient les sacrifices que cela pourrait leur coûter. On attendait du PDS qu’il fasse sa mue et mûrisse dans la patience et la sérénité une nouvelle offre politique. C’est toujours utile et même nécessaire de dialoguer, mais faudrait-il d’abord que certains fondamentaux soient respectés pour ne pas donner au peuple l’impression que la politique est un pays où tout le monde parle la même langue, fait la même chose et où on ne se déchire que par intérêts antagoniques.

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En promettant aux Sénégalais de traquer et de rapatrier 4000 milliards, puis 700, puis 137, détournés et planqués dans des banques à l’étranger, le régime de Macky Sall est allé au-delà des limites du mensonge. En mettant sur pied la CREI, il est allé au-delà de l’amateurisme d’État : car la corruption et l’enrichissement illicite existent et sont combattus dans tous les pays du monde, mais il n’y a nulle part une institution comme la CREI. Aujourd’hui il cherche à la supprimer sous sa forme actuelle parce qu’il sait qu’elle pourrait l’emporter lui-même et parce qu’il ne veut pas avoir une mauvaise surprise venue de l’étranger. Oui la CREI sera euthanasiée au terme d’un long processus de duperie nationale, elle tombera dans un coma irréversible tandis qu’on promulguera en douce des lois qui la suppriment de façon expresse ou tacite. Dans l’entendement de nos politiques la démocratie se résume à gérer la clameur : dès qu’elle s’estompe, le pays est bien géré et on peut tout faire !

Que dire des partis de gauche ? On les entend enfin vitupérer quand leur fond de commerce a été menacé par la décision de Macky (comme un dieu tout-puissant) de libérer Karim Wade injustement emprisonné depuis trois ans. La dépersonnalisation de la fonction présidentielle par Macky Sall sous le manteau de partage des responsabilités n’est qu’un mythe pour occulter la médiocrité et le manque d’assurance. Comme l’APR ne dispose pas d’un réservoir impressionnant de cadres, la part du gâteau des alliés était évidemment plus substantielle : les partis les plus insignifiants furent servis comme ils ne l’ont jamais été dans l’histoire de la gouvernance au Sénégal.

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Ces partis, dont l’ancrage au niveau des masses est presque nul, ont court-circuité la démocratie en se servant d’une litanie idéologique standardisée et répétée à outrance dans les médias. Ce que le peuple leur a toujours refusé, ils l’ont usurpé en envahissant les médias avec un discours bien rodé. Foncièrement incapables de formuler un discours politique programmatique ou une vision cohérente de politique économique, ils se sont imposés comme les champions de la défense de la probité dans la gestion des deniers publics. C’est évidemment toujours plus facile de surfer sur l’univers abstrait et incertain de la morale que de faire face à la complexité et à l’antinomie de la réalité effective. La vérité historique est pourtant là : la plus grande prédation de denier public consiste à légitimer le mensonge ! Car imaginez que le mensonge soit légitime : tous les faux-monnayeurs deviennent des saints et l’économie nationale s’affaisse dans les précipices de la corruption. Or ils ont tous légitimé le mensonge en bénissant le reniement de Macky Sall et le référendum qui lui servi d’auréole républicaine.

Ce mensonge qui a coûté cher au Sénégal n’est pourtant que la face visible de l’iceberg : personne n’a entendu les partis dits de gauche, siégeant au gouvernement, s’indigner de l’affaire Bictogo. Comment un parti soucieux de la bonne gouvernance peut-il légitimer une monstruosité institutionnelle comme le haut conseil des collectivités locales ? Les rapports qui épinglent des dignitaires de l’actuel régime, la violation d’interdiction de sortie du territoire par Ousmane Ngom sous la bénédiction coupable du Président, la signature scandaleuse des APE, les agissements antirépublicains à l’Assemblée nationale, l’implication de proches du régime dans le scandale des « panama paper’s », etc. : comment peut-on rester muet comme une carpe face à ces graves scandales et s’offusquer de la libération annoncée de Karim Wade ? Ces nouveaux adeptes de la richesse et du luxe nous précipitent dans la vallée profonde de la misère morale, eux qui prétendaient être les apôtres de cette morale. Le poids des privilèges s’accommode difficilement avec la liberté morale authentique. Cette morale borgne cache en réalité une réalité hideuse : la morale n’est pour eux qu’un moyen politique dont on peut se défaire dès que l’objectif est atteint.

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Quant aux partis héritiers du PS, leur agissement sous Macky Sall est la preuve que c’est le pouvoir qui les motive. Comment le parti de Senghor peut-il se résigner à manger à plusieurs râteliers à la fois ? Tels des capitaines solitaires dans leur navire, ils ont préféré accoster sur les rivages boueux du régime de Macky au lieu d’aller à la conquête patiente et démocratique du pouvoir. Ils ont préféré des strapontins à la virilité de jeunes militants qui avaient légitiment rêvé de monter que la démocratie sénégalaise pouvait s’approfondir avec une alternative crédible dans une opposition responsable et dynamique.

Si les Sénégalais rêvent d’une démocratie apaisée, mature et transparente, aussi bien dans sa configuration que dans son fonctionnement, ce n’est pas par utopie : ils le méritent au regard de leur valeur et de tous les sacrifices consentis. Mamadou Lamine Diallo, Imam Mbaye Niang, Cheikh Tidiane Gadio, Ibrahima Fall, Dialo Diop du vrai RND, Aïssata Tall Sall, Khalifa Sall du PS (celui qui a de l’avenir) et les belles promesses de l’arène politique sont aujourd’hui les seuls remparts contre le dépérissement de ce qui reste de la démocratie sénégalaise. Mais il faudra combattre les combines, la recherche effrénée d’avantage par la politique pour maintenir cette démocratie en vie.

 

Alassane K. KITANE, professeur au Lycée Serigne Ahmadou Ndack Seck de Thiès

Alassane K. KITANE

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