«Le meilleur gouvernement est celui où il y a le moins d’hommes inutiles.» Voltaire
Je ne cesserai de rappeler à nos chers dirigeants africains que l’on gouverne par des instruments efficients, organisés en un dispositif cohérent, soutenus par une vision politique pertinente, car auparavant incubée depuis nos territoires.
Malheureusement, au Sénégal la politisation à outrance, le copier-coller des orientations françaises de modernisation des territoires et l’absence de planification étatique impactent négativement notre volonté d’émergence. Cependant, tant qu’à copier la France, faisons-le avec pertinence, car l’acte III de la France a comme vision une modernisation des territoires déjà constitués et autour des 5 axes majeurs que François Hollande avait édictés lors de sa campagne :
- Un rapport annuel de la Cour des comptes sur les finances locales dirigé par des magistrats spécialisés et indépendants pour sanctionner les mauvais élèves. Pendant ce temps, au Sénégal nous récompensons des personnes indexées par l’Ige, des ministres virent et insultent des commissions de contrôle en toute impunité, l’Assemblée nationale est en redressement fiscal et la politique de reddition des comptes est poignardée par une bourgeoisie politisée…
- Le renforcement du principe de la subsidiarité autour du paradigme du Développement économique territorial. Selon ce principe, la région devient le chef de file des municipalités en France, comme un peu partout dans le monde sauf au Sénégal, où nous supprimons la région sans mesures transitoires.
- Les Ctap (Les Conférences territoriales de l’action publique) dans chaque territoire français pour permettre d’éliminer les doublons, les financements croisés tout en préservant l’incitation à l’initiative des projets de territoire. Chez nous, on se suffit de conseils des ministres déplacés dans les locaux des gouvernances des 14 régions ; le temps d’une journée …
- Le statut de métropole pour les territoires ayant une dimension accentuée. Chez nous, c’est l’inverse, on démantèle Dakar de ses prérogatives, Thiès est ignoré, le statut de Touba est aux oubliettes et la Casamance comme premier pôle de développement, peut encore attendre.
- Enfin, le Haut Conseil des Territoires. Il est l’axe le moins pertinent dans le contexte institutionnel français. Il sera d’ailleurs retiré du projet de loi devant l’hostilité du Sénat français. Et vous l’aurez deviné, le ridicule ne tuant pas, nous, c’est exactement cette instance que nous allons adopter, sur l’ensemble des cinq axes.
Ainsi, l’acte 3 français est bien un acte de modernisation des territoires déjà constitués, alors qu’au Sénégal le lien fonctionnel entre la territorialité et la décentralisation est en balbutiement. Nous devons comprendre que le Hct doit être une émanation des acteurs des territoires qui ont ainsi la légitimité de dialoguer avec l’exécutif central, en présence d’une administration technique et non pas une bureaucratie de commandement.
Par ailleurs, pour des soucis d’efficience, il y a un risque de triplons entre la Commission de dialogue des territoires (Dirigée par Djibo Leyti Ka), les associations d’élus et le Hcct.
Cependant, l’idée d’un cadre institutionnel permettant aux territoires d’être consultés, d’échanger et d’exprimer les améliorations à apporter peut être souhaitable devant l’absence du Sénat pour la décentralisation sénégalaise. Mais encore, faudrait-il que la réforme de la décentralisation soit finalisée avec une nouvelle architecture spatiale, organisationnelle, financière et de gouvernance aboutie, instaurée et légitimement élue. Le Hct ne peut donc pas précéder l’érection des territoires dont il est censé être une résultante. Son utilité en dépend, car il sera également appelé «à nourrir, par ses études et propositions, la réflexion du gouvernement sur les grands enjeux de l’organisation territoriale et de la gouvernance locale», dixit François Hollande.
In fine la création du Hct ne sera pertinente qu’après l’aboutissement de la réforme de territorialisation et de décentralisation. N’en déplaise à une classe de politiciens de métier dont le réflexe est d’accélérer la naissance de cette institution faîtière, car pourvoyeuse de bureaux climatisés, de millions, de 4×4, de gasoil et d’abonnement téléphonique illimité.
Retenons que le bon fonctionnement du Hct repose sur des principes de légitimité, d’équité entre les acteurs et d’indépendance dans les procédures. Par conséquent, le Hct ne peut pas être sous l’autorité des services de l’État et son autonomie financière doit provenir des dotations des collectivités locales. Créer le Hct en l’état actuel des choses serait une charrue de plus avant les bœufs, telle la charrette de Djibo Leity Ka avec sa Commission du dialogue des territoires. Soit dit en passant, et pour ce qu’elle nous coûte, cette commission peut bien jouer une mission transitoire de concertation et de dialogue, en appui à la commission en charge de finaliser l’acte 3 de la Décentralisation, et disparaître ensuite pour laisser la place à un Hct indépendant, libre et efficient.
Ainsi, en planification étatique, la planification dite globale doit assurer la cohérence du dispositif de gouvernance dans sa globalité. Car, comme disait le grand philosophe français Jean Bénigne Bossuet 1627-1704 «Le gouvernement est un ouvrage de raison et d’intelligence »…
Moussa Bala FOFANA
Conseiller Financier en Banque – Montréal / Canada.
Ancien Conseiller Technique du Gouvernement du Sénégal (2012-2013)
Consultant en Planification, Gestion et Suivi-Évaluation des Politiques publiques
Expert en Planification, ingénierie urbaine, Développement Territorial et Transfrontalier
ctfofana.matcl@gmail.com // https://www.facebook.com/moussabala.fofana
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