Cette question revient très souvent dans l’espace médiatique. Elle a commencé à être évoquée suite à la polémique liée à la double nationalité de Monsieur Wade pour finir par celle qui a émaillé sa condamnation à six (06) ans d’emprisonnement ferme et une amende de 138 milliards de FCfa.
Depuis sa libération par grâce présidentielle, cette question est devenue plus qu’actuelle. Tout récemment, dans une nouvelle émission très suivie pendant ce mois de Ramadan, une des animatrices a soutenu que «Monsieur Karim Wade serait éligible pour la présidentielle de 2019 parce que la Crei n’a pas prononcé la déchéance de ses droits civils et politiques». D’autres membres du Pds ou appelés «karimistes» abondent aussi dans le même sens, pendant que certains comme Me Babou ou même des membres de la majorité disqualifient d’emblée le candidat Karim Wade.
Toutes ses supputations nous ont poussé à écrire ces lignes dans le but d’apporter des éclaircissements sur ce qu’il convient d’appeler le cas Karim Meissa Wade. En effet, nous ne voudrions pas que certains «experts» sèment la confusion dans l’esprit des Sénégalais et qu’à la veille de la présidentielle de 2019, l’on s’attaque à nouveau à notre «pauvre Conseil constitutionnel» pour avoir, encore fait correctement son travail. Parce qu’en effet, il n’y a rien de flou dans la situation juridique de l’actuel candidat du parti démocratique sénégalais (Pds).
Tout ce qui concerne sa situation de candidat à une élection présidentielle fait intervenir trois (03) textes à savoir la Constitution, le Code pénal et le Code électoral.
Cependant, dans notre contribution, nous ne nous intéresserons qu’à sa dernière situation ayant trait à sa condamnation pour enrichissement illicite, l’empêchant ou non de se présenter à une élection présidentielle.
L’enrichissement illicite est un délit introduit dans le Code pénal par la loi N°81-53 du 10 juillet 1981. Ce délit «est constitué lorsque sur simple mise en demeure», la personne soupçonnée d’enrichissement illicite, «se trouve dans l’impossibilité de justifier l’origine licite des ressources qui lui permettent d’être en possession d’un patrimoine ou de mener un train de vie sans rapport avec ses revenus légaux». Il est «puni d’un emprisonnement de cinq à dix ans et d’une amende au moins égale au montant de l’enrichissement et pouvant être portée au double de ce montant» (article 163 bis du code pénal du Sénégal).
L’illicéité de l’enrichissement pouvant provenir ainsi, de toute activité qui n’est pas permis, qui est contraire à un texte (loi, décret ou arrêté), à l’ordre public et aux bonnes mœurs et suivant la loi 81-53 de la non justification de ressources correspondant au train de vie (un délit bien connu en droit français sous une autre forme et logé aux articles : 321-6 et suivants du Code Pénal français). La seule preuve d’une libéralité n’exonérant pas la personne poursuivie.
Alors la personne dont il est question, est un monsieur condamné à six (06) ans ferme pour le délit précité et qui est candidat d’un parti à une élection présidentielle.
Et puisqu’en matière d’élections, c’est un texte spécial qui s’applique, en l’occurrence le Code électoral, il nous semble nécessaire de voir qu’elle est la situation du sieur Wade au regard de ce texte ?
Si nous jetons un coup d’œil dans le Titre premier (Loi n° 2014-18 du 15 avril 2014 abrogeant et remplaçant la loi n° 2012-01 du 03 janvier 2012 portant Code électoral [partie législative], modifiée) qui régit le corps électoral, nous avons déjà quelques pistes de solutions.
Premier constat. Il y a l’article L.31 alinéa 2, qui nous dit ce qui suit : «Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale…ceux condamnés à une peine d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée supérieure à un mois, assortie ou non d’une amende, pour l’un des délits suivants : vol, escroquerie, abus de confiance, trafic de stupéfiants, détournement et soustraction commis par les agents publics, corruption et trafic d’influence, contrefaçon et en général pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à cinq (05) ans d’emprisonnement». A la lumière de ce texte, Monsieur Karim Meissa Wade qui a été condamné à une peine de six (06) ans d’emprisonnement pour un délit passible d’une peine de dix (10) ans d’emprisonnement, ne doit pas être inscrit sur une liste électorale.
Deuxième constat. L’article L. 31 continue en disposant dans son alinéa 3, qu’ils ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale, «ceux condamnés à plus de trois (03) mois d’emprisonnement sans sursis… pour un délit autre que : [vol, escroquerie, abus de confiance, trafic de stupéfiants, détournement et soustraction commis par les agents publics, corruption et trafic d’influence, contrefaçon et en général pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à cinq (05) ans d’emprisonnement]sous réserve des dispositions de l’article L.30 ». Suivant aussi cet alinéa, Monsieur Karim Meissa Wade condamné pour enrichissement illicite, un délit, je le rappelle, passible d’une peine de dix (10) ans d’emprisonnement et par conséquent faisant partie de l’énumération ci-dessus, ne doit pas être inscrit sur une liste électorale.
Troisième constat. L’article L.33 qui vient atténuer les termes de l’article L.31 dispose ce qui suit : «N’empêchent pas l’inscription sur les listes électorales :
les condamnations pour délit d’imprudence, hors le cas de délit de fuite concomitant…
les condamnations prononcées pour des infractions prévues aux articles 92 à 95 du Code pénal».
L’enrichissement illicite n’étant pas un délit d’imprudence et ne faisant pas partie des infractions prévues et punies par les articles 92 à 95 du Code pénal (il s’agit des infractions politiques : attroupements, réunions et rassemblements interdits), il n’entre pas alors dans le champ de l’article L.33 du code électoral. Pour les types d’infractions prévues et punies par les articles 92 à 95 du Code pénal d’infraction, nous pouvons citer l’affaire Toussaint Manga.
Suivant ces constats, Monsieur Wade-fils, ne doit pas figurer sur la liste électorale du Sénégal. Cependant, il y figure déjà…
Alors, puisque Monsieur Karim Meissa Wade figure déjà sur la liste électorale, alors il faudra voir qu’est-ce qu’en dit le Code électoral ?
Nous trouvons réponse d’abord dans l’article R.93 du Décret-2014-514-du-16-avril-2014 portant code électoral, partie réglementaire. En effet selon cet article : «La commission retranche, de la liste électorale, les électeurs…qui ont perdu les qualités requises par la loi ».C’est la radiation d’office. Ce qui veut dire que la commission électorale doit radier Monsieur Karim Meissa Wade parce qu’il ne doit pas être inscrit sur une liste électorale, vu sa condamnation pour un délit passible d’une peine supérieure à cinq (05) ans d’emprisonnement, en vertu de l’article L.31 du code électoral.
En cette matière, la procédure à suivre est indiquée à l’article R. 96 du même décret et qui dispose ce qui suit : «Lorsque la commission radie d’office un électeur pour d’autres causes que le décès, ou lorsqu’elle prend une décision à l’égard d’une inscription qui a été contestée devant elle, il est délivré au plus tard à la date fixée par le décret instituant la révision exceptionnelle, un avis motivé de radiation d’office, destiné à l’électeur radié ». A côté de la radiation d’office, le retranchement d’une personne inscrite sur la liste électorale peut être demandé par tout électeur inscrit sur la liste ou tout représentant de parti politique légalement constitué.
Pour conclure ce chapitre, nous retenons que celui qui ne peut figurer sur une liste électorale, ne peut avoir la carte d’électeur. Et celui qui ne peut être électeur ne peut a fortiori être candidat à aucune élection.
Vous allez certainement me dire : alors pourquoi toute cette confusion autour la validité de la candidature de Monsieur Karim Meissa Wade ?
La réponse à cette question est à chercher :
D’abord, dans l’article L.30 du code électoral. En effet, cet article dispose : «Nul ne peut refuser l’inscription sur les listes électorales : à un citoyen sénégalais jouissant de ses droits civils et politiques…».
ensuite dans la Constitution en son article 28 : «Tout candidat à la Présidence de la République doit…jouir de ses droits civils et politiques… »
ou à l’article LO.113 qui dispose : « La candidature à la présidence de la République doit comporter :
les prénoms, nom, date, lieu de naissance et filiation du candidat ;
la mention que le candidat est de nationalité sénégalaise et qu’il jouit de ses droits civils Monsieur Karim Meissa Wade peut-il être éligible à la candidature à une élection présidentielle du fait que la Crei ne l’a pas déchu de ses droits civils et politiques ?
et de ses droits politiques, conformément aux dispositions du titre premier du Code Electoral (partie législative)…. »
Du fait de ces articles, ceux qui défendent la thèse de la validité de la candidature de Monsieur Karim Meissa Wade à une élection présidentielle se basent sur le fait que la Crei n’a pas prononcé la déchéance de ses droits civils et politiques. C’est pourquoi leur refrain favori c’est «Karim n’a pas perdu ses droit civils et politiques». Donc pour eux, il reste toujours éligible pour une candidature à la présidentielle de 2019.
Nous sommes déjà convaincus par une interprétation simple selon laquelle : celui qui ne peut être électeur, ne peut être candidat. Cependant, nous pouvons approfondir la réflexion en allant au-delà de l’inscription.
Mais revenons un peu en arrière avant de continuer.
Tout d’abord, en ce qui concerne les dispositions de l’article L.30, c’est l’article L.31 qui opère un renvoi à cet article tout en excluant les délits passibles d’une peine supérieure à cinq (05) ans d’emprisonnement de son champ d’application parce que faisant partie de l’énumération faite à l’article L.31 alinéa 2. Donc ici le problème ne se pose pas.
Ensuite, en ce qui concerne l’article LO.113, cet article suspend la jouissance des droits civils et politiques à la conformité aux dispositions du titre premier du Code électoral (partie législative). Et dans ce titre premier (articles L.1er à L.112) intitulé Dispositions communes à l’élection du président de la République, et aux élections des députés, des conseillers départementaux et municipaux, nous y retrouvons l’article L.31 ordonnant la non-inscription sur la liste électorale des personnes étant dans la même situation que Monsieur Karim Meissa Wade.
Mieux encore, l’article LO.114 nous informe que parmi les pièces qui doivent accompagner la déclaration de candidature à une élection présidentielle, il y a le «bulletin n° 3 du casier judiciaire datant de moins de trois (03) mois». La condamnation à une peine de six (06) ans d’emprisonnement pour enrichissement illicite figurant dans celui de Monsieur Karim Meissa Wade, le disqualifie donc à l’éligibilité à la candidature à une élection présidentielle.
Certes, la Crei n’a pas prononcé la déchéance de ses droits civils et politiques, cependant, au regard de ce qui précède, Monsieur Karim Meissa Wade :
Vu sa condamnation pour un délit passible d’une peine supérieure à cinq (05) ans d’emprisonnement ;
Sachant que la grâce présidentielle n’efface pas la peine ;
il ne peut être, à l’état actuel de sa situation juridique, ni électeur, ni éligible à la candidature à une élection présidentielle.
Le Conseil constitutionnel étant assigné, suivant l’article LO. 118 à la vérification de la conformité des candidatures et selon l’article LO. 120 du code électoral, il pourra aussi être saisi par tout candidat pour réclamation.
Doudou MBOUP
Juriste
Membre de l’Apr/Kaolack
doux89@gmail.com