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«avenir Senegaal Bi Nu Bëgg» Déclare Forfait Pour Le Débat économique

Dans le débat d’idées inhérent à la préparation de l’avenir par une société politique, les pseudo-débatteurs, usent, entre autres, de deux subterfuges pour dissimuler leur paresse intellectuelle et/ou leur incompétence. Le premier subterfuge consiste à renvoyer leurs adversaires politiques aux conclusions d’états généraux ou d’assises tenus dans le passé en ayant le culot de revendiquer la paternité d’une œuvre à laquelle a contribué un très grand nombre d’acteurs dont les plus méritants préfèrent l’anonymat après coup. Le second subterfuge consiste à attendre un moment dit propice pour se consacrer à la rédaction sérieuse d’un programme alternatif à celui qu’ils considèrent mauvais ou insatisfaisant. Le danger que représentent les deux artifices est d’ériger le mensonge, la calomnie et la rumeur en instruments de conquête du pouvoir, exposant ainsi la collectivité tout entière à la surenchère d’enfumeurs narcissiques et autoritaires.

C’est au premier artifice que les deux membres fondateurs de la «Plateforme politique Avenir Senegaal bi nu bëgg», Cheikh Tidiane Dièye et Me Mame Adama Guèye, ont recouru dans leur tribune -«Les assises nationales : envers et contre tout !». Huit ans après la tenue des «Assises nationales», les deux potes considèrent toujours que l’horloge nationale et internationale s’est arrêtée depuis 2008. L’immobilisme aurait été moins répréhensible si MM. Dièye et Guèye convainquaient plutôt que de se contenter de la réécriture de ce qui fait office, pour leur supposée plateforme, de «vision» haineuse et de «manifeste» aride contre les partis politiques.

Peu contents d’eux-mêmes après la relecture de leur papier, les deux auteurs passent le relais au «stratège» Mohamed Sall Sao. C’est le moment choisi par ce dernier pour user du second artifice en prétendant disséquer le Plan Sénégal Emergent (Pse) sans la moindre emprise sur le réel depuis le lancement dudit plan au premier trimestre de l’année 2014. L’excuse est bien connue : «Permettez que les autres, écrit-il, ne soient pas enclins, désormais, à jouer (…) le rôle de contributeurs et se réservent le droit de proposer aux citoyens sénégalais, le moment venu, leur projet de société pour un meilleur devenir, incluant à la fois des questions institutionnelles, organisationnelles, économiques, sociales et culturelles.» Le «stratège» de la «Plateforme» avoue donc n’être pas prêt pour le débat sur l’économie auquel le chef de l’Etat convie ses concitoyens pour les soulager du «commentaire incessant de polémiques sans portée» afin de «susciter un désir de connaissance et d’émancipation» du public avec lequel il est resté en contact.

En déclarant forfait pour le débat économique, M. Sall Sao doit des explications à ses amis Dièye et Guèye qui trouvent dans les conclusions des Assises nationales de 2008, la réponse définitive aux «questions institutionnelles, organisationnelles, économiques, sociales et culturelles». Quand trois potes seulement ne s’entendent pas sur autant de questions cruciales, nous ne voyons pas pourquoi les citoyens auxquels ils ont l’habitude de s’adresser avec condescendance les prendraient au sérieux. C’est ce qui nous fait dire que le procès d’intention de trois intermittents du politique ne suffit pas à doter une plateforme d’un diagnostic crédible du réel et d’un plan pour la transformation de la société. La tâche est d’autant plus ardue que la question économique opère une sélection impitoyable dans la masse diffuse des rabatteurs médiatico-politiques. Pour n’avoir pas pris le soin de s’informer sur les instruments budgétaire, monétaire et réglementaire de relance de l’économie pour la croissance et l’emploi depuis le changement de régime en avril 2012, à travers le Fonds de garantie des investissements prioritaires (Fongip), la Banque nationale de développement économique (Bnde) et le Fonds souverain des investissements stratégiques (Fonsis), M. Sall Sao n’échappe pas à la sélection qui l’extirpe du débat économique en même temps qu’elle l’accule, le moment venu, à réinventer la roue.

Il n’y a guère longtemps, l’ancien ministre de l’Economie, des finances et du plan et ancien président de la Commission de l’Uemoa, Moussa Touré, raillait les artisans sénégalais du Fonsis en se demandant d’où sortent les fonds souverains claironnés. Une bonne disposition de la manne pétrolière et gazière tant attendue apporterait une réponse définitive à l’ancien grand commis de l’Etat après celle donnée auparavant par l’un des principaux initiateurs du Fonds, l’économiste Amadou Hott. Nous ne connaissons pas une meilleure façon d’aimer son pays que de s’enquérir de son état réel et d’apporter sa pierre à l’édifice qui existe déjà. C’est ce que Mohamed Sall Sao ne fait pas lorsqu’il écrit : «Les quelques actions sociales (…), à savoir les bourses familiales, la couverture médicale soi-disant universelle, la baisse des loyers, etc., sont insuffisants et constituent, en fait, des mesures de saupoudrage et/ou de rattrapage «accrochées» au Pse (…).» Il ne fait aucun doute que M. Sall Sao ne connaît rien aux politiques publiques qu’il considère inadéquates sans en avoir fait le suivi et l’évaluation. Un intérêt accru lui aurait appris que la Couverture maladie universelle (Cmu), le Programme national de bourses de sécurité familiale (Pnbsf), la Carte d’égalité des chances pour les personnes handicapées et la Bonification retraite (30% de hausse des pensions depuis avril 2012) constituent le «package» appelé «Politique de protection sociale universelle», volet complémentaire du second pilier du Pse. Spécifiquement, l’intérêt pour la Cmu aurait montré au «stratège» Sall Sao que l’universalité n’est pas immédiate et qu’à la suite d’une phase de démonstration (2013-2014) prometteuse, les phases d’extension (2015-2017) et de consolidation (2018-2022) rendent plus que plausible l’octroi d’une assurance maladie à neuf Sénégalais sur dix à l’horizon 2022.

Les copains Cheikh Tidiane Dièye et Me Mame Adama Guèye de Mohamed Sall Sao seront-ils peinés d’apprendre que le président de la Commission Etudes et Stratégies de leur plateforme politique n’a pas lu les réflexions du Prix Nobel d’économie 1998, l’Indien Amartya Sen, et de l’économiste indien d’origine belge, Jean Drèze, sur la bourse familiale ? Rien n’est moins sûr ! «L’une des raisons pour lesquelles la Bolsa familia fonctionne relativement bien est que le groupe visé est assez clairement identifié : les pauvres du secteur informel qui ne sont pas couverts par le système de protection sociale ordinaire. Il est utile de rappeler qu’au Brésil, la population est urbanisée à 85%, dont une forte proportion dans le secteur informel, et couverte par des programmes de protection sociale de grande envergure. De plus, une administration assez sophistiquée et d’importantes ressources humaines sont disponibles pour passer au crible les demandeurs du secteur informel et déterminer de quel genre d’aide ils ont besoin. Dans ce contexte, le ciblage peut être efficace et équitable», écrivent Sen et Drèze dans leur ouvrage Splendeur de l’Inde ? Développement, démocratie et inégalités (Flammarion, 2014).

Nous renvoyons les trois potes au sixième chapitre de notre livre sur la politique sociale du Président Macky Sall (L’Harmattan, 2015). Dans ledit chapitre, intitulé «Cibler pour l’égalité des chances», nous nous efforçons de montrer comment le «processus de définition des critères d’identification», les « critères pertinents d’identification» et l’analyse de «l’efficacité du processus d’identification» des personnes éligibles permettent de limiter l’intervention à des groupes sélectionnés qui, selon les estimations, ont le plus besoin de la couverture maladie, de la bourse familiale, de la détention d’une carte d’égalité des chances, de l’accès à des prestations diverses, etc. A qui cherche-t-on donc à faire croire que les petites phrases de M. Sall Sao ont plus de valeur qu’une analyse inspirée par la théorie sociale de la sollicitude ? Ladite théorie ne soustrait pas les économistes du débat sur la protection sociale universelle dont les défenseurs considèrent que la «banalité du besoin» (lutter contre la faim) est plus pertinente pour l’analyse et l’action économiques que la «banalité du risque» (lutter contre la peur), insatisfaisante au regard de l’éthique de la sollicitude.

La plus grave menace qui pèse sur la démocratie sénégalaise depuis bientôt deux décennies est la prime à la superficialité dont sont gratifiés les paroles et les écrits qui ne s’imposent aucune rigueur. En reproduisant in extenso le préambule de la Charte de gouvernance démocratique pour un Sénégal nouveau au début de leur tribune, Cheikh Tidiane Dièye et Me Mame Adama Guèye font la promotion de leur réquisitoire contre les partis politiques par une adhésion tacite à la «dynamique non partisane et constructive qui a fondé et nourri les Assises nationales», tout en passant sous silence tout ce que le corps de la Charte dit des partis politiques considérés comme de puissants moyens de compétition démocratique. A titre d’exemple, la Charte recommande la rationalisation des critères de création des partis politiques, l’adoption d’une législation relative au financement, le respect scrupuleux des normes démocratiques dans le fonctionnement, l’éducation citoyenne des membres, la promotion d’une déontologie et d’une éthique du citoyen éligible, etc. Toutes choses pouvant être exhumées et débattues dans le cadre du dialogue national lancé le 28 mai 2016 par le chef de l’Etat après le référendum du 20 mars 2016. Excusez du peu : Dièye et Guèye parlent déjà de «pseudo-dialogue». Les deux potes ont-ils relu la Charte avant d’arrimer leur plateforme à son préambule ? Pas vraiment ! Quand ils se donneront la peine de la relire, ils s’apercevront que les signataires voulaient «passer radicalement du modèle économique [ancien] qui maintient le Sénégal dans le statut d’exutoire des surproductions agricoles et des produits manufacturés des pays extérieurs, à une modernisation de l’agriculture et une industrialisation tournées vers l’amélioration du niveau de vie des populations et la préservation de l’environnement». Ils s’apercevront surtout que la politique économique actuelle traduit concrètement toutes les propositions remarquables de la Charte sur la «gouvernance économique et environnementale» qu’ignore totalement le «stratège» Mo­hamed Sall Sao pour n’avoir toujours pas commencé à plancher sur l’économie. Il ne fait donc aucun doute que «Avenir Senegaal bi nu bëgg» déclare forfait pour le débat économique voulu par le Président Macky Sall.

 

Abdoul Aziz DIOP

Conseiller spécial à la présidence de la République

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