Le Mouridisme est la communauté musulmane dont l’une des figures les emblématiques et les plus célèbres est une femme. Mame Diaara Bousso, mère du fondateur Cheikh Ahmadou Bamba. L’une des plus plus grandes figures du mouvement féministe au Sénégal, Pr Penda Mbow reconnaît dans un texte récent « dans la rue, si vous interrogez n’importe quel Sénégalais sur les noms du Père et la Mère de Serigne Touba, vous pouvez être sûr, d’avoir comme réponse exacte celle qui porte sur le nom de sa mère, en l’occurrence Mame Diarra Bousso ». Elle aurait pu ajouter que Mame Diaara est la seule femme au Sénégal, certainement en Afrique et peut être même dans le Monde à avoir une journée annuelle où elle est célébrée par des centaines de milliers d’hommes et de femmes lors du « Màggal » de Porokhane. Cette femme qui n’a vécu que 33 ans, par ses qualités morales, intellectuelles, l’exemplarité de sa vie aura marqué à jamais le Sénégal comme symbole de la Femme vertueuse et le modèle à suivre par toutes les générations. Si Sokhna Mariyam Bousso dispose d’une telle considération c’est bien entendu à cause de ses qualités exceptionnelles, mais aussi du très haut estime que son fils avait pour elle et des nombreuses marques de respect à son égard. Au point de demander à son fils, Cheikh Mouhamadou El Bachir de s’établir au Saloum à Porokhane où repose Mame Diaara afin que ce village ne soit plus déserté et abandonné.
Au delà du symbole que représente Sokhna Diaara, peut on trouver d’autres exemples pour attester de la bonne place de la femme dans la communauté mouride ?
Les filles du Cheikh Ahmadou Bamba constituent également une référence intéressante. En effet le Cheikh a donné l’exemple en leur faisant subir la même éducation religieuse que ses fils. On raconte que beaucoup de celles-ci ont appris le Coran jusqu’à rédiger le livre saint de mémoire. Et quand elles se rendaient auprès de leur père pour lui remettre leur exemplaire du Coran par elles écrit, elles l’accompagnaient d’un repas préparé par leur soin. Montrant ainsi que leur apprentissage du Coran et des sciences religieuses ne leur a pas empêché d’apprendre aussi les connaissances de base du travail domestique. C’est ainsi qu’elles ont pu jouer pleinement leur rôle dans la société sénégalaise et en tant que leaders religieux elles ont été à l’avant-garde de l’éducation de générations de filles dans le Mouridisme. Pour ne citer que quelques exemples, Sokhna Mouslimatou qui était l’une des toutes premières femmes du pays à se lancer dans la transformation de céréales, était impliquée par son frère khalif général des mourides Serigne Fallou dans les affaires de la cité touchant aux femmes. Lors des visites du Président Senghor par exemple, elle s’occupait de tout ce qui était lié à la restauration des hôtes. Sokhna Mominatou bint Cheikh Ahmadou Bamba est l’une des rares femmes au Sénégal à avoir fondé son propre village, « Santhiou Sokhna Moumy ». Leur sœur et fille cadette de Khadimou Rassol était celle qui a initié et développé l’une des plus grandes célébrations de la « Nuit du Destin » (« Laylatul Khadre ») dans le Monde. Elle a aussi fondé son village, appelé « Darou Wahab ». Que dire de Sokhna Amy Cheikh, décédée trop tôt mais qui a laissé à la postérité des poèmes dont un recueil de haute facture dédiée de sa grand-mère Mame Diaara Bousso, « Yaa Jaratullaahi » et dont une excellente étude a été faite par une jeune femme mouride, professeur Sokhna Maguette Sylla dans sa thèse de doctorat.
Plus récemment, des figures du Mouridisme ont montré l’importance qu’il faut accorder à l’enseignement et l’éducation des filles. Le petit fils du Cheikh, Serigne Moustapha Bassirou, dans le cadre de la fondation « Mame Diaara » qu’il avait mis sur les fonds baptismaux, a fondé à Porokhane un institut islamique exclusivement destinée à l’enseignement du Coran, des sciences religieuses, de la formation professionnelle des jeunes filles qui portent le nom de la sainte mère du Cheikh. C’est ainsi que le « Daara Mame Diaara » qui compte un effectif annuel de près de 400 pensionnaires depuis sa création en 2004, a vu au moment où nous parlons, la sortie de 113 jeunes filles qui ont parfaitement maîtrisé le saint Coran et acquis les bases des sciences islamiques, 45 ont même rédigé le livre saint de mémoire. De plus depuis quelques années les filles de cette institution remportent quasiment tous les concours mixtes de maîtrise du Coran dans le pays. L’année dernière elles ont gagné le concours du département de Nioro et de la région de Kaolack, celui organisé par la RTS et celui par Lamp TV. Mais aussi celui organisé à l’Institut Islamique de Dakar. L’une d’elles a représenté le Sénégal en Malaisie pour un concours international avec des centaines de participants. Elle a pu terminer parmi les dix premières places. Cet institut sans pareil en Afrique, où les pensionnaires sont prises en charge gratuitement est l’exemple type de l’importance accordée à la place de la femme musulmane en milieu mouride.
Dans le même domaine éducatif, on peut citer également l’exemple de Sokhna Mously bint Serigne Moustapha Fallilou Mbacke (Serigne Modou Bousso Dieng) qui travaille depuis plusieurs années avec beaucoup de courage dans l’enseignement privé. Elle a créé sur fonds propres un jardin d’enfants islamique, une école primaire et un internat coranique pour filles à Touba. Sokhna Mame Awa Deme fait également partie des pionnières dans le domaine de la création de Daara coranique et d’écoles franco-arabe.
Dans un autre registre, Sokhna Mame Faty Mbacke fille de Sokhna Mouminatou citée plus haut est parmi les plus grands entrepreneurs agricoles du pays. En effet cette brave femme présidente du GIE Massalikoul Djinane de Dendèye se distingue par son leadership dans la production agricole (culture de l’arachide, du mil, du riz), dans l’élevage, la transformation de céréales avec une unité semi-industrielle qui lui permet aujourd’hui de se lancer dans l’exportation. Elle a créé près de 60 emplois directs, et des centaines d’emplois indirects, surtout des femmes. La liste des opérateurs semenciers compte très peu de femmes, Sokhna Mame Faty en fait partie. Le double lauréat du Grand prix du Chef de l’État pour la promotion de la femme en 1997 et en 2004 a subi de nombreuses formations de renforcement de capacité et participer à des séminaires au Canada et au salon de l’agriculture en France. Aujourd’hui elle a même décidé de partager son expérience dans un livre qu’elle compte bientôt publier.
D’autres femmes, malheureusement au nombre trop limité donnent des conférences islamiques pour éveiller la conscience de leurs sœurs au Sénégal et à l’étranger. C’est le cas de Sokhna Mame Awa Deme, Sokhna Mariama Diakhaté, Sokhna Ndeye Mbaye, etc?..
On pourrait également ajouter à ces quelques exemples les autres femmes leaders dans la création d’écoles comme Sokhna Mame Anta Mbacke, de groupements féminins comme Sokhna Ndeye Mbacke Daba ainsi que beaucoup d’autres femmes chefs d’entreprises et d’autres qui s’illustrent tous les jours dans l’ombre dans l’économie, le social, l’éducation etc? Sans oublier les femmes qui sont les plus actives membres des Dahiras qui constituent un élément essentiel dans l’organisation sociale de la Mouridiya.
Alors comment une communauté qui a permis un tel résultat dans la promotion de la femme en son sein mériterait de susciter l’interrogation de savoir si les femmes sont exclues des affaires de la cité ou pas ?
Pourquoi et comment le débat sur la liste non paritaire de Touba, amène certains à s’interroger sur la place que le Mouridisme accorde aux femmes et à argumenter que l’Islam ne les exclu pas dans la gestion des affaires de la cité ? Si on considère les arguments que je viens de développer ces interrogations n’auraient nullement leurs raisons d’être. Pourquoi, au contraire ceux et celles qui pointent un doigt accusateur sur le Mouridisme ne s’interrogeraient pas sur les vraies raisons de la non application de la parité à Touba ? Ne doit on pas se demander si cette loi n’est pas appliquée à Touba c’est peut être parce que c’est une mauvaise loi et qui pourrait éventuellement ouvrir la porte à d’autres lois du genre qui pourraient par exemple remettre en cause certaines disposition de l’Islam comme la non égalité entre hommes et femmes dans l’héritage ?
Mme Penda Mbow qui a voulu, très justement démontré que l’Islam ne s’opposait pas à ce que la femme joue son rôle dans les affaires de la société, a elle-même trouvé que la loi sur la parité était inopportune « J’avais dénoncé, en son temps, le vote de la loi sur la parité, surtout son caractère politicien?. pour des raisons philosophiques et d’opportunités, cette loi n’était pas très utile ».
Alors pourquoi certains ont voulu si vite juger « la liste de Touba » comme étant la preuve de l’exclusion de la femme par les mourides ? Un journaliste du « Témoin » dans le N° 1166 en est même arrivé dans son outrance à dire que la décision du Khalif est pire que l’enlèvement des jeunes nigérianes par le Boko Haram : « Quand, dans la seconde ville du Sénégal habitée par plus de 500 000 âmes, toute la population féminine est interdite d’éligibilité, cette entorse est plus grave que le rapt des Nigérianes. En fait, c’est plus de deux cent mille femmes qui sont ainsi prises en otages, parce que privées de droits et singulièrement celui d’être élues ».
Mon argumentaire pour démontrer que dans le Mouridisme, bien plus que dans beaucoup d’autres communautés du Monde, les femmes ont toujours occupé des places de choix, ne vise aucunement à verser dans l’autosatisfaction. Des efforts restent clairement à faire. Oui il faut le reconnaître, pour des raisons sociologiques ou autres, l’éducation des jeunes filles pose parfois problème. Des jeunes filles très intelligentes sont souvent données en mariage à bas âge compromettant ainsi leurs études. Certains leaders religieux ne poussent pas leurs filles dans les études coraniques et islamiques autant qu’ils le font pour leurs fils. Beaucoup des femmes issues des familles religieuses ont parfois du mal à jouer pleinement leur rôle de leader religieux. Il leur est difficile par exemple de tenir des sermons sur la religion devant les femmes talibées. Heureusement les nombreuses initiatives de ces dernières années, avec la création d’écoles islamiques pour filles, les internats et instituts devront donner des résultats de plus en plus probants. Des parents de plus en plus nombreux ont pris également conscience de la nécessité de laisser les filles à l’école le plus longtemps possible. Aujourd’hui des femmes Mbacke Mbacke et d’autres de la hiérarchie mouride sont devenues des cadres. Les premières femmes Mbacke Mbacke médecins devront bientôt sortir, dont l’une de l’école Santé militaire.
Il serait peut être heureux que les femmes de ces familles religieuses de Touba et d’ailleurs s’organisent de manière intelligente et responsable afin de pousser vers un plaidoyer en faveur de l’éducation des filles dans tous les domaines religieux et scientifiques. Ce même leadership féminin appelé de nos v?ux devrait également prendre en charge bien d’autres problématiques dont les femmes font face dans la communauté, en conformité bien entendu avec les percepts islamiques. Elles pourront ainsi éviter que des groupes féministes, souvent financés par des intérêts occultes étrangers et qui tentent aujourd’hui par tous les moyens de monter les femmes de Touba et d’autres cités religieuses, ne réussissent leur propagande basée le plus claire du temps sur les valeurs d’ailleurs, notamment d’occident.
En conclusion je dois dire que dans mon texte j’ai essayé de démontrer que l’histoire du Mouridisme, montre sans équivoque que la Mouridiya en parfaite conformité avec l’Islam a toujours été une communauté respectueuse de la promotion de la femme.
Le Cheikh Ahmadou Bamba, qui en plus d’avoir écrit « Diawabou Sokhna Penda Diop »,, véritable viatique pour la femme musulmane, en réponse à sa tante Sokhna Penda Diop qui lui demandait conseils sur ses devoirs, ne réservait jamais son rôle de guide spirituel aux seuls hommes, et leur tenant aux femmes des sermons comme pour les hommes. L’action du Cheikh témoigne que sa qualité de sauveur des âmes n’était réservée ni aux hommes exclusivement ni aux femmes. C’est certainement ce que le grand chef religieux mauritanien Cheikh Sidya Baba a voulu dire dans l’extrait d’un poème dédié au Cheikh Ahmadou Bamba : « Le Cheikh Ahmad est un Bienfait que leur Maître a accordé à toutes les créatures ».
Cheikh Fatma Mbacke
Ingénieur informaticien et chercheur mouride
cheikhfatma@yahoo.com
www.cheikhfatma.com