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De La Révocation De Ousmane Sono : L’abus De Pouvoir L’a Emporté Sur Le Droit

De La Révocation De Ousmane Sono : L’abus De Pouvoir L’a Emporté Sur Le Droit

Par décret n° 2016-1239 du 29 Août 2016, le Président de la République a révoqué de la fonction publique sénégalaise Ousmane Sonko Inspecteur principal des Impôts et des domaines et président du parti Pastef – les Patriotes pour «manquement à l’obligation de discrétion professionnelle prévue à l’article 14 de la loi n°61-33 du 15 Juin 1961.»

Que dit exactement l’article 14 de la loi invoquée sur lequel s’appuie le Président de la République pour prendre la décision de révocation ? En son premier paragraphe, l’article 14 affirme :

Indépendamment des règles instituées dans le Code pénal en matière de secret professionnel, tout fonctionnaire est lié par l’obligation de discrétion professionnelle pour tout ce qui concerne les documents, les faits et informations dont il a connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.

L’article 14 délimite ainsi un champ d’intervention bien précis : dans «l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions» et visé clairement la connaissance à l’intérieur de ce champ de «documents, faits et informations.» L’article 604 du Code général des impôts vient renforcer en édictant que : «Sous réserve de l’obligation qui leur est imposée par le Code de procédure pénale, les agents des impôts chargés de l’assiette, de la liquidation, du contrôle ou du recouvrement des impôts, droits, taxes et redevances sont tenus, conformément aux dispositions du Code pénal, de garder secrets les renseignements de quelque nature qu’ils soient, recueillis dans l’exercice de leur fonction.»

Ousmane Sonko est «agent des Impôts et des domaines», sa fonction est délimitée par «l’assiette, la liquidation, le contrôle ou le recouvrement» et les renseignements de quelque nature qu’ils soient qu’il est tenu de garder secrets portent sur «les impôts, droits, taxes et redevances». Sa fonction repose essentiellement sur la gestion de dossiers qui naissent des relations qu’il entretient avec les contribuables qu’il gère dans l’aire géographique relevant de sa compétence. Durant sa carrière il a eu à occuper, entre autres, les fonctions de vérificateur fiscal, de chef de brigade de vérification fiscale, d’auditeur interne à la Direction du contrôle interne (Dci) de la Dgid.

Les contribuables sont identifiés par leurs numéros de compte contribuable et de Ninea. Chacun – personne physique ou personne morale – fait l’objet d’un dossier soigneusement classé dans les différents services de la Dgid. Combien de contribuables Ousmane Sonko a-t-il eu à gérer durant sa carrière ? Combien de dossiers étaient-ils sous sa responsabilité dans les différents bureaux et services où il a eu à exercer ses fonctions ? A-t-on entendu un ou des contribuables se plaindre du fait que Ousmane Sonko a divulgué un quelconque renseignement les concernant ? Quelle bonne aubaine, si le pouvoir pouvait aujourd’hui trouver ne serait-ce qu’un de ces contribuables brandissant son dossier divulgué par Ousmane Sonko !

Non ! Ousmane Sonko n’est l’auteur d’aucun «manquement à l’obligation de discrétion professionnelle prévue à l’article 14 de la loi 61-33 du 15 Juin 1961 !» Jusqu’ici les problèmes qu’il soulève sont en dehors de l’exercice de sa fonction. Aucune de ses interventions ne traduit une faute professionnelle pouvant justifier sa radiation. Ousmane Sonko intervient en tant que chef de parti dans des domaines qui sont en dehors du champ de l’exercice de sa fonction d’agent des impôts et des domaines. Et quand on fait le recensement exhaustif de ses domaines d’intervention, on a la preuve qu’il n’a enfreint aucune obligation de réserve et qu’aucune des dispositions de l’article 14 de la loi invoquée ne leur est applicable. Le dénominateur commun de toutes ses interventions est la sauvegarde des ressources publiques et des richesses nationales dans l’intérêt bien compris du peuple sénégalais. Entre autres domaines, on peut citer le pétrole, Arcelor Mittal, Petrotim, les spéculations foncières sur le titre foncier de Bertin, et leur impact sur les recettes budgétaires, domaines qui sont manifestement en dehors du champ d’exercice de sa fonction d’agent des impôts.

L’incident de l’Assemblée nationale qui lui a valu le courroux de Moustapha Diakhaté, président du groupe parlementaire Bby qui s’est permis une injonction à haute voix à l’exécutif, de radiation et d’emprisonnement à l’encontre de Ousmane Sonko. Pour une information qui se trouve dans un document officiel publié dans le site du Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan (http://www.finances­.gouv­.sn). Ce document a pour nom «Document de programmation budgétaire et économique pluriannuel» (Dpbep) qui révélait les noms de 86 Etablissements publics qui traînaient des dettes fiscales d’un montant de 86 milliards de francs Cfa, avec leurs montants respectifs, parmi lesquels figuraient entre autres, l’Assemblée nationale, la Caisse nationale de crédit agricole, le Méridien Président, la Sicap et les Ics.

Ce combat de Ousmane Sonko en tant que Président de Pastef-les Patriotes, a pour objectif l’augmentation et la sauvegarde des ressources publiques basées sur l’équité et l’égalité des contribuables devant l’impôt. Ce combat est un combat politique qu’il assume en tant que patriote, fils digne du peuple sénégalais. La décision de sa révocation est une décision politique. Le recours à l’article 14 de la loi 61-33 du 15 juin 1961 n’est qu’un prétexte, un rideau de fumée pour faire passer une forfaiture. Peut-on croire celui qui a pris cette décision, quand il dit aux journalistes chinois de la section française de la Cctv, chaîne publique chinoise «Oh ! la lointaine Chine !» : «Il faut lutter farouchement contre l’évasion fiscale. Aujourd’hui pour financer le développement du continent, nous avons besoin de compter sur les ressources internes mobilisées» (cf. Le Soleil du 30 avril 2016 page 2). Comment peut-on croire sérieusement à cette opinion et prendre la décision de révoquer un patriote qui a investi le champ de la mobilisation des ressources internes, qui sont la réelle garantie d’une véritable indépendance.

Le dossier du Conseil de discipline est vide, aucune faute professionnelle ne peut y être convoquée. La mission du Fmi qui vient de boucler sa revue de la politique économique du gouvernement, vient heureusement confirmer les propos de Ousmane Sonko par la voix de son chef de mission Ali Michael Mansour et de son représentant résident Boileau Loko. Ali Mansour est d’ «avis qu’il faut un même traitement pour toutes les entreprises dans le domine fiscal sans discrimination.» Il explicite : «Il ne faut pas que certaines entreprises bénéficient de plus de faveurs que d’autres.» M. Loko ajoute qu’ «il faut une meilleure mobilisation des ressources avec la modernisation des impôts et des domaines.», que «le but n’est pas d’augmenter les impôts, mais de tout faire pour que ceux qui doivent s’acquitter de ce devoir le fassent sans différenciation.» (cf. L’As du 31 Août 2016 page 7). C’est tout le sens du combat de Ousmane Sonko président de Pastef- les Patriotes, «tout faire pour que ceux qui doivent s’acquitter de l’impôt le fassent», pour réunir les ressources suffisantes pour un développement national autocentré.

Il a été révoqué à causes de ses prises de positions sur les problèmes nationaux qui dépassent sa fonction d’agent des impôts. Il a été révoqué politiquement comme le confirme Seydou Guèye, Ministre porte-parole du gouvernement, quand il parle de : «sorties virulentes, injurieuses et diffamatoires à l’endroit des Institutions de la République.» propos qui n’ont rien à voir avec les dispositions de l’article 14 de la loi 61-33 du 15 Juin 1961 et illustrent parfaitement le caractère vide du dossier sur lequel s’est appuyé l’avis du Conseil de discipline. Assane Dioma Ndiaye de la Lsdh (ligue sénégalaise des droits de l’Homme) a bien raison quand il dit en caractérisant la révocation de Ousmane Sonko : «Pour nous, c’est un acte politique.»

Ce que les réactionnaires de tous bords ne pardonneront jamais à Ousmane Sonko, c’est d’avoir introduit l’organisation et la lutte dans le secteur financier du pouvoir. Il a créé le Syndicat autonome des agents des impôts et des domaines en 2005 qu’il a dirigé de 2005 à 2012 et en est aujourd’hui le Secrétaire général honoraire. En 2014, il a créé le parti Pastef-les Patriotes dont il est le Président. Et comme il le dit, il n’est pas venu en politique pour faire de la figuration et qu’il a fait le choix avec tous les risques qui vont avec. Ses ennemis ne lui feront aucun cadeau et il en est conscient, parce qu’il sait que son peuple est grand et mérite tous les sacrifices. Et aujourd’hui, ce peuple le lui rend bien en arborant dans l’unanimité : «Je suis Ousmane Sonko»

 

Alla KANE

Inspecteur principal des Impôts et domaines à la retraite

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