La recrudescence des meurtres et des agressions armées ces derniers temps dans notre pays a reposé le débat sur la peine de mort. Ainsi, sur différentes plateformes, de très nombreuses voix se sont élevées pour réclamer le retour de la peine de mort dans notre Code pénal. En face de ces personnes, il existe des groupes qui s’opposent farouchement à cette disposition prétendant son inefficacité et son caractère inhumain. Dans ce dialogue de sourds, opposant fondamentalement deux paradigmes antagonistes, nous nous proposons de revenir sur certains éléments qui, nous l’espérons, pourraient élucider bien des points qui font l’objet d’amalgames inquiétants.
Dans la littérature juridique contemporaine, on peut identifier trois théories de la peine : la théorie utilitariste, celle basée sur la vengeance et la dernière relative à la dénonciation. La théorie utilitariste de la punition vise à punir les fautifs afin de «dissuader» les potentiels délinquants. La théorie «rétributive» vise à punir les délinquants parce qu’ils méritent d’être punis. Enfin, pour les partisans de la théorie de la dénonciation, la punition devrait être une expression de la condamnation de la société.
Pour les partisans de l’abolition de la peine de mort et, en particulier, les «défenseurs des droits humains», leur position se justifie par l’inefficacité de cette disposition à lutter contre la recrudescence des meurtres, mais surtout par son caractère inhumain. Ainsi, invoquent-ils des études scientifiques qui montreraient que l’application de la peine de mort n’a pas un pouvoir dissuasif contre la montée de la criminalité. Selon eux, il est plus indiqué d’adopter des sanctions moins «cruelles» comme l’emprisonnement pour punir ces criminels. Plus globalement, les abolitionnistes croient que la solution à ces phénomènes de violence passe par l’amélioration des conditions socioéconomiques des auteurs qui sont souvent victimes de la pauvreté et du désœuvrement.
Toutefois, la faiblesse de l’argumentaire des opposants à la peine de mort consiste au fait qu’il accorde plus d’importance à la survie des criminels qu’à la vie des victimes innocentes présentes et futures. La solution de l’emprisonnement, même à vie, n’est aucunement efficace. En effet, en plus de prendre en charge avec l’argent du contribuable des personnes ayant causé du tort à la société, l’emprisonnement a montré ses limites comme un mécanisme de punition et de dissuasion.
Dans une étude publiée en 2011, William Bales de l’Université d’Etat de Florida et Alex Piquero de l’Université de Texas trouvent que l’emprisonnement exerce un effet criminogène. En d’autres termes, le taux de récidive est beaucoup plus élevé parmi les délinquants ayant eu un vécu carcéral, comparé à d’autres ayant subi des sanctions non-carcérales. Ces résultats confirment ceux d’autres travaux sur la question, notamment ceux de Cassia Spohn et Davide Holleran, en 2006 et en 2002.
Donc, l’argument des abolitionnistes selon lequel l’emprisonnement serait plus efficace est réfutable. Pis, il existe des cas graves de récidive comme les tueurs en série ou de masse.
Par ailleurs, il existe des études, menées par des académiciens, montrant la capacité dissuasive de la peine de mort. Ainsi, selon ces études, une peine de mort correctement appliquée pourrait éviter entre 3 et 18 meurtres. Dans deux études publiées en 2003 et en 2006, basées sur des données aux Etats-Unis, Naci Mocan, Professeur à l’Université de Colorado, arrive à la conclusion qu’il y a un effet dissuasif de la peine de mort.
Ces résultats ne font que corroborer une vérité coranique intemporelle : «C’est dans le talion que vous aurez la préservation de la vie, ô vous doués d’intelligence, ainsi atteindrez-vous la piété» (Coran, 2 : 179).
Il serait utile de souligner ici que, contrairement à une fausse idée, qu’en vérité, le talion n’est pas synonyme d’une application automatique de la peine de mort. En effet, le talion donne à la famille de la victime d’un meurtre volontaire l’option de faire appliquer la peine de mort sur l’auteur du crime ou de pardonner et de recevoir une compensation (la diyah = 100 chameaux ou équivalent financier).
Les dispositions de l’islam en la matière comportent au moins trois objectifs orientés vers la punition, la dissuasion et la justice.
Un individu qui tue en toute conscience une personne innocente mérite une punition similaire. Cette punition doit, en même temps, servir de dissuasion. Enfin, dans toute société organisée, la violence qui doit être légitime et légale est exercée par l’Etat. La sidération suivant la perte dans des conditions injustes d’un être cher peut amener ses proches à une riposte disproportionnée. C’est dans cette optique que la sanction doit être telle que toute velléité de vengeance est annihilée.
Le meurtre du chauffeur de taxi Ibrahima Samb a suscité une émotion qui a poussé beaucoup de nos concitoyens à réclamer le rétablissement de la peine de mort au Sénégal. Les autorités gouvernementales qui se sont prononcées sur la question s’y sont opposées farouchement en évoquant des arguments qui sont contredits par les résultats d’études rigoureuses. Mieux, le Coran qui est le livre de référence de majorité de la population prévoit le talion comme la meilleure solution face à ce type de crime.
Lorsque les populations perçoivent les lois qui leur sont appliquées comme étant inadéquates, celles-ci perdent de leur efficacité et de leur pertinence. Pis, il peut y avoir des cas où ces populations jugent nécessaire de se faire justice elles-mêmes. Pour éviter ces cas de figure, il incombe à l’Etat de tenir compte des réalités sociales et religieuses du pays lors de la formulation des lois qui sont censées régir la vie quotidienne des citoyens. Certes, la peine de mort n’est pas la panacée face à la montée de la criminalité, il y a d’autres mesures d’accompagnement à considérer, mais elle est partie intégrante de toute solution durable.
Abdou Karim DIAW, PhD
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