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Apologie De La Rupture

L’histoire contemporaine nous enseigne que les dictatures combattues ont été supplantées par le chaos généralisé et des déséquilibres impactant le tissu social de plusieurs générations. Sur un autre plan, les révolutions et ruptures prônées çà et là ont été stoppées ou n’ont pas porté les fruits escomptés. Devant ces paradoxes de l’histoire et cette inconstance de la nature humaine, un dilemme total habite ceux qui cherchent la voie du salut. Digni­taires, gouvernants, dirigeants et beaucoup de leaders se perdent dans leurs choix et options, à la quête de solutions idoines pour rétablir les équilibres. Ces démarches conduisent vers des ruptures dramatiques ou une métamorphose des mentalités.

Au début des indépendances, l’air de la liberté et de la dignité retrouvée a soufflé sur le continent africain. Cette montée d’adrénaline sur les chemins de l’identité a vite montré la précarité de nos moyens et les limites de nos jeunes Nations devant la complexité et la multiplicité des défis à relever. Le partage de l’Afrique, fait par les colonisateurs, a vite montré ses premières fissures dans certaines contrées du continent, mais ces élans sécessionnistes ont sombré devant cette autre volonté d’unir qui animait des leaders charismatiques issus des entrailles des anciennes métropoles (Katanga, Biafra, etc.).

Après ces éphémères soubresauts, des Etats riches ont été bâtis et conduits de main de maître par des hommes qui se sont entourés de gardes prétoriennes à coloration ethnique ou tribale. Mais comme le dit l’adage : «Chassez le naturel, il revient au galop». Après des décennies de règne au Zaïre (actuelle Rdc), celui qui, par mégalomanie selon ses détracteurs, s’est fait proclamer maréchal, a fui son pays, laissant derrière lui la désolation, les conflits et toutes sortes de maux. La main étrangère y a joué un rôle prépondérant. Jusqu’à ce jour, ce pays est divisé et meurtri par des luttes fratricides, d’interminables guerres et une occupation presque totale de sa partie Est. La République Centrafricaine, qui a connu les frasques de l’empereur Jean-Bedel Bokassa, continue de sombrer dans une spirale cyclique de tensions. Des leaders, comme Mouammar Kadhafi, le charismatique capitaine Thomas Sankara, le négus Hailé Selassie et tant d’autres, ont tous été balayés par l’influence locale, sous-régionale et l’appui de tous ceux dont les intérêts étaient menacés par leurs agissements. Ainsi, la belle Afrique a connu ses dictateurs, empereurs, guides et j’en passe.

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Autre environnement, la Roumanie de Ceausescu a viré au rouge avec le meurtre du dernier dictateur. La spirale de désintégration mise en branle a donné un nouveau visage à l’Europe de l’Est, exacerbant la haine, dans un continent supposé en avance sur les droits humains. La Yougoslavie elle a fondu comme beurre au soleil. Cette vague déferlante que beaucoup de penseurs attribuent à un bouleversement idéologique a été exportée en Asie, au Moyen-Orient et dans d’autres contrées du globe.

Rupture par le sang

Dans un autre registre, si les révolutions de palais, les alternances démocratiques et les successions maladroites ont donné droit, dans un environnement marqué par l’esprit revanchard, à des règlements de compte sanglants, l’on se demande si ces postures permettent d’asseoir des régimes solides. Le pas qui mène vers le regret est vite franchi. En Irak, en Libye et dans d’autres pays africains, des ruptures sanglantes ont été enregistrées, mais ont conduit à des crises profondes, une dislocation de l’Etat avec des conséquences désastreuses. Contrairement à ce décor, le Rwanda, après le génocide de 1994, s’installe résolument dans la voie du changement des mentalités et une vision très développée de la citoyenneté. Même si certains parlent d’arrivée d’un autre dictateur ou de situation larvée avec la présence des Interhamwés dans l’Est de la Rdc, le pays enregistre de significatives avancées dans plusieurs domaines.

En outre, des institutions qui ont fait la fierté de tant de peuples ont aussi été marquées du sceau de l’instauration de nouveaux modes de pensée et d’évolution qui ont pour la plupart été des lettres mortes à la poste. Des retours à une certaine éthique ou forme de cohabitation ont été prônés, mais ont tous fait long feu, par manque d’engagement, de sincérité et de détermination. Pourtant, ces dernières postures sont les seules menant à la cohésion et au succès final. Mais devant celles-ci, la rupture par le sang semble être celle qui marque les esprits et sacralise les liens.

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La rupture volontariste

Elle commence par un changement d’attitude, l’élimination de pratiques malsaines, l’application positive de la justice, voire l’émulation de tous. Un Etat moderne se construit d’abord sur la valeur de ses ressources humaines et une vision claire des autorités du pays. Le socle de toute entité de cette dimension demeure la Nation. Elle n’est pas le réceptacle où écloront des antinomies claniques, ethniques, tribales ou confessionnelles. Elle doit demeurer le cercle de la fraternité, de la récompense du mérite, de la saine et propre émulation, mais surtout de la probité et de l’intégrité.

La rupture est une démarche inclusive, volontariste et englobant tous les secteurs de la vie et tous les démembrements de l’Etat. Elle ne se limite pas à un discours vain.

Pour les Forces de défense et de sécurité. Il s’agira de s’approprier encore les lois et règlements, d’être intègre et de mériter de porter la tenue. Les chefs devront être des exemples en tous points de vue, être des meneurs d’hommes, désintéressés et sincères. Même si la compétition est de mise, tout ce qui entrave les bonnes initiatives et l’éclosion de l’excellence doit être banni. De ce point de vue, la rigueur et le respect des règles doivent être institués en valeurs. Rien ne doit justifier l’abandon de ce qui faisait la beauté de nos casernes ou la prise de décisions personnelles qui remettent en question des lois sans que personne ne pipe mot. La carrière de plusieurs jeunes et leurs ambitions ont été envoyées aux calendes grecques par la volonté d’un seul chef entouré d’autres autorités dévouées et qui gèrent leurs intérêts, cela au détriment de l’institution.

Pour nos compatriotes. Aussi, certaines tares annihilent nos efforts de développement. Elles ont pour nom familiarité, complaisance, manque d’autorité et corruption. Malheureu­se­ment, elles ont gagné du terrain et atteint des sommets insoupçonnés. En lieu et place, le mérite et la vérité ont souffert durant ces dernières années.

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Pourtant notre éducation de base originelle et les formations reçues nous ont inculqué des savoir-être qui sont des trésors immenses. La rupture pour nous comportera :

– un respect de la parole donnée et le culte de l’honneur et de la dignité

– le respect de notre environnement qui est quotidiennement agressé dans les villes par une insalubrité permanente, une dégradation des biens publics, une coupe systématique de bois, une déforestation à grande échelle, en passant au besoin par une refonte totale du Code de l’environnement

– une réparation par le dialogue du tissu social défait en Casamance et un retour de la confiance entre tous les Sénégalais

– la récompense du mérite et l’abandon des campagnes de dénigrement d’honnêtes cito­yens pour des luttes politiques, un positionnement dans la hiérarchie ou pour produire «d’obligatoires résultats» devant un chef

– la capacité de tirer des enseignements de tous les évènements douloureux et séquentiels

– un effort d’éradication du banditisme crescendo en corsant le Code pénal

– l’arrêt de l’immixtion du politique dans les sphères de la justice.

Enfin, on n’a pas besoin de quelque forme de rupture par le sang pour conduire les destinées de notre pays. Une volonté clairement affichée de la majorité des citoyens et un dispositif coercitif très renforcé pour les autres devraient conduire à une rupture réelle, volontariste et volontaire. C’est un retour simple à la bonne marche des choses, à une transparence de nos démarches et des actes à poser.

Nous avons été formés pour assumer des fonctions devant la Nation tout entière ; armons-nous donc de loyauté vis-à-vis de nos institutions, de discipline, d’intégrité et de sens du respect des lois ! Le salut du Sénégal se trouve dans cette voie et nulle part ailleurs.

 

Lieutenant-colonel (Er) Adama DIOP

-Ancien Chef de la Division Médias et stratégies de la Dirpa

ada_diop2003@yahoo.fr

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