Une succession de meurtres répugnants et très médiatisés a récemment mis la population en émoi et instauré sur la place publique un débat sur le retour à la peine de mort comme ultime recours contre le regain de violence. Si on y regarde de plus près, ce débat s’est instauré tout simplement parce qu’on aime exprimer nos émotions à haute voix, plutôt que de s’interroger sur les vraies causes d’une réalité atypique et en anticiper la persistance.
Si l’on considère les derniers meurtres qui ont fait la une des média (affaire Ibrahima Samb, affaire Ndiaga Diouf, affaire Pape Ndiaye, Fama Diop Sanchez et aujourd’hui Fatoumata Mactar Ndiaye), dont la motivation est tantôt crapuleuse, tantôt passionnelle, tantôt pécuniaire, l’on ne voit de ce point de vue, ni du point de vue juste social, eu égard au statut des différents victimes et auteurs, aucune base commune pour en tirer systématiquement des conclusions et en dériver des solutions.
Ces crimes sont odieux, personne n’en disconvient ; mais faisons attention à l’effet buzz qu’ils ont produit et qui peut conduire à des méprises graves. Il reste à démontrer qu’au regard des statistiques et des caractéristiques des autres crimes perpétrés à longueur d’années, dans l’indifférence des média, ils sont les plus représentatifs pour servir à la recherche de solution globale et durable.
Le meurtre est un crime certes, mais il est surtout l’apogée de la violence. De ce fait il convient, pour le traiter, d’analyser le processus, de l’instant de son déclenchement à l’atteinte du point critique, où des circonstances survenues en ont enjoint la réalisation. Un temps variable balisé de permanentes agressions, plus ou moins mineures, généralisées et banalisées.
Nous vivons dans un environnement de déficit comportemental dangereux, qui élève la probabilité de telles fatalités. Tuer dans notre univers quasi chaotique n’est pas un accident, mais une conséquence logique d’un damné système auto-contraint que, par notre insouciance, nous avons bâti et nous y sommes résignés pour tout destin.
Ne rendez-vous pas compte que même nos prêcheurs ne peuvent plus s’imaginer les délices du paradis promis dans les livres saints ? Pour convaincre les disciples à suivre à la lettre la religion, ils n’ont recours qu’aux affres de l’enfer de l’au-delà. Cela est de l’agression par matraquage de promesses à la damnation. C’est contre-productif par rapport aux autres offres pédagogiques. Les résultats négatifs sont patents mais rien n’y fait. N’aurions-nous plus le droit d’espérer et rêver de mieux, surtout provenant de Dieu ?
Ne pas confondre émotion et solution
La réponse à ces meurtres, décidément, n’est pas à trouver dans l’issue à réserver à la peine de mort. Plutôt se poser des questions sur ce que notre société est devenue et là où elle semble s’acheminer, constatant qu’il n’y a plus de sérénité possible dans notre environnement et que toute la population vit en permanence au seuil de l’exaspération.
Pourquoi tant de violences quotidiennes entre nous-mêmes, devenues habitudes et banalités, en dépit des valeurs séculaires dont on revendique la paternité ? Comment est-ce que ce phénomène de laxisme et corruption des mœurs tant déploré, prospère sans que les toutes puissantes valeurs ancestrales et religieuses fièrement exhibées ne puissent le freiner, au moins à défaut sonner l’alerte à temps et provoquer un sursaut socio-culturel conservatoire ?
Les agressions de tous genres font légion, gratuitement et impunément, dans l’espace public, foulant aux pieds les règles de civilité, les lois et normes, au passage. Je n’en veux comme exemple que les cas suivants :
– Il y a les tapages nocturnes sous prétexte religieux, phénomène relativement nouveau et réelle torture imposée à une population qui ne sait à quel saint se vouer. Tous les soirs, dans nos quartiers, des quidams occupent les places publiques pour dresser une petite bâche, accrocher leurs haut-parleurs aux arbres et chanter jusqu’à deux heures du matin. Ce n’est rien d’autre que du terrorisme. Figurez-vous que du temps de la bonne civilisation à Dakar, nous avions droit à un sommeil paisible garanti.
Jusqu’aux années 1970, je me souviens encore qu’un fameux journaliste de la RTS du nom d’Ousseynou Seck, annonçait systématiquement à la radio dès 22h précises : « veuillez diminuer le volume sonore de votre poste radio, il est 22h ». Et cela suffisait pour que le calme emplisse la ville.
– Tous les matins des muezzins appellent, de mosquées souvent contiguës, dès 4h30 du matin, pour une prière qui se fait parfois à 6h28. Et ils maintiennent les quartiers environnants éveillés via une agression par excès de décibels jusqu’au matin. Lui, muezzin, est chômeur, il retourne à son lit ; les autres devront être à huit heures à leurs lieux de travail pour ne revenir chez eux que tard le soir.
Quand on est condamné à des nuits autant perturbées et qu’on se réveille dans un décor sordide, on ne peut qu’avoir les nerfs à fleur de peau et, pour les plus fragilisés d’entre nous, être tentés par la violence.
– S’y ajoute l’indécence des transports en commun et la pollution permanente de CO2 dans l’atmosphère ; l’indiscipline effroyable qui règne en toute flagrance sur le paysage sans se heurter à la moindre proscription dirimante ; l’insalubrité et toute cette jeunesse en désenchantement errant comme des zombies dans les rues, fauchée comme des rats d’églises ; l’insolite spectacle du charretier qui prend tous les sens interdits et arpente même de nuit les grandes artères de la ville, etc.
Tout cela est désagréable et notre permissivité à de telles agressions constitue un terreau de la violence.
S’attaquer à la violence à la racine
On n’éradiquera jamais le meurtre. Se donner un tel objectif est une idée diabolique. Cependant on peut le réduire à un niveau convenable, si tant est qu’il est prouvé qu’il a atteint des proportions déraisonnables. Pour ce faire il faut ramener les normes à leur place et veiller à ce qu’elles soient connues de tous, dans les détails, ainsi que ce qu’il en coûte de les enfreindre, en même temps que l’on systématise l’application rigoureuse des sanctions respectives édictées.
Il n’y a pas de violence ou agression tolérable parce que légère. En accepter l’idée dans une société, c’est un encouragement donné aux fantasques en son sein ; lesquels aiment à se marginaliser. Vivre, pour nous êtres humains, c’est être en osmose avec un univers de normes et de conventions qui nous forgent des habitudes et réflexes, nous dispensant ainsi d’avoir à réfléchir et improviser chaque fois que l’on a à agir. C’est pourquoi le travail des autorités devrait consister au renforcement du respect rigoureux des normes et conventions dans l’espace public, sans relâche, ni complaisance, après s’être employées à bien les faire connaître de tous.
Repenser le modèle social sénégalais, amener les citoyens à ne plus s’insulter les uns les autres, ni s’empoigner dans la rue, les pousser à se respecter mutuellement et à vénérer l’environnement, est le meilleur moyen d’éloigner la violence et les meurtres.
Ibe Niang Ardo