À l’instar des hommes, les nations naissent, grandissent et meurent. Elles peuvent traverser des guerres, des famines, des crises économiques ou politiques majeures, certaines disparaissent ou périclitent, d’autres s’en sortent renforcées. Oui, il en va bien des sociétés comme des hommes, ce qui ne les tue pas les rend plus forts. Ce sont les hommes qui créent les nations et non le contraire. Il est donc permis de croire en l’homme, à son génie créateur, à ses valeurs de dépassement et sa capacité à replacer dans un contexte historique ces évènements qui forgent le destin des nations.
Événement fondateur de notre démocratie, l’abolition en 2004 de la peine de mort, appliquée à seulement deux reprises dans l’histoire de notre pays, ne saurait être remise en cause sans marquer un recul net pour notre pays en matière de droits de l’Homme. Pourtant, avec la multiplication ces dernières semaines des crimes de sang, et admettons-le, d’assassinats odieux, le débat ressurgit et beaucoup de Sénégalais réclament un retour de l’application de la peine de mort, qu’ils pensent être l’ultime recours contre les tueurs de sang froid. Mais, les partisans de la peine de mort ignorent que cette loi ne peut en aucun cas dissuader d’autres assassins de commettre des crimes de sang et encore moins de prévenir le retour des dangereux criminels dans la société. Non, mettre fin à la vie d’un criminel ne met pas fin aux crimes, et oui, notre humanité à ne pas exécuter les meurtriers, n’est pas une faiblesse, mais une grandeur d’âme.
Je veux pourtant m’associer à la colère des familles des victimes et partager le désarroi de l’opinion publique. Mais je ne peux comprendre, face à ces crimes gratuits, que les voix s’élèvent pour demander le rétablissement de la peine de mort, car cela démontre là encore le mal-être social du pays.
Un peuple mature se reconnaît à sa capacité à encaisser les épreuves et à les dépasser sans remettre en cause ses principes fondamentaux. Pour légitime qu’il soit, ce débat est éculé puisque notre arsenal juridique, le Procureur de la République l’a clairement rappelé, nous permet de mettre hors d‘état de nuire ces criminels en les condamnant à une peine de perpétuité assortie de travaux forcés. Autant dire que ces assassins n’existent plus pour la société et qu’ils sont pratiquement morts.
Vouloir aller au delà, en demandant à l’Etat de verser de manière légale le sang de ces meurtriers, c’est se renier et s’engager dans une marche arrière qui ne nous ferait pas aller mieux, qui ne diminuerait pas le nombre de criminels ni la douleur des victimes mais nous aura fait renoncer à nos idéaux. D’ailleurs, serions-nous vraiment prêts pour ces spectacles sordides ou des criminels se font assassiner par notre Etat ? Le rétablissement de la peine de mort n’est pas et ne sera jamais la réponse adéquate qu’une nation mure, sereine et optimiste se doit d’apporter par rapport au respect des principaux instruments de protection des droits humains ! On ne répond pas à la barbarie d’un individu par la barbarie d’un Etat. Nous n’accepterons pas de renoncer à nos efforts et rêves de devenir une nation émergente parce qu’un individu a commis un crime insoutenable. Si nous manquons de presque tout, n’oublions jamais que notre démocratie vaut de l’or et que notre nation est reconnue dans le monde comme une terre de paix et de tolérance.
D’ailleurs, en matière d’insécurité, nous autres sénégalais ne sommes pas les plus exposés, nous serions même en grande sécurité et il suffit de se promener un peu en Afrique pour s’en rendre compte. Cependant, consacrons plus de ressources à la prévention, à la recherche des solutions face à la criminalité, ce qui nous mènera peut-être à tarir la source de cette barbarie mondialisée et qui déferle jusque dans nos campagnes. Afin de renforcer notre sécurité, préoccupons-nous de mettre également un terme à la délinquance juvénile qui ne cesse de prendre de l’ampleur.
Aujourd’hui nos cœurs saignent. Et un cœur qui saigne ne reflète que colère et désir de vengeance. L’agressivité généralisée a envahi les foyers, les rues, les routes, les terrains de foot des navétanes, les arènes de lutte, les stations de radios et plateaux de TV ou chacun donne son avis sans en mesurer l’impact sur les consciences…
Aujourd’hui, c’est une société sénégalaise traumatisée par les violences multiples qui souvent prennent leur source dans nos cultures et modes de vie qui demande à l’État de ne pas feindre de voir le fléau, de panser les blessures nationales et d’endiguer ce vent de criminalité qui souffle au Sénégal.
Oumou Wane
Présidente africa 7