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Violences Au Sénégal : Misères De L’Émergence, Émergence De La Misère

Violences Au Sénégal : Misères De L’Émergence,  Émergence  De La Misère

La dégradation de l’environnement physique et moral durant les années d’ajustement structurel et de lutte contre la pauvreté a fini par aliéner le mental des populations. À l’échec des départs mal négociés lors du dégraissage de l’administration et de la restructuration bancaire des années 80, s’ajoutent une paupérisation grandissante des populations, toutes classes sociales confondues, et une impécuniosité qui explique à son tour la faiblesse de la puissance de l’autorité : cette faiblesse morale frappe et tue. L’absence ou l’excès d’eau détermine les relations entre les populations et rend un mauvais service à l’ajustement structurel, base de l’austérité.

 Le Gouvernement sénégalais vient de dévoiler son budget 2016-2017 en pleine crise sociale marquée par une série de meurtres des plus sordides.

Le budget de cette année est « historique« , aux dires du grand argentier, avec les 3.000 milliards de francs Cfa dépassés ; il ne permet malheureusement pas de réduire les risques sociaux de tous ordres, l’insécurité et l’angoisse de populations sans perspective autre que la mort sous diverses formes, que l’on donne (l’augmentation des séries de meurtres) ou que l’on subit dans le ventre de l’Atlantique, « Barça ou Barsax » traduisant exactement ce don de soi face à une situation délicate à dépasser par tous les moyens.

La masse salariale reste le gros souci (800 milliards), alors que les institutions de Bretton Woods avertissent que l’on ne peut réaliser le moindre plan d’émergence si, déjà, 750 milliards vont à la masse salariale.

D’autre part, par leur origine et leur originalité, les meurtres aussi expliquent le désarroi d’une société sans repère, sans hiérarchie où l’on tue et meurt  pour un mégot de cigarette, pour une clé Usb, 100 francs ou pour trouver une dot de mariage…sinon une place dans l’échiquier politique. Autant dire que la redistribution de la richesse nationale ne permet pas encore de réduire les grands écarts sociaux ni la recherche de survie honorable : la récession est toujours là, qui a eu raison de Abdou Diouf, Me Abdoulaye Wade ; on l’appelle familièrement le Parti de la Demande Sociale.

Le champ est délimité : il est politique dans sa conception, son application et ses funestes conséquences, au sens grec.

Le plan « Sénégal émergent« , héritier du Programme d’ajustement structurel du président Abdou Diouf, a engendré la lutte contre la pauvreté, ancêtre de la fusion effectuée par le président Macky Sall entre ce « Moins d’État Mieux d’État », la Stratégie de croissance accélérée, la vision de la haute administration sénégalaise du pays en l’An 2035 et le « Yoonu Yokkute » du candidat sans illusion devenu quatrième président de la République. Le budget de cette année renvoie également au Sénégal de 2035.

 «Pourtant, partout où elle est mise en œuvre, précisent Allan Popelard, Géographe, et Paul Vannier, Géographe à l’Institut français de géopolitique, université Paris-VIII, l’austérité produit l’inverse des effets annoncés. Elle perpétue la récession, accroît le niveau de dette publique et creuse les déficits. Entre 2008 et la fin de l’année 2013, le produit intérieur brut (PIB) de l’Italie a chuté de 8,3 % ; celui du Portugal, de 7,8 % ; celui de l’Espagne, de 6,1 %. Quant à la dette publique, depuis 2007, elle est passée de 25 % du PIB à 117 % en Irlande ; de 64 % à 103 % en France ; de 105 % à 175 % en Grèce. Tous ces pays sont des adeptes de la rigueur».

 La conséquence ?

«La baisse des prestations sociales, la diminution (relativement à l’inflation) des salaires et le gel des embauches des fonctionnaires–les trois principales formes de l’austérité–ont également contribué à l’augmentation du chômage. Situé autour de 12 % dans l’Union européenne, le taux de chômage s’élève, en Grèce, à 27,9 % en 2013 contre 10 % en 2007 ; en Espagne, à 26,7 % contre 7,3 % ; au Portugal, à 16 % contre 6,1 % ; et en Irlande, à près de 15 % contre 4,7 %. Conséquence : l’austérité grippe la consommation, l’un des principaux moteurs de l’activité, et affecte jusqu’à la santé des peuples : en Grèce, la baisse de 23,7 % du budget du ministère de la santé entre 2009 et 2011 s’est accompagnée d’une recrudescence de certaines maladies–les cas d’infections au virus de l’immunodéficience humaine (VIH/sida) ont par exemple augmenté de 57 % entre 2010 et 2011. Le nombre des suicides s’est envolé, quant à lui, de 22,7 % ». (« Manuel d’histoire critique » • 2014, X. Ce monde qui vient • pages 162 et sq. in Le Monde Diplomatique).

Cette violence autodestructrice exercée sur la société rejoint la trilogie de Max Weber (altruiste, égoïste, anomique). Dans la cosmogonie africaine, le suicide n’est pas accepté : hôte de l’univers, l’individu est extérieur à lui-même et appartient à un Être supérieur devant lequel il doit se présenter entier. C’est ce qui sauve un peu (de) l’irrédentisme des musulmans sénégalais : l’animisme, déterminant en dernière analyse, fait à ce propos le lit de l’Islam et permet au  Sénégal d’éviter des pieds de nez d’individus extasiés qui retournent leur colère contre les populations sénégalaises, au sens culturel du terme.

La lutte contre les violences de ces derniers temps ne repose donc pas sur la multiplication des commissariats d’arrondissement et  des rondes policières : elle doit se concentrer sur le long terme à la détermination de la nouvelle société sénégalaise où les risques, l’insécurité et l’anxiété des populations trouveront une réponse…écologique, piste nouvelle de lutte contre la pauvreté : l’excès (inondations) ou la rareté (la longue sécheresse) de l’eau détermine en effet les relations entre classes sociales et ses effets sont plus durables que les résultats des plans d’émergence imaginés en réaction à la détérioration de l’environnement subséquente.

Le combat contre la pauvreté repose en gros sur l’environnement depuis les années 70, le reste en découlant : le niveau de l’éducation, le statut sur le marché de l’emploi, la taille du ménage, l’occupation du sol, problème environnemental fondamental et déterminant sont en effet des enfants de la présence ou de l’absence d’eau entraînant une stabilité plus ou moins aléatoire.

Le ministère de la Ville, sous le président Abdou Diouf, et ses différentes déclinaisons reconnait ainsi l’importance du cadre de vie comme élément de lutte contre la pauvreté dans une situation de tensions de trésorerie financière, quelle que soit la tendance Matamore des pouvoirs publics : la dégradation de l’environnement physique a déteint sur les mentalités et la cohabitation avec les détritus et les déchets démontre a l’envi la délicatesse d’une situation difficile où l’essentiel et les préoccupations sont ailleurs.

 Les catastrophes naturelles provoquent chaque année 520 milliards de dollars de pertes et plongent 26 millions d’individus dans la pauvreté.

(Rapport de la Banque mondiale, 11 novembre 2016).

Le forum de Dakar en 2001, en présence de délégations venues de 6 pays d’Afrique, des Institutions de la Banque Mondiale et du Système des Nations-Unies, pour le sommet mondial sur le développement durable, le confirmait. (Le Soleil N° 9265 du 18/04/01, page 10). Les tentatives de solution par une bonne maîtrise de l’eau donnent encore des résultats mitigés : les politiques de développement agricole renvoient à des réformes visant plus l’assainissement du secteur (désengagement de l’État de toutes les fonctions marchandes au profit du secteur privé ; libéralisation des prix aux producteurs des produits agricoles et libéralisation des importations), une croissance supérieure au croît démographique, la sécurité alimentaire, l’amélioration des revenus en milieu rural et celle de la gestion des ressources naturelles (République du Sénégal, Ministère de l’Agriculture, Groupe de Réflexion Stratégique, Revue des Investissements du Secteur agricole, janvier 1997). Elles laissent très peu de place à une cohérence d’ensemble qui permettrait de se passer des seules eaux de pluies et initier le paysan sénégalais à la culture irriguée actuellement peu pratiquée : 4% des surfaces cultivables (R. Sénégal, Ministère de l’Hydraulique, Mission d’Études et d’Aménagement des Vallées Fossiles, 1998), 20% selon l’Association sénégalaise pour la promotion de l’irrigation et du drainage (Aspid), loin des 70% retenus comme normes internationales par la même organisation.

Petite piqûre de rappel historique

Depuis Mathusalem, les théoriciens se sont mis d’accord sur un point : la pauvreté est un concept complexe, expression d’une réalité multidimensionnelle. L’absence d’une étude pluridisciplinaire sérieuse limite une vision d’ensemble cohérente. Ainsi, tour à tour, en fonction de l’expert du moment, la pauvreté est présentée sous son aspect purement biologique ou physiologique (moins de 2.400 calories nécessaires à un adulte), ou purement économique (moins d’un dollar/jour), avec, toutefois, une prédominance de la tendance économiste. Ces deux extrêmes simplistes passent sous silence la problématique d’exclusion du processus de développement et les inégalités sociales dont souffrent ceux qui sont compris dans les études.

Le forum africain pour le sommet mondial sur le développement durable, tenu à Dakar, les 12 et 13 mars 2001, et la rencontre avec les techniciens du ministère de l’Économie et des Finances (Le Soleil N° 9268 des 21 et 22 avril 2001) renseignement que le Sénégal est revenu à son niveau économique de 1960. Le programme national de lutte contre la pauvreté, qui s’appuyait sur le Programme intérimaire du Secteur agricole (Pisa), montrait déjà un écart entre l’importance des investissements et la faiblesse des performances du secteur. Une enquête sur les priorités (Esp) et sur les activités des ménages (Esam) fait apparaître que 30% des ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté considéré comme la dépense nécessaire à l’acquisition de 2.400 calories/jour et par personne dans le ménage. En se basant sur cet indicateur, l’enquête concluait que 75% des ménages pauvres sont localisés en milieu rural et que 58% des ménages ruraux sont pauvres (R. Sénégal, Ministère des Finances, Direction de la Statistique, 1991).

Étudié sous l’angle de dépenses alimentaires, le seuil de pauvreté est évalué en 1992 à 3.324 F. Cfa par habitant et par mois, alors que, dans la réalité, cette dépense était située à 2.247 F Cfa, soit 32% en deçà du minimum jugé vital pour la satisfaction des besoins en calories. C’était deux ans avant la dévaluation du franc Cfa intervenu en janvier 1994. L’analyse technique de la pauvreté invitait à des pratiques plus globalisantes en dépassant le cadre purement épidémiologique pour investir les aspects socio-anthropologiques, ethnographiques et politiques. Un volume de travail réduit dû à des conditions climatiques difficiles à cause de la rareté de l’eau a conduit à une migration intérieure et vers l’extérieur.

Aujourd’hui, un Sénégalais sur cinq vit dans les villes, pour fuir une baisse de consommation et le recours à des produits de substitution moins riches. Ces migrants sans qualification vivent à la périphérie des villes et accélèrent le processus de bidonvilisation ; ils vivent d’expédients et sont réceptifs à la délinquance, au grand banditisme, au proxénétisme, à la prostitution, à la pédophilie, à la drogue, aux maladies (VIH, MST, etc…) Cette migration est favorisée par un régime foncier imprécis, perpétuellement réajusté (Cf. Le Soleil N° 9066 des 19 et 20 Août 2000). Elle est observée au Sine, ancien bassin arachidier, et tout au nord du Sénégal, zones où le régime hydrique est préoccupant depuis le début du XXème siècle.

La pauvreté a également eu pour conséquence une responsabilisation plus accrue des femmes qui ont marqué une présence plus prononcée sur la scène économique lorsque le chef de famille perd ce qui faisait la source principale de son autorité : l’argent. Ainsi, sur une population majoritairement féminine (4.123.759 contre 3.760.498 hommes), les 777.931 chefs de ménage comprennent désormais 20% de femmes (Esam, 1991). Transposées dans la réalité d’aujourd’hui, ces données réactualisées révèlent que, après les efforts du président Abdou Diouf (1980-2000), la proportion de la population pauvre a baissé de 10,8 points de pourcentage entre 1994 et 2002 (Direction de la prévision et de la statistique : La pauvreté au Sénégal : de la dévaluation en 1994 à 2001-2002, janvier 2004). Ainsi, au plan national, «la part de la population en situation de pauvreté a diminué de 67,9 % en 1994-1995 à 57,1 % en 2001-2002 », selon le document qui présente des estimations comparables de la pauvreté au Sénégal en utilisant les données des enquêtes Esam I (1994-1995) et Esam II (2001-2002, section 1). De façon similaire, signale cette étude préliminaire (…) précise que la part des ménages en pauvreté a diminué de 61,4 à 48,5 %, soit une baisse en termes relatifs de l’incidence de la pauvreté de 16 %.

Les niveaux de pauvreté sont plus élevés en zones rurales qu’en zones urbaines et plus élevés dans les autres zones urbaines qu’à Dakar, rapporte la Dps, sur la base des estimations qui montrent aussi que la pauvreté a diminué davantage en zones urbaines qu’en zones rurales.

Rapport 2014 de la Banque mondiale sur le Sénégal, 11 novembre 2016

 • La croissance de 3,5 % enregistrée par le PIB en 2013 a été décevante. Elle n’a pas beaucoup changé par rapport à 2012 ; reflétant ainsi

une baisse dans la production des céréales dans le secteur industriel. Les services restent le moteur de l’économie.

• La valeur totale des exportations a stagné en 2013, car quatre des cinq principaux produits d’exportation (l’acide phosphorique,  l’or, le ciment et le poisson) ont accusé des baisses. Le tourisme, qui reste la plus grande source de devises étrangères, a également connu des difficultés.

• L’exécution du budget est demeurée conforme au cadre budgétaire, avec un déficit budgétaire qui est tombé à 5,5 % du PIB.

Toutefois, l’insuffisance des recettes a entrainé une réduction des dépenses publiques.

• Les perspectives économiques pour 2014 étaient plus encourageantes, mais les pluies peu abondantes et l’épidémie d’Ebola ont

forcé les révisions à la baisse dans les projections de croissance du PIB, qui devrait désormais s’établir à 4,5 % seulement.

• La consolidation fiscale s’est poursuivie en 2014 avec une réduction du déficit budgétaire de 5,5 % en 2013 à 5,2 % en 2014.

Cependant, la masse salariale, plus particulièrement les indemnités, devient de plus en plus importante, et les budgets de 2014 et

2015 ne semblent pas toujours avoir reflété les priorités annoncées par le gouvernement.

• Une analyse à long terme de l’économie fait ressortir une certaine perte de dynamisme enregistrée depuis 2005. Ceci est, en partie,

dû aux chocs extérieurs mais également à des investissements inefficaces et à l’absence de réformes.

• Le Plan Sénégal émergent a pour objectif de rompre avec cette tendance. Le fait qu’il mette l’accent sur la croissance économique est salué. Toutefois, ses ambitions pourraient ne pas correspondre avec les ressources disponibles et, selon toute vraisemblance, son succès dépendra de l’accélération des réformes et de l’adhésion massive du secteur privé.

• Les changements climatiques constituent de nouveaux défis pour l’économie. L’érosion côtière affecte déjà l’industrie du tourisme

et l’élévation du niveau des mers constitue une menace dans le moyen terme, plus particulièrement à Saint-Louis.

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Pathé Mbodj

sociologue – journaliste


Orientations bibliographiques

Allan Popelard, Géographe,

Paul Vannier, Géographe à l’Institut français de géopolitique :  Manuel d’histoire critique » • 2014, X. Ce monde qui vient • pages 162 et sq. In Le Monde Diplomatique; novembre 2016).

Jacques  Binet : Psychologie économique africaine, Paris, Payot, 1970, 334 p. (Bibliothèque Scientifique).

L’Observateur N° 217 du 09/06/2004, Page 4.

Jean Ziegler : Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent, Fayard, 2002, pages 64-65.

Guy Roustang : Ramener le travail à sa juste valeur, in « Travail », Magazine de l’OIT, N° 14, Déc. 95.

Arnaud Sales : Sociologie de l’économie, cours-année, Université de Montréal, Automne 81.

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