Samedi 03 décembre 2016, le Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche défendait le budget de son département devant la représentation nationale.
Un honorable député, intervenant dans une des langues du pays, a invité avec insistance le Ministre à écrire des livres de mathématiques en Pulaar, ce que lui, député, ne saurait faire.
A sa suite, j’ai soutenu cette proposition en en dégageant la signification réelle. Il s’agit d’une invite à tous les professeurs et chercheurs de notre pays à écrire des livres dans la ou les langues nationales maitrisées, les matières de leur spécialité. Par delà ceux visés plus haut, l’invite s’adresse à tous les intellectuels du pays, qu’ils enseignent, soignent, servent l’Etat à quelque niveau que ce soit, qu’ils interviennent dans le secteur privé moderne ou dans l’informel, qu’ils servent les différents cultes dans notre pays. A chacun de transcrire ses savoirs, son expérience professionnelle ou de vie dans une voire deux langues ou plus du pays. Les utilisateurs du français, de l’arabe, de l’anglais, de l’allemand, etc. sont tous interpellés.
Tout le monde comprend qu’il s’agit là d’un besoin social, intellectuel, culturel et économique dont l’urgence devrait s’imposer. Cette entreprise citoyenne non partisane et d’envergure, entreprise de création des savoirs en tous genres, à une haute portée pour l’Emergence du Sénégal.
Le ministre Mary Teuw NIANE, dans sa réponse à cette sollicitation, s’est engagé à écrire des livres de mathématiques en Pulaar, et également en Wolof, langue, dit-il, qu’il a le privilège de maîtriser.
L’Emergence économique ne saurait advenir si le niveau intellectuel et culturel ainsi que la qualification renforcée des ressources humaines ne s’élèvent et ne se renouvellent.
La meilleure manière de secouer la torpeur et le conservatisme d’un peuple consiste à diffuser la culture scientifique et un humanisme éclairé.
Une coopération fructueuse entre les intellectuels d’influences occidentale et ou arabe peut féconder ce grand mouvement citoyen d’appropriation des savoirs et des littératures du monde à travers nos langues nationales.
Le titre de cette contribution est « l’Assemblée nationale parle sept (7) langues en attendant d’aller plus loin ».
Oui, la deuxième Institution du pays a mis en place un système de traduction simultanée en sept (7) langues conformément à l’alinéa 2 de l’article premier de la Constitution : « La langue officielle de la République du Sénégal est le Français. Les langues nationales sont le Diola, le Malinké, le Pular, le Sérère, le Soninké, le Wolof et toute autre langue nationale qui sera codifiée ».
Cette disposition de notre Constitution a été traduite dans les faits à l’Assemblée nationale, s’agissant de sept langues nommément citées. Elle s’inscrit dans la dynamique de la disposition constitutionnelle, à savoir, en fonction de la codification des langues nationales, des moyens financiers et humains, élargir la palette de leur insertion dans le système de traduction simultanée.
L’avènement de cette traduction simultanée a totalement modifié l’atmosphère dans l’hémicycle à l’occasion de la prise de parole. Aucun député, s’exprimant dans une langue autre que le français et le wolof, n’est plus l’objet de réprobation explicite, ou muette. Il ne s’autocensure plus. L’occasion a révélé les talents oratoires extraordinaires et la grande maîtrise de leur sujet par des intervenants qualifiés traditionnellement d’analphabètes. Mieux, les Ministres, même s’ils ne comprennent pas la langue utilisée, répondent parce qu’à travers la traduction simultanée, ils ont connaissance du message délivré. Une véritable révolution est ainsi intervenue à l’Assemblée : elle a été capable de reconnaitre l’égale dignité des langues nationales, élevées au rang de langues d’administration à travers les séances plénières. Elle a accepté et géré avec succès et bonheur la diversité linguistique, une des expressions de la pluralité du pays.
Cette révolution-là dépasse l’Assemblée nationale. Elle prouve qu’il est possible de gérer la diversité et la pluralité sans mettre en cause l’unité du pays. Persévérer dans cette direction, en y insufflant toujours davantage de contenu et de qualité, s’impose au pays et au-delà du nôtre, aux différents Etats africains. Cette voie assure la consolidation de l’unité nationale et continentale, la réduction des conflits redoutables et ravageurs des identités multiples constitutives des Etats hérités de la colonisation.
Au moment où se termine à Dakar le Forum International sur la paix et la sécurité, l’exemple et l’expérience de l’Assemblée nationale du Sénégal peuvent et doivent être appropriés et implantés, naturellement, avec les aménagements et les rythmes nécessaires.
Un questionnement majeur cependant interpelle l’Afrique : les modes et pratiques de gouvernance des Etats africains, caractérisés par des diversités et des pluralités de toutes sortes, ignorées, étouffées, malmenées, marginalisées et réprimées, n’ont-ils pas épuisés leur pouvoir de maintien de la cohésion des nations africaines, que l’on prétendait obligatoire pour assurer le développement économique, pas encore au rendez-vous prés de soixante ans après ?
Ces modes sont- ils capables de garantir la paix et la sécurité dans le long terme en minimisant les explosions de violence et de désordre ? Peuvent-ils contribuer significativement à la stabilité d’une Afrique unie des peuples et des Etats ? L’Afrique des Etats est en cours de construction laborieuse. Comment peut-elle se mettre à l’abri d’une remise en cause, voire d’un effondrement, sous l’effet de causes internes ou exogènes ?
La situation socio politique dans l’Union Européenne, orientée par l’économisme et l’ignorance des besoins des couches populaires, avec la montée en puissance des extrêmes-droites, n’est elle pas une leçon à retenir et à méditer, pour inspirer une construction continentale plus stable, plus souple, plus sociale et plus solidaire, intégrant et gérant le pluralisme comme une condition sine qua non de l’existence des Etats nationaux et de l’Union Africaine elle-même ? L’éclatement du Soudan peut-il être réédité ailleurs ?
Le Sénégal est ouvreur de voies innovantes en divers domaines. Il lui revient de labourer en profondeur le chantier de la gestion de la pluralité et de la diversité religieuse, linguistique et territoriale.
La territorialisation des politiques publiques, les différents programmes de rattrapage ou d’équité territoriale, l’attention portée aux régions et axes frontaliers, attestent que le gouvernement met en œuvre une vision prospective, profondément équitable et humaniste, attentive à la paix et à la sécurité durable du pays. L’effort en vue de réduire le déséquilibre des zones urbaine et rurale procède de la même vision.
La diversité religieuse dans notre pays, traduite par une cohabitation harmonieuse voire familiale, doit être sauvegardée comme la prunelle de nos yeux. C’est sans doute le signe distinctif du Sénégal dans le monde qui l’honore le plus.
Une solution porteuse de paix, de sécurité, de consolidation de l’unité nationale est nécessaire et possible. Elle exige des ruptures profondes et audacieuses. On peut y parvenir sans violence extrême à condition de changer de paradigmes, de tirer les leçons des souffrances et des violences traversées, d’anticiper sur les évolutions possiblement prévisibles, de choisir de vivre ensemble et en harmonie.
Le chantier linguistique est le plus délicat. Il faut reconnaitre qu’il fait peur. Mais il serait suicidaire de ne pas s’y pencher en faisant la politique de l’autruche. La peur vient de loin, des politiques jusque-là conduites, de la reconduction du modèle jacobin de la France coloniale et même d’aujourd’hui, modèle de monolithisme national et culturel ignorant et intolérant la pluralité et les diversités. Si cela convient aux Français, libre à eux, mais ce modèle-là a fait trop de mal en Afrique et ne peut pas fonder notre avenir.
Le modèle précité, nos pratiques, y compris administratives, nos mentalités héritées de vielles traditions de domination politique et économique, de rivalité et d’exclusion, de peur, de mépris et d’ignorance de l’autre sont les pires ennemis de la consolidation de l’unité nationale, qui ne saurait se construire par la domination des uns par les autres. L’avenir de la démocratie postule l’équité en tout, l’égale dignité des communautés et des individus. Si le nombre ou encore la quantité confère le pouvoir, c’est la qualité, à savoir la prise en compte équitable de tous là où ils vivent, qui doit être l’essence de la gestion du pouvoir politique. C’est dans cette essence-là que résident la stabilité, la paix, la sécurité et le développement durable.
La pleine reconnaissance de l’égale dignité des langues, des ethnies et des religions de notre pays est consacrée par notre Constitution.
Notre système d’éducation, notre administration, notre justice, notre système audiovisuel public comme privé doivent s’inspirer de cette Constitution.
S’agissant de l’introduction des langues nationales dans le système éducatif, j’ai écrit une contribution publiée en 2009, disponible pour ceux qui le souhaitent en s’adressant à latsime@gmail.com .
Comme en écho, le récent séminaire régional de Cotonou sur la vulgarisation du droit communautaire recommande entre autres la diffusion et la traduction des textes du droit communautaire dans toutes les langues nationales des pays membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA).
Quelle audace et quelle contribution de valeur et de poids pour une UEMOA des Etats et des Peuples !!!! BRAVO et vive l’UEMOA !!!!
Samba Diouldé THIAM
latsime@gmail.com