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Le Ter Sénégalais, Un Scandale Technico-financier

Depuis quelques semaines, l’opinion publique sénégalaise s’interroge à juste titre, sur les choix opérés par le gouvernement concernant notamment le TER entre Diamniadio  (et plus tard l’aéroport de Ndiass) et Dakar. Connaissant bien le domaine ferroviaire, je me permets d’apporter des éclaircissements.

Faisons d’abord l’état des lieux du ferroviaire sénégalais. Tout le monde sait qu’il est à l’agonie, peut être même mort. Etant petit, je prenais le train entre Diourbel, ma ville natale et Dakar. A l’époque, il y avait plusieurs lignes, dont Kaolack – Touba, Dakar – Thiès – Saint-Louis et bien sûr « l’express » Dakar – Bamako. Cette dernière ligne qui faisait à la fois du fret et du voyageur est un trait d’union entre le Sénégal et le Mali et faisait le bonheur des populations et donnait pas mal d’activés aux gares. Aujourd’hui, il est presque à l’arrêt. Le réseau ferré national sénégalais est en piteux état. L’infrastructure ferroviaire (voies, appareils de voie, signalisation, etc.) et le matériel roulant sont d’une autre époque. Dès lors, on peut s’interroger sur le choix de l’état du Sénégal d’acheter du matériel Alstom dernière génération appelée Régiolis (nom commercial donné par la SNCF) avec un système de signalisation ETCS (European Train Control System) qui signifie système européen de contrôle des trains qui sera fourni par Alstom et THALES. Pour rappel, ce matériel roulant autorisé en 2014 en France est prédisposé à l’équipement ETCS mais il est en mode réduit, c’est-à-dire en veille pour les circulations sur le réseau ferré national français. C’est le bi-standard ERTMS réduit KVB co-développé par ANSALDO (filiale d’HITACHI) et la SNCF.

C’est quoi l’ETCS ? Sans entrer dans les détails techniques, ce système a été créé dans le but de promouvoir l’interopérabilité du système ferroviaire européen. Il permet une circulation simple et rapide entre les frontières des différents états tout en garantissant la sécurité. Il fonctionne avec un système bord (à bord du train) et un système sol (entre les voies et dans l’emprise ferroviaire) Il se décline aujourd’hui en deux niveaux : 1 et 2.  Le niveau 1 fonctionne avec une transmission du sol au bord d’informations ponctuelles, par lecture des balises (disposées entre les rails) au sol « répétant » l’aspect du signal rencontré, avec adjonction d’une description de la voie jusqu’au prochain point d’information. Le niveau 2 quant à lui, fonctionne sans signalisation latérale, les informations sont transmises à bord du train par  liaison radio GSM/R (réduit) dédié. Un système RBC (Radio Bloc Center) communique avec les trains, assure leur espacement et donne l’autorisation de mouvement. Pour être plus simple, le conducteur observe son pupitre sur lequel, il reçoit toutes les informations nécessaires à la conduite du train : autorisation de départ, vitesse de circulation autorisée, vitesse but et distance but. En gros , en mode nominal, il peut conduire son train, si rien ne s’y oppose rideau pare-brise baissé, ce qui n’est pas autorisé bien sûr. L’ETCS niveau 2 est déployé à ce jour que sur une seule ligne en France appelée Ligne à Grande Vitesse Est Européenne (LGV EE). Deux autres lignes vont suivre en 2017. Il s’agit de la ligne SEA (Sud Europe Atlantique) entre Tours et Bordeaux et BPL (Bretagne Pays de Loire) construite par Eiffage.  L’ETCS doit être conforme à des spécifications techniques d’interopérabilité (STI) émises par l’ERA (Agence de l’union européenne pour les chemins de fer). La STI concernée est la CCS (Contrôle Commande et signalisation) dont la dernière est parue et référencée 2016/919/UE est applicable depuis juillet 2016. Il en de même pour le matériel roulant qui doit être conforme aussi bien aux STI (bruit, locomotives et passages, personnes à mobilité réduite, etc.) qu’aux différentes normes européennes et fiches UIC. Vu les contraintes liées à l’application de ces normes, si le cahier des charges sénégalais n’est pas solide, il y a un risque fort que la variante livrée au Sénégal ne soit pas totalement conformes à ces référentiels, c’est-à-dire une variante « tropicalisée », voire « exotique)

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Le Sénégal a donc choisi d’équiper la ligne et le matériel roulant en ETCS niveau 2. Pour quoi faire ? C’est à se demander si ceux qui dirigent ce pays défendent ses intérêts. Ils auraient pu acheter un matériel roulant moins cher et mettre en place un système de signalisation avec un espacement des trains, contrôle d’accès et de vitesse par des système alternatifs tel que les compteurs d’essieux, les systèmes nationaux de contrôle de vitesse (PZB, ZUB, ATB) qui offrent les mêmes garanties de sécurité et plus adapté à nos besoins. Si l’ETCS niveau 2 est l’unique système de signalisation, cela vaudrait dire que tous les trains qui emprunteront cette ligne devront avoir un système ETCS bord compatible ou au moins du même niveau que le sol, ce qui crée une dépendance à ce produit très cher, à cela s’ajoute les coups de maintenance et la gestion de l’obsolescence des composants. Pour résumer ce choix par rapport à l’état du réseau et à nos maigres moyens, c’est comme s’ils construisaient un immeuble flambant neuf au milieu d’un bidonville ou acheter pour nos agriculteurs ses semences OGM chez MOSANTO pour créer une dépendance.

En France toutes les lignes sous ETCS niveau 1 et 2 sont redondées avec le système national, c’est à dire la signalisation latérale sur les lignes dites conventionnelles équipées du KVB (Contrôle de Vitesse par Balise) ou TVM (Transmission Voie Machine) équipant tous les Trains à Grande Vitesse (TGV). Le mal étant fait, j’ose espérer que nos dirigeants n’ont pas poussé le bouchon jusqu’à choisir un seul système de signalisation pour équiper la ligne.

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Dans un pays qui manque de tout avec une pauvreté galopante, un chômage endémique, un système éducatif pauvre et fabrique de chômeurs, des hôpitaux délabrés et transformés en mouroirs, une agriculture en panne, des routes meurtrières, injecter autant de milliards (568 milliards pour tout le projet) sur 36 km d’un système ferroviaire largement surdimensionné et qualifier ce projet de plus grand depuis l’indépendance est simplement grotesque et scandaleux. Les priorités étant ailleurs, il y a largement de quoi se révolter. Ce projet est en passe de devenir le plus gros scandale du Sénégal indépendant. Confier la construction et l’exploitation de cette ligne à SYSTRA (filiale RATP et SNCF) c’est leur donner la légitimité et les moyens pour nous plumer. Le problème est qu’aucun organe de contrôle ou un contrepouvoir n’osera enquêter sur ce gros scandale. Le service après-vente politique est en ordre de bataille et les sbires du camp présidentiel s’en glorifient et défendront l’indéfendable. Au final, tout cela finira comme je me garderai de dire comme lettre à la poste (puis qu’elle ne distribue presque plus de lettres) mais plutôt comme du crédit « Orange » dans un téléphone car ça passe toujours.

Les sénégalais ont parfaitement raison de s’interroger sur de potentielles rétro commissions ou sur les lobbies de la Francafrique dans un climat politique dominé exclusivement par le second mandat du président. Il n’y a qu’à voir la liste des entreprises, la fiesta à Paris, la visite l’usine de Reichshoffen et le diner à l’Elysée pour couronner le tout avec une horde troubadours, de chanteurs (ou maitre chanteurs).  Dans nos pays, quand vous êtes élus, vous commencez par assurer vos arrières et celles votre famille, sans oublier que vous construisez des routes que vous empruntez sous escorte, vous formez des médecins qui ne vous soignent jamais, des hôpitaux dans lesquels vous ne mettez jamais les pieds, vous subventionnez une agriculture dont vous ignorez la saveur de ses produits, vous construisez des écoles dans lesquelles vos enfants n’iront jamais, quand vous quittez le pouvoir personne ne vous inquiète. Nous sommes simplement mal barrés et malheureusement, ce n’est pas fini.  

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Après les scandales Orange et Eiffage, en voici une nouveau : SYSTRA. Sans décourager mes concitoyens mais nous sommes très loin des sentiers de l’émergence. Espérons que nous aurons bientôt des dirigeants à la hauteur de nos attentes. D’ici là, comme me disait un ami congolais, nous avons qu’un seul produit lucratif que beaucoup nous envie, c’est la paix. Dieu sait que nos politiques n’en sont pas les garants, alors préservons la.

Abdou NGOM – Courriel : abdoungom@yahoo.fr

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