Dans un article précédent, je soutenais que les gambiens étaient maîtres de leur destin et qu’il n’appartenait à aucun autre peuple, fût-il sénégalais, de mener le combat contre Yaya Jammeh en leur lieu et place. La suite des événements m’a donné raison et fait prendre le pas sur les va-t-en-guerre qui réclamaient une hypothétique opération Fodé Kaba III, destinée à destituer le dictateur de Banjul.
En effet, sans effusion de sang, ce vaillant peuple gambien vient de nous administrer la preuve qu’une simple détermination, adossée à une forte conviction partagée, peut permettre de déplacer les montagnes. C’est donc avec beaucoup de respect et de déférence que je salue le peuple gambien pour son courage et son abnégation.
Pourtant, sans vouloir remettre en cause le mérite de la coalition de l’opposition qui a fait élire Barrow et malgré la surprise du cocu affichée par Jammeh après sa défaite, une analyse plus fine du film des événements autorise à penser que ce dernier a voulu se défaire d’un fardeau présidentiel devenu de plus en plus lourd à porter. En effet, l’Histoire nous a appris que les vrais dictateurs (Jammeh en est un) ne se font pas éjecter suite à une élection démocratique et transparente comme celle qui vient de se dérouler (de l’avis de l’opposition).
Pour ceux qui connaissent la Gambie et la totale mainmise de l’homme de Kanilaï sur le pays, notamment sur ses forces de sécurité et ses institutions, force est de conclure que personne ne pouvait battre Yaya en Gambie sans son assentiment exprimé ou tacite, dés lors que le processus était largement infesté par des hommes de main acquis à sa cause.
Pour un tyran qui organise des campagnes électorales avec des chars de combat, qui peut insulter les populations qui sont censées l’élire, qui ne veut pas entendre son nom dans la bouche d’un opposant, organiser lui-même des élections et les perdre de cette manière ne peut que nous laisser dubitatif.
Pour avoir côtoyé à plusieurs reprises les forces de sécurité du sieur Yaya Jammeh (j’ai été traqué pendant une semaine en Gambie dans une affaire d’Etat) et avoir connu la dictature sous Abdou DIOUF, qui n’était pas adepte de la transparence électorale à ses débuts, je peux affirmer que sans réelle transparence du processus électoral (nécessaire mais pas suffisante), ce qui était loin d’être le cas avant en Gambie, personne ne pouvait gagner contre Yaya Jammeh.
Cette volonté de quitter le pouvoir est corroborée par ce surprenant départ très médiatisé de la Gambie de la Cour Pénale Internationale au mois d’octobre et à la faveur d’un prétexte qui peut, sans ambages, être qualifié de fallacieux. Le régime gambien ayant exigé de la Cour la condamnation des européens pour la mort des migrants africains en méditerranée.
Une décision qui avait comme conséquence principale de soustraire le président des affres de la Cour, s’il lui arrivait de quitter le pouvoir.
Ensuite, l’élection présidentielle gambienne n’a pas été aussi transparente qu’on veut nous le faire croire. Elle a été émaillée d’incidents qui pouvaient, à bon droit, être constitutifs d’un contentieux électoral et qui l’ont finalement été. Il s’agit notamment de cette erreur dans le décompte des voix, par laquelle le candidat Barrow avait été crédité de 21 000 voix de plus que la normale. Une erreur à la réparation de laquelle le camp présidentiel n’aura rien trouvé à redire, signant le Procès Verbal de correction, les doigts dans le nez.
Enfin, le président sortant, décidément bien intentionné à l’égard de son tombeur, a poussé les amabilités jusqu’à se livrer à un appel enregistré à la télévision pour reconnaître sa défaite et sur un ton un peu taquin, se mettre à sa disposition. Ce à quoi le nouvel homme fort avait répondu favorablement en s’engageant à traiter Yaya Jammeh comme un ancien chef d’Etat et à le solliciter autant que de besoin.
Après tous ces efforts, qu’est ce qui a bien pu se passer pour pousser Yaya Jammeh à se livrer à ce grand braqué dans le sens d’une confiscation du pouvoir ?
Une réponse tranchée à cette question n’est pas évidente mais un début de réponse nous est fourni par le vocabulaire de la sur-communication des vainqueurs. Sur ce versant, il est possible d’identifier cette volonté clairement exprimée par Barrow d’arrimer de nouveau la Gambie à la CPI, d’attraire le Président sortant devant la justice gambienne et de collaborer étroitement avec le régime en place au Sénégal qui, avouons le, reste l’instigateur des Chambres Africaines qui ont jugé Hussein Habré. Des intentions porteuses de menaces à peine voilées et d’humiliation pour Jammeh.
Les droits-de-l’hommistes gambiens et sénégalais ne sont pas en reste. Promettre la guillotine, après une lapidation publique, à un dictateur militaire certes sur le point de quitter mais encore au pouvoir, a été une erreur monumentale. Eux aussi ont rendu le débat public délétère, oubliant ou ne sachant pas que dans les années 80, cette manière de traiter les anciens présidents, leur famille et leurs proches avait été identifiée comme un des principaux obstacles à l’alternance en Afrique. A l’évidence, un président qui sait qu’il va quitter le pouvoir pour rejoindre une prison à perpétuité avec femme et enfants ou pour se faire pendre, va préférer mourir les armes à la main plutôt que de céder le pouvoir, surtout qu’en l’espèce le concerné est un militaire.
De plus, il est établi que trop de communication tue la communication. Une leçon du Président Sall qui nous conseillait déjà en 2002 d’utiliser la presse avec parcimonie : ’’ elle peut être autant source d’opportunités que de menaces’’ disait-il. Les futures autorités de Banjul vont vérifier ses assertions à leurs dépens.
Ces faits susmentionnés permettent de découvrir pourquoi Jammeh a procédé à un ahurissant changement de logiciel par rapport à l’élection et imposent désormais à ses interlocuteurs d’appréhender la situation de façon réaliste, en intégrant ses contraintes particulières au double plan sociétal et géopolitique.
Une préoccupation intégrée par le Président Macky Sall, dont la position sur le sujet reste frappée au coin du sceau du bon sens et de la lucidité. En effet, sur les antennes de France 24, il a recommandé de ‘’dialoguer jusqu’à trouver une porte de sortie en paix pour Jammeh, qui puisse le protéger ou même aller jusqu’à ce qu’il ne soit pas poursuivi. Je ne veux pas trop entrer dedans, mais je suis pour le dialogue qui pourra le faire partir tranquillement pour que la Gambie se réconcilie » avec elle-même.
A rebours de cette sage posture, des forces hétéroclites européennes et africaines tentent vaille que vaille de nous imposer une guerre en Gambie pour disent-elles, rétablir la légalité constitutionnelle.
Jammeh a pris le pouvoir par les armes, et après avoir régné pendant plus d’une vingtaine d’années sans aucune forme de démocratie, c’est aujourd’hui que l’on se rend compte de l’urgence de rétablir une légalité qui n’a jamais existé. Un empressement tardif plutôt douteux qu’on aimerait retrouver dans le sens de démettre d’autres dictateurs africains encore en activité ou de la prise en charge des préoccupations des peuples de la sous-région.
Dans ce concert de partisans d’une ‘’messe de requiem pour Jammeh’’, on retrouve la CDEAO, les Etats-Unis et l’Union Européenne. En somme les pays membres de l’OTAN et leurs valets africains, hormis le principal intéressé, la Grande Bretagne qui s’est emmuré dans un silence assourdissant. Contrairement à ce que ces Etas tentent de nous faire croire, leur posture sur la scène internationale n’est presque jamais adossée à des considérations morales, mais plutôt à un obscur cocktail d’opportunités économiques et/ ou géopolitiques.
Jammeh est dans la récidive en ce sens qu’il n’a rien fait de nouveau qu’il n’aura fait dans le passé et c’est aujourd’hui que la CDEAO se réveille pour réclamer une guerre dans le ventre mou du Sénégal, au risque de déstabiliser le pays. Cette volonté morbide et illégale de la CDEAO, qui foule aux pieds le principe de non ingérence et qui, en plus, veut faire porter la responsabilité du meurtre au demi-frère sénégalais, à qui le commandement des forces d’agression est proposé, ne milite pas en faveur des intérêts de notre pays.
Le Sénégal fait face à une paix armée dans un sud qui est en pleine reconstruction et le fait de déclencher une guerre, même de faible intensité en Gambie, peut réduire à néant tous les efforts fournis pendant plusieurs années et entrainer de nouveaux déplacements massifs de populations aux conséquences sociétales incalculables.
De plus, la continuité ethnique qui caractérise les populations transfrontalières gambiennes et sénégalaises reste un facteur aggravant qui peut faire dériver un éventuel conflit vers l’intérieur de notre territoire. Même la Guinée Bissau, qui elle aussi se relève d’un conflit, ne sera pas épargnée.
Le Sénégal a donc grand intérêt à ce que la crise connaisse une issue pacifique en veillant à ce que toutes les autres solutions, en dehors de la guerre, soient explorées, car comme nous le recommande Jean Daniel, avant de décider d’une guerre, il est nécessaire de garder à l’esprit trois réflexions :
? ’’Oui, il faut parfois se résigner à la guerre mais en n’oubliant pas qu’en dépit de la justesse de la cause, on participe à la folie des hommes ’’ Barack Obama ;
? ‘’Chaque fois qu’un opprimé prend les armes au nom de la justice il fait un pas dans le camp de l’injustice’’ Albert Camus ;
? ‘’La justice, cette fugitive qui déserte souvent le camp des vainqueurs’’ Simone Veil.
Voilà pourquoi le Sénégal doit poser comme préalable à sa participation (soutien ou engagement direct) à une action militaire en Gambie, que soient clairement identifiés les buts poursuivis et que soient établies la pertinence, la légalité, la légitimité et la prise en charge des effets de cette action. En effet, compte tenu du contexte et de sa position, le Sénégal n’a pas vocation à hurler avec les loups et doit, au contraire, absolument faire preuve de retenue.
Barack Obama (encore lui) ne reconnaissait-il pas lors d’un discours à West Point ‘’depuis la seconde guerre mondiale, quelques une de nos erreurs les plus coûteuses sont venues non pas de notre retenue, mais de notre tendance à nous précipiter dans des actions militaires, sans réfléchir à leurs conséquences’’. Une remarque qui doit nous pousser à garder, chevillés au corps, les principes de prudence et de précaution.
Sur le plan géopolitique, le constat avéré est que les grandes puissances mondiales, les Etats-Unis et l’Union Européenne d’un côté, la Russie, la Chine et certaines nouvelles puissances dites émergentes comme l’Inde et le Brésil de l’autre, se livrent à une guerre sans merci pour le contrôle des ressources mondiales, parmi lesquelles le pétrole.
Sur ce versant la théorie du ‘’chaos constructeur’’, qui consiste à déstabiliser les pays pour occuper les zones utiles, développée par les « néoconservateurs » américains est accusée à raison d’être à l’origine des récente guerres en Syrie, en Libye et en Irak. Pour ces adeptes du philosophe Leo Strauss, dont fait partie Condoleeza Rice, le vrai pouvoir ne s’exerce pas dans l’immobilisme, mais au contraire par la destruction de toute forme de résistance. C’est en plongeant les masses dans le chaos que les élites peuvent aspirer à la stabilité de leur position.
L’exemple le plus parfait de la mise en œuvre de cette vision reste les guerres menées contre l’Irak par les Etats Unis et l’OTAN en 1991 et 2003. L’objectif réel a été atteint dans la mesure où le pays est ruiné, livré à des bandes armées à base tribale ou religieuses et est redevenu un pays colonisé, tout juste bon à fournir des matières premières, aux premières desquelles le pétrole, aux grandes firmes occidentales.
Une autre victime, cette fois africaine, de ces nouvelles guerres impérialistes reste la Lybie en 2011 avec un résultat similaire. Un pays désagrégé, gouverné par des groupuscules concurrents avec des leaders aux ordres des mêmes puissances, qui ne se gênent pas pour pomper le pétrole.
Sur le même ordre d’idées, on aurait pu citer la Syrie qui n’a du son salut qu’à l’intervention énergique de la Russie, de l’Iran et du Hezbollah libanais.
Ne vous étonnez donc pas que certains accusent les Etats membres de l’OTAN d’avoir chercher en vain à positionner l’AFRICOM en Afrique et malgré l’échec de leur tentative et la localisation du commandement en Allemagne, ils n’ont pas dit leur dernier mot et semblent avoir trouvé de nouvelles stratégies pour s’implanter militairement et économiquement en Afrique.
C’est ainsi que les Etats-Unis pour aider la guinée à lutter contre l’épidémie du virus Ebola ont envoyé………….des troupes militaires. Ce qui s’est passé au mali est beaucoup plus grave. A la faveur d’une brèche frontalière libyenne, conséquence d’une guerre occidentale, les français ont laissé des groupes « djihadistes » occuper les régions nord sahariennes, soit les deux tiers du pays. Une aubaine pour la France et les Etats-Unis qui ont la possibilité aujourd’hui de contrôler le Sahara et ses richesses minérales.
La répétition de ces faits marquants confirme l’assertion selon laquelle, après l’Afrique du Nord, ces actes sont évidemment posés dans le sens de la sécurisation des approvisionnements énergétiques des Etats–Unis et de l’Union Européenne en provenance du Golf de Guinée.
Le Golf de Guinée est ce territoire maritime qui s’étend des côtes sénégalaises à celles de l’Angola et qui rassemble plus de dix pays pour une superficie de six millions de km2. Il dispose de l’un des plus importants gisements sous-marins de pétrole au monde, avec 24 milliards de barils de pétrole de réserves prouvées, de quoi attiser les convoitises.
Le Sénégal avec ses nouvelles découvertes off-shore devient une cible et une guerre en Gambie serait l’occasion idéale pour le déstabiliser et installer ainsi le chaos dans la sous région. Pour être clair, nous sommes dans le premier acte de la pièce intitulée ’’la malédiction du pétrole’’ compte tenu notamment du fait que ce petit pays par la taille, en dépit de son état militaire théoriquement jugé sous- performant, peut soutenir une guerre asymétrique larvée avec l’apport de djihadistes ou de mercenaires.
Il est d’ailleurs étonnant que la France et les Etats-Unis soient les premiers à se prononcé pour la guerre, le président Hollande tentant de rallier le Sénégal à sa cause, alors que ses troupes sont déjà engagées au Tchad, au Niger, au Cameroun, au Nigéria et au Mali pour des résultats mitigés pour ces pays.
Cela, ajouté aux enjeux relativement faibles d’une pénétration des entreprises françaises dans ce pays anglophone ou d’une extension du pré carré colonial français à une minuscule colonie anglaise, nous force à croire que nous sommes en face d’une nouvelle colonisation de l’Afrique et que, dans le cas d’espèce, c’est le Sénégal qui est visé, en ce sens que seule une déstabilisation pourrait entrainer une plus forte présence militaire qui sera naturellement fondée sur les accords de défense. Une présence qui va inéluctablement enjamber le militaire pour devenir économique avec le monopole des profits tirés des produits miniers, pétroliers, agricoles, l’accaparement des marchés publics et privés ainsi que le contrôle des tous les échanges portuaires.
Au final, le Sénégal, qu’on se le tienne pour dit, aura l’obligation de faire preuve de vigilance dans ce dossier et ne devra pas commettre l’erreur de plonger dans l’incertitude. Ce qui équivaudrait à faire n’importe quoi. Et comme disait Rémi Gaillard ’’c’est en faisant n’importe quoi qu’on devient n’importe qui’’.
Boucar DIOUF Coordonnateur National de la CIAR (Convergence d’Idées Autour de la République) Maggal Sénégal.
Boucardiouf2012@yahoo.fr