Dans une interview accordée à la revue Monde de l’Education, édition spéciale rentrée octobre-novembre 2014, M. Moustapha Touré, secrétaire permanent du curriculum de l’éducation de base, appréciant l’état d’avancement de la réforme de façon globale, notait : « il faut que chacun joue sa partition dans la réforme ». L’école étant la chose de tout un chacun, pensait-il, les parents, les collectivités locales, les administrations, les enseignants, les apprenants doivent se sentir concernés. D’ailleurs, en 2014, les Assises de l’Éducation et de la Formation (Aef), passage en revue des affres de l’école, avaient mobilisé toute la communauté, pour trouver des solutions durables aux nombreux problèmes dont la crise de vocation des enseignants, le manque de confiance entre les populations et l’école publique, la crise de confiance entre certains acteurs…
Il était important d’attirer l’attention sur la responsabilité de tous les acteurs. Et c’est à juste titre que le ministre de l’Education nationale Serigne Mbaye Thiam rappelait que « la prise de conscience qu’un moment historique se joue pour notre école et la conviction que les hommes sont capables de dicter aux événements le sens de l’histoire, ont guidé l’initiative d’organiser les assises nationales… ».
Le forum consultatif de l’éducation pour tous notait, d’ailleurs, qu’aujourd’hui les tendances sont à la responsabilisation : les écoles ont désormais des comptes à rendre non seulement devant les responsables gouvernementaux, mais aussi devant les communautés qu’elles servent et devant la société civile. L’évaluation qui était naguère focalisée exclusivement sur les élèves et leurs performances touche désormais les enseignants, les écoles et les systèmes scolaires. (Rapport EPT, Situation et tendances en 2000).
De l’importance de l’évaluation et de la remédiation dans le travail des enseignants
Aujourd’hui plus qu’hier, il y a un intérêt croissant pour l’évaluation. Seulement, la nouveauté est qu’on ne se limite plus à évaluer le système sur la base de facteurs, tels que la formation des maîtres, la disponibilité de manuels scolaires ou le ratio maître-élèves, des intrants qui n’expliquent pas assez l’efficacité du système.
Les décideurs, leaders politiques et partenaires techniques et financiers, ont déplacé l’intérêt des facteurs (intrants) aux productions (extrants), des processus aux résultats. En effet, cet accent mis sur les résultats, sur ce qu’ils doivent être, l’exigence des partenaires techniques et financiers à l’affût de moyens peu coûteux pour mesurer la qualité de l’enseignement et améliorer l’offre éducative, justifient les propos de Carol Bellamy ancien directeur exécutif de l’Unicef lorsqu’il recommandait : si le succès de l’éducation doit être mesuré à l’aune du contenu et de la manière dont les enfants apprennent, il faut rechercher de meilleurs moyens de mesurer la qualité et la pertinence de l’enseignement, (Unicef. La situation des enfants dans le monde 1998).
Il est établi que l’évaluation, la mesure systématique des acquis de l’élève et des variables contextuelles, est un instrument potentiellement puissant d’amélioration de la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage. En effet, dans ce cheminement vers la qualité, notait M. El hadji Ngom l’évaluation revêt une importance capitale. Le personnel enseignant et les corps d’encadrement doivent être formés aux différentes techniques d’évaluation, et les décideurs politiques sensibilisés à la nécessité de mesurer toutes les actions entreprises dans le système éducatif. L’évaluation et la planification sont les outils essentiels de pilotage d’un système éducatif, pour le rendre efficace et efficient. (Rapport, Evaluation des acquis scolaires des élèves, 2007).
Cette amélioration peut revêtir plusieurs formes et vise à ajuster curriculum et enseignement, à éclairer la politique nationale d’éducation, à accroitre le soutien du public à l’éducation. En effet, les résultats des évaluations, positifs ou négatifs, sont souvent publiés pour davantage mobiliser et intéresser les populations sur l’importance de l’éducation.
Les évaluations nationales et internationales (PASEC, PISA) génèrent une analyse riche en comparaison de performances, surtout à tirer des leçons sur les forces et faiblesses du système. Au Sénégal, les résultats de l’enquête PASEC, programme d’analyse des systèmes éducatifs des pays de la CONFEMEN qui utilise l’évaluation comme un instrument d’identification des modèles scolaires performants, ont été riches en enseignement et justifient des mesures fortes prises par les autorités pour, par exemple, renforcer les compétences de nos élèves en mathématique. La construction des blocs scientifiques, un peu partout dans le pays, justifie la capacité des responsables politiques et éducatives à faire un bon usage des informations recueillies.
Quant aux évaluations internes (examens publics, contrôles continus, devoirs) qui mobilisent et concernent le plus les enseignants, elles ont l’avantage d’offrir un feed-back immédiat sur ce que les élèves apprennent ou n’apprennent pas et aident les enseignants à adapter leur enseignement. Selon Jean CARDINET, dans le domaine pédagogique, on peut distinguer quatre fonctions de l’évaluation : discerner les certifications nécessaires à l’élève et à la société, par exemple, sous la forme d’un examen; informer l’enfant et les parents par le biais d’un bulletin scolaire ; améliorer les décisions relatives à l’apprentissage de l’élève, c’est-à-dire mieux localiser et comprendre les difficultés de chaque élève pour l’aider à progresser( J.Cardinet, Pour apprécier le travail des élèves, 1984).
Sommative ou formative, l’évaluation permet à l’enseignant-juge de faire régulièrement le point, d’ajuster, de prendre des décisions, d’informer. Seulement, on peut se demander s’il s’entoure de toutes les garanties pour réussir son évaluation : les enseignants comprennent-ils le sens de leur acte? Les évaluations fournissent- elles suffisamment d’enseignements ; sont-elles suffisamment exploitées? Qu’en est-il du suivi des résultats dans les évaluations standardisées ; de la coopération des enseignants pour l’organisation des devoirs communs? Les critères d’évaluation, s’ils existent, font-ils l’objet de discussions dans les cellules d’animation pédagogique ?
C’est avec beaucoup de pessimisme qu’on appréhende ces questions : nous avons très souvent recours à l’évaluation sommative dans nos classes. Selon Bernard MACCARD, c’est celle qui permet de faire le point périodiquement sur les apprentissages réalisés ; elle intervient donc à la fin d’un processus d’apprentissage, mais malgré leur fréquence, l’évaluation sommative ne constitue qu’un constat et ne fournit pas une aide aux apprentissages en cours (Théorie et pratique de l’évaluation dans la pédagogie. 1982).
Pour être honnête, on a tendance à organiser régulièrement des devoirs pour juste répondre aux directives de l’administration des établissements qui réclament sous la pression des notes. Et dans ces conditions chacun s’empresse d’organiser ses devoirs et de rendre les notes sans se soucier d’en tirer un quelconque enseignement. Et les devoirs faits en classe ne font souvent l’objet d’aucune exploitation : soit on les corrige et les remet aux potaches sans compte rendu , soit on organise un autre devoir sans même rendre le précédent aux élèves qui ne comprennent jamais pourquoi ils n’ont pas la moyenne ou ce qu’on leur reproche sur tel point de l’interrogation. S’il en est, ainsi, c’est qu’on ne réfléchit pas en amont sur les critères d’évaluation, ni en cellule ni individuellement.
Les évaluations standardisées qui doivent être systématiques mobilisent peu les collègues encore réticents aux exigences des conseillers pédagogiques et formateurs qui ne cessent d’insister sur la progression harmonisée et la planification. S’il en est ainsi, c’est parce que les cellules pédagogiques manquent de dynamisme et l’administration n’est pas assez exigeante. Elle doit veiller à la tenue régulière des cellules d’animation pédagogique, à la présence effective de tous les collègues et à la restitution des PV de réunions. On parle souvent « d’effet-maître », mais « l’effet-chef d’établissement » est déterminant pour l’atteinte des objectifs fixés dans ces contrats de performances, où on rappelle surtout les obligations des enseignants, l’urgence pour les chefs d’établissement de veiller, de contrôler le travail demandé.
Dans un article publié en 2005 intitulé Des inspecteurs de Spécialité pour faire quoi ?, j’attirais l’attention en écrivant ceci : Nous reconnaissons que dans toute organisation il faut un chef ; l’homme comme le pensait Kant est « un animal qui a besoin d’un maître » ; il a besoin d’être secoué, d’être rappelé à l’ordre. Le contrôle est nécessaire pour assurer la réalisation des objectifs : sans la surveillance, les meilleurs d’entre nous se relâchent. Le docteur Abdou Karim Ndoye nous rappelait, lors de nos cours de psychopédagogie, que le contrôle reste une des fonctions pédagogiques les plus essentielles car « Il permet à l’enseignant de se remettre en cause ». Malheureusement, on a le regret de constater que cette fonction pédagogique est négligée dans nos écoles.
Il est important de rappeler aux collègues du moyen-secondaire, que dans les contrats de performances que les chefs d’établissement sont obligés de signer, on insiste beaucoup sur le travail de remédiation.
Etymologiquement, le terme est de la famille des remèdes : il s’agit en pédagogie de soigner des difficultés révélées par une évaluation dans le parcours d’apprentissage. C’est de la remédiation immédiate et non différée dont on a souvent recours, qui a pour but d’apporter une aide directe aux élèves en vue de leur permettre d’atteindre les compétences, mais surtout de les encourager. N’oublions pas que le but de l’évaluation, surtout formative est de guider l’élève, de lui permettre de reconnaitre, de comprendre et de corriger lui-même ses erreurs de l’informer sur les étapes franchies ou non, tout en informant l’enseignant sur les effets réels de son action pédagogique explique Charles Hadji de l’université de Grenoble. Il semble rappeler que l’évaluation ne doit pas seulement consister à sanctionner mais à faire réfléchir l’élève sur son erreur.
Obligation de résultats : de nouvelles responsabilités pour l’enseignant
Dans un rapport de l’OCDE, Le rôle crucial des enseignants : Attirer, Former et Retenir des Enseignants de Qualité, il est rappelé que Le succès de toute réforme passe par l’implication active du corps enseignant dans l’élaboration des politiques et leur mise en œuvre. Les recherches menées sur les caractéristiques du perfectionnement professionnel efficace montrent qu’il est nécessaire d’impliquer étroitement les enseignants dans l’analyse de leurs pratiques à la lumière de normes professionnelles pour l’apprentissage des élèves (OCDE 2005). Ainsi, de nouvelles responsabilités sont attendues de l’enseignant et les pressions ne manquent pas sur les acteurs pour améliorer l’enseignement et l’apprentissage.
Pour réussir ce travail attendu de nous dans ces contrats de performance, chaque enseignant doit se sentir concerné, comprendre qu’il a un contrat moral qui le lie à ses élèves, à l’école, à la société en général qu’il doit servir.
Depuis, l’introduction de la gestion axée sur les résultats avec l’utilisation du logiciel Sysgar, il est devenu impératif pour l’enseignant de s’adapter à la nouvelle donne, la pente anticipée d’efficience publique du système dans son ensemble. C’est ce que Claude Lessard et Philippe Meirieu ont eu le mérite de nous rappeler dans leur ouvrage, l’obligation de résultats en Education : évolutions, perspectives et enjeux internationaux (2004) : l’urgente nécessité pour le monde enseignant d’adapter ses pratiques pédagogiques à une pression sociale de plus en plus forte.
Certes les difficultés sont nombreuses, les conditions de travail pas toujours des meilleures : nous nous trouvons dans une situation paradoxale où les chefs d’établissement sont placés devant une « obligation de résultats », tandis que les enseignants, eux, font face à « l’obligation de moyens » pour réussir les enseignements-apprentissages. Un paradoxe difficile à gérer, source d’incompréhensions dans l’espace scolaire, selon Masseye Sow, inspecteur de l’éducation. Mais pour « la cause des enfants », pour reprendre l’expression de Françoise Dolto, leur éducation dont dépend notre futur, acceptons de faire des sacrifices pour mériter surtout nos émoluments. Je pense à l’éthique professionnelle qui doit être la priorité des priorités : nul enseignant responsable ne peut croire ou se faire croire que son métier s’arrête à préparer ses cours, à les donner, à corriger des copies, à assister aux conseils des classes.
Notre professionnalité suppose un supplément d’âme pense le philosophe Jean Svagelski qui pense que l’enseignant a une professionnalité et devrait se sentir responsable de ses paroles et de ses actes en classe, des documents qu’il utilise ou mentionne. L’enseignant, précise- t-il, a un code d’honneur et devrait refuser les manipulations idéologiques, médiatiques, commerciales, syndicales de toutes sortes pour exercer son art en toute indépendance. L’enseignant a de la loyauté et doit a priori de la solidarité à ses collègues ainsi que de la confiance à son chef d’établissement. (J. Svagelski, Déontologie vive et cachée de l’instruction publique, in Ethique et société, 1997).
Bira SALL
Professeur de Philosophie au Lycée Ababacar Sy de Tivaouane
Chercheur en Education Spécialiste Suivi Programme Petite Enfance
Email : sallbira@yahoo.fr
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