Tenir périodiquement des élections grâce auxquelles on élit des présidents, des députés ou des maires est certes une spécificité de la démocratie, mais insuffisante pour se targuer d’être un champion de la discipline. A côté de l’acquis, il y a aussi la nécessité de débattre en démocratie pour mieux consolider cet héritage.
Le cas de la France où pour la première fois un débat télévisé a opposé des candidats à la présidentielle avant le second tour donne matière à réflexion sur le fonctionnement de notre démocratie. Sans aucune prétention à vouloir inciter notre pays à se conformer à l’occident, la logique voudrait tout de même que si on se réfère en tout à la France, qu’on ne se prive pas des avancées démocratiques qu’elle enregistre. D’autant plus que, comme disait le célèbre dramaturge Molière, “quand sur une personne on prétend se régler, c’est par les beaux endroits qu’il lui faut ressembler”. Autrement dit, ce débat télévisé est à inscrire dans nos habitudes démocratiques pour multiples raisons.
Primo, cela nous éviterait les querelles de bas étage par médias interposés avec des idées qui vont désormais primer sur les chamailleries politiciennes et des programmes sur lesquels les candidats seront interpellés. Deuxio, un tel spectacle aiderait l’électorat à mieux motiver son vote en fonction de ces programmes et non des rumeurs et autres idées reçues. Tercio, cela permettrait, avec la pression du débat, d’éprouver les tempéraments, natures, qualités ou défauts de ceux qui aspirent à nous diriger. Ce qui permettrait ainsi à l’électeur de pouvoir glisser son bulletin dans l’urne en parfaite connaissance de cause et éviter un choix à l’aveuglette ou pire, une abstention.
Ne dit-on pas que l’élection présidentielle est la rencontre d’un homme avec son peuple ? Or, dans une démocratie, il n’y a pas de cadre plus indiqué qu’un débat où le candidat a l’opportunité d’exprimer ses convictions fortes et ses idées. Comme dans toutes les démocraties majeures, le débat télévisé s’impose à nous. Sans quoi reconnaissons qu’elle reste mineure. Il faut admettre que dans ce domaine, les lutteurs que certains ont tendance à prendre pour des jambons sont bien en avance. Ils se livrent à des face-à-face avant même d’en découdre le jour du combat, permettant ainsi à leurs supporters de pouvoir déceler l’état de forme physique et mentale qui les caractérise. Alors, si ces derniers sont soumis à cet exercice pour accéder au trône du roi des arènes, pourquoi diantre il n’y a pas d’épreuves pour accéder à la magistrature suprême ? Il faut refuser d’avoir une démocratie au rabais.
N’est-ce pas Senghor qui disait que le Sénégal est un pays de dialogue. Pourtant après plus d’un demi-siècle d’indépendance, jamais une scène de dialogue digne de ce nom n’a été notée dans ce pays entre candidats à la présidentielle. Il y a ici un paradoxe car le débat entre acteurs politiques n’a jamais existé véritablement au Sénégal. Senghor lui-même, premier président de la République du Sénégal n’a jamais débattu avec l’opposant Abdoulaye Wade pendant ses 20 ans de règne. Idem pour Abdou Diouf qui, pendant ses 19 années d’exercice du pouvoir ne s’est jamais aventuré dans cette épreuve face à son grand rival Wade. Ce dernier non plus ne fera pas mieux que ses devanciers car, même s’il est allé, à l’époque, jusqu’à se rendre à la RTS pour imposer le débat à Diouf du temps de son âpre opposition, il n’a, à son tour, jamais accordé à un opposant ce qu’il réclamait du temps de Diouf. Durant ses deux mandats au pouvoir, il ne nous a offert aucun débat public avec ses opposants. Alors que le dissentiment sur bon nombre de questions dont sa candidature controversée à un troisième mandat était un bon prétexte pour faire face à ses challengers de l’époque. Entendons-nous bien. Nous ne prônons pas un débat télévisé exclusivement en langue française qui exclurait plus de la moitié de la population sénégalaise et donc n’aurait pas l’effet escompté. Copions l’approche, mais adaptons-la au contexte et aux valeurs qui nous sont propres.
C’est d’ailleurs le lieu de préciser qu’en dehors de l’occident, nous avons également, non loin de chez nous, des exemples qui doivent nous instiller l’envie de nous lancer au débat télévisé. En Côte d’Ivoire, nonobstant huit (8) années de guerre civile, les deux finalistes de la présidentielle de 2010, en l’occurrence Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, avaient accepté de se faire face et de faire face au peuple pendant plus de deux tours d’horloge pour éclairer le choix des Ivoiriens en perspective du second tour de la présidentielle. Et même si les jours ayant précédé ce spectacle ont été marqués par une escalade verbale entre les deux candidats et quelques affrontements entre leurs militants, l’image forte montrant les deux adversaires se faire des accolades à la fin du débat a calmé les ardeurs de leurs partisans respectifs. Du moins pendant un certain temps.
Cette révolution de la Côte d’Ivoire a eu le mérite d’inspirer un pays comme l’Ouganda où règne la dictature. Souvent présenté comme un dictateur en costard et habile va-t-en-guerre, Yoweri Museveni à la tête du pays depuis 30 ans a quand même réussi à semer le doute sur le caractère dictatorial qu’on lui prête en se soumettant à l’exercice du débat télévisé dans le cadre de la campagne pour la présidentielle de 2016. En dépit de tout ce qu’on peut lui reprocher, le président ougandais a réussi, avec les autres protagonistes, à évoquer toutes les questions qui intéressent le peuple dans le calme et sans escarmouche aucune, dans le but d’aider l’électorat à mieux cerner son choix.
M.S.N