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Il N’y A Pas Que Les Hirondelles Pour Faire Le Printemps Ou La Problématique De La Cohabitation En Vue

Avec les élections législatives de juillet 2017, le Sénégal s’apprête à amorcer un tournant décisif dans son histoire tant au plan politique qu’aux plans institutionnel, économique, social et culturel.

Ibrahima Sène, Mankeur Ndiaye, ministre des Affaires étrangères, Ismaïla Madior Fall, conseiller juridique du président de la République ou encore  Oumar Youm, directeur de Cabinet de Macky Sall, ne sont certes pas des hirondelles – tant s’en faut – mais ils annoncent bien le printemps des réformes qui se profilent à l’horizon.

De quoi s’agit-il ? Il s’agit de la perspective devenue très sérieuse de voir le Sénégal mené par une majorité parlementaire et un gouvernement issus de l’opposition dès août prochain.

En lieu et place de prodiguer au président de la République les meilleurs conseils pour que – dans cette éventualité plus que probable – le Sénégal ne fasse pas moins que la France, mais plutôt mieux que l’Hexagone, certains ténors «bien-pensants» du système ne trouvent rien d’autre comme parade que de donner dans la menace, l’intimidation des électeurs et le catastrophisme.

Passons en revue quelques-unes de leurs dernières prestations. Le ministre Man­keur Ndiaye estime, lui, qu’il ne peut y avoir de cohabitation. A la question pourquoi il ne peut y avoir de cohabitation, sa réponse tombe tel un couperet : «Parce que ce n’est pas possible.»  Et pourquoi donc la cohabitation est impossible ? De nouveau le couperet de Mankeur : «La cohabitation est un concept impropre, (car) il ne peut pas y avoir de cohabitation au Sénégal.» J’ai souri parce que cela me rappelle mon camarade de fac qui s’en prenait vigoureusement à un de nos «grands» qui était assistant en Droit. Citation : «Je dis que ML est un traître. Puisque je dis que c’est un traître, donc c’est un traître.» La cause est entendue !

Ismaïla Madior Fall, quant à lui, fait dans la subtilité en estimant que «ce qui rendait la cohabitation possible est que le Président était élu pour 7 ans et l’Assemblée nationale pour 5 ans. Mais si on harmonise les mandats, à partir de ce moment, la survenance d’une cohabitation devient très faible». Très bien dit, sauf que – précision de taille – cette hypothèse ne surviendra qu’après l’élection présidentielle de 2019, lorsque le nouveau Président élu aura dissout l’Assemblée en 2019. Par conséquent, nous sommes bien aujourd’hui dans l’hypothèse d’une cohabitation de 2017 à 2019, puisque le Président ne peut pas dissoudre l’Assemblée dans cet intervalle.

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Quant à Ibrahima Sène, il présente l’avantage de dire les choses plus simplement et plus directement, en somme, plus crûment. Voici ce que cela donne :

Premièrement : la Consti­tution ne permet pas à la nouvelle majorité au Parlement de nommer un Premier ministre.

Deuxièmement : l’Exécutif (???) peut se passer de la majorité au Parlement qui ne peut même pas bloquer sa politique, car il peut exécuter son budget antérieur et ne pas lui proposer de nouvelles lois pendant deux ans jusqu’en 2019 [souligné par moi]. Ici, Ibrahima Sène fait semblant d’ignorer que le gouvernement relève de l’Exécutif, même s’il n’est pas du même bord que le président de la République.

Troisièmement : Cette majorité, dit Ibrahima Sène, «risque de se présenter devant l’opinion en ‘’parasite’’ qui perçoit chaque mois son salaire sans rien faire».

En termes encore plus simples et plus clairs, selon notre docte politologue, les prochaines Législatives ne servent à rien si la majorité ne revient pas au président de la République. La volonté du Peuple, celle-là qui a permis à Macky Sall d’être à la position où il se trouve, n’a aucune signification si elle change d’avis. Et le président de la République peut ignorer cette nouvelle volonté populaire qui ne l’aura pas suivi dans son vœu de disposer d’une majorité qui lui soit favorable au Parlement. Pour Ibrahima Sène, le Président pourra bloquer le pays pendant deux ans sans soumettre aucun projet de loi. Pas de loi de finances ni de lois programme, pas de projets de loi relatifs à des matières autres que celles énumérées à l’article 56 de la Constitution. En somme, pas de gouvernement non plus. Et cerise sur le gâteau, même l’article 69 de ladite Constitution qui stipule que «l’initiative des lois appartient concurremment au président de la République et aux députés à l’Assemblée nationale» est biffé de la Constitution par Ibrahima Sène qui n’envisage pas qu’à défaut de projets de loi du gouvernement, l’opposition puisse déposer et voter des propositions de loi. En somme, la nouvelle majorité parlementaire sera considérée, selon lui, comme un repas insipide «yakk bu naqari» qu’il faut laisser refroidir (les 2 ans qui nous séparent de 2019) avant de le jeter à la poubelle (la dissolution).

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Enfin, livrant le tréfonds de sa pensée, Ibrahima voue la nouvelle majorité parlementaire à la géhenne. «Tout ce qu’elle pourra faire donc, dit-il, c’est de recourir à la rue pour tenter de faire tomber le pouvoir (quel pouvoir ?) et procéder à un changement inconstitutionnel du régime (quel régime ?) durant les deux ans qui nous séparent de la Présidentielle de 2019.» On a là une figure de prestidigitation absolument innommable, où Monsieur Sène sort le Parlement du pouvoir d’Etat tout comme le gouvernement qu’il n’évoque jamais dans son propos, sans doute parce qu’il sait que celui-ci ne peut émaner que de la nouvelle majorité opposée au Prési­dent. Si le Parlement et le gouvernement ne sont plus partie intégrante du pouvoir d’Etat, que reste-t-il alors du pouvoir ? Donc, faisant dans la politique de «mbeutt»*, Monsieur Sène évacue de la sphère des institutions, sans y prendre garde, tout ce qui n’est pas en osmose avec le Président. Naturellement, il se heurte ainsi à une contradiction insurmontable.

Comment peut-on bloquer le Parlement et immobiliser le gouvernement issu de la nouvelle majorité pendant deux années entières, c’est-à-dire arrêter la marche du pays pendant deux longues années et continuer à clamer sur tous les toits qu’on tient au bon fonctionnement du système démocratique au Sénégal, qu’on tient à sa paix civile, à sa stabilité et à son développement ? Cela est simplement impensable en théorie comme en pratique. Que reste-t-il dès lors à notre ami pour enrayer la volonté populaire ? La force pardi ! Je cite Ibrahima Sène : «Le cas échéant, elle (la nouvelle majorité) aura affaire avec les forces de sécurité. (Vous avez bien lu), pour sauver les institutions républicaines (en­tendez par là sauver le président de la République puisque l’As­sem­blée et le gouvernement sous influence de la nouvelle majorité sont exclus des institutions républicaines par M. Sène)…».

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Concluons : Tel est le genre d’exercices auquel une certaine élite intellectuelle s’est livrée cinq (5) décennies durant sur le continent, au service d’autocrates qui ont plongé nombre de pays et de Peuples africains dans la tourmente. C’est pourquoi je suis peiné de voir Ibrahima Sène, grand patriote devant l’éternel, se lancer dans une aventure devenue hasardeuse et désormais sans lendemain. Mais ma conviction est que, placé dans les conditions de Macky Sall, Ibrahima Sène se garderait bien de penser ou d’agir comme il le dit. Pourquoi donc tenter d’influencer le président de la République dans cette mauvaise direction ? A la place de ce dernier, je me méfierais comme de la peste de conseils et de conseillers de ce genre.

J’aurais davantage écouté un Oumar Youm qui dit aux responsables politiques de Mbour, les yeux dans les yeux : «Si le Président Macky Sall venait à perdre les Législatives, il lui serait très difficile de gérer le pays et nous tous perdrons nos postes.» Mon cher compatriote Maître Oumar Youm, au risque de vous porter préjudice dans votre propre camp, je salue cette lucidité, ce courage et cette honnêteté. Oui beaucoup d’entre vous perdront sans doute leur poste en cas de victoire de l’opposition, mais le pays et ses intérêts fondamentaux seront préservés, ainsi que sa paix civile, sa stabilité tout comme sa dignité et sa crédibilité internationale et, last but not least, la perspective des perdants d’être les prochains gagnants dans un pays stable et qui progresse dans les résultats économiques, sociaux et culturels au bénéfice du Peuple. Dieu fasse, le cas échéant, que le Président Sall vous entende !

Tous ceux qui, dans ce pays, s’occupent de politique doivent mesurer les responsabilités qui pèsent sur leurs épaules lorsque le Peuple choisira une autre majorité au Parlement. Le pouvoir n’est pas le seul interpellé, mais aussi l’opposition. Serons-nous à la hauteur ? Je n’en doute pas.

 

Mamadou DIOP «Decroix»

Député à l’Assemblée nationale

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