Après le terrible naufrage du Joola, nous pleurons aujourd’hui les 31 victimes de l’incendie du Daaka de Médina Gounass. En ce 21ème siècle, on ne saurait accepter cet insoutenable drame qui est indéniablement lié à l’incompétence de ceux qui avaient en charge l’organisation et la sécurité de ce rassemblement spirituel de la communauté musulmane du Sénégal, de la sous-région et de la diaspora. Le naufrage du Joola, indélébilement incrusté dans notre mémoire collective et ce criminel incendie de Médina Gounass montrent à suffisance qu’il y a quelque chose qui ne marche pas dans notre système de gouvernance sécuritaire et cela, depuis plusieurs années.
Un rassemblement de plusieurs milliers de personnes sur une aire boisée et herbacée comporte un risque flagrant et élevé de survenue d’incendie. Tout semble indiquer que ce haut risque n’a pas été suffisamment pris en compte par les parties prenantes de l’organisation et de la sécurité du Daaka de Médina Gounass. La gouvernance vertueuse, c’est bien ; la reddition des comptes c’est également bien, mais la qualité dans toute activité humaine est souhaitable et elle est au-dessus de tout cela. Toutes les bonnes actions à exiger de nos responsables sont contenues dans la qualité qu’on peut définir comme étant une réussite au premier coup de toute action et la satisfaction totale des destinataires de l’action. On atteint la qualité lorsque la non-qualité (insatisfaction, échec d’une action ou d’une fabrication) est minimale voire nulle. La bonne gouvernance et la gestion vertueuse sont donc incluses dans la politique de qualité.
Manifestement, les pèlerins de Médina Gounass ont toutes les raisons d’être insatisfaits du travail des responsables de l’organisation et de la sécurité du Daaka. Il y a eu des manquements graves dans la gestion préventive des différents points critiques de la sécurité du Daaka. Le comité d’organisation et le service en charge de la sécurité du lieu n’auraient certainement pas identifié les points sensibles et vulnérables du site du rassemblement spirituel pour les maîtriser afin de garantir au maximum la sécurité des pèlerins. Les points critiques permettant un Daaka sécurisé sont principalement l’eau de boisson des pèlerins, l’éclairage du site, l’hébergement des pèlerins, la restauration des pèlerins, l’assainissement du site, la sécurité des pèlerins etc. Pour préalablement garantir cette dernière, le site aurait dû être débarrassé de ses herbes et arbustes, particulièrement inflammables, bien avant la retraite spirituelle. C’est une des mesures préventives obligatoires pour minimiser la probabilité de survenue d’un incendie. Sans ces herbes et arbustes, l’incendie aurait été plus facile à maîtriser. Les services compétents de l’Etat auraient dû s’assurer que ce travail de désherbage ait été fait et bien fait. En regardant les vidéos de l’incendie, on se rend compte que le désherbage n’a pas été fait ou alors l’a été mal. Cette non qualité a été payée cher comme toute non qualité en général. La présence d’herbes et d’arbustes sur le site du Daaka est un facteur qui a certainement aggravé les conséquences de ce terrible incendie. Sûrement il n’a pas été pris en compte aussi la période de l’année caractérisée par une forte chaleur et des vents violents. Dans ces conditions, la survenue d’incendies spontanés n’est pas à exclure.
L’eau est un vecteur de plusieurs maladies, notamment à l’occasion des grands rassemblements religieux. Ce point critique semble avoir été bien maîtrisé, car il n’y a pas eu de maladie déclarée liée à l’eau pendant la retraite spirituelle.
L’éclairage du site est essentiel pour la sécurité des pèlerins et de leurs biens. Un éclairage convenable découragerait les malfaiteurs et autres délinquants. C’est également un point à maîtriser pour éviter les incendies nocturnes et faciliter le déplacement des agents de sécurité en cas de nécessité.
L’hébergement des pèlerins constitue un point critique particulièrement important. Les vidéos de l’incendie montrent que ce sont les abris en pailles et en herbes qui entretenaient les flammes dévastatrices. Le comité d’organisation et les services en charge de la sécurité du site ont manqué de vigilance, d’autorité et de compétence. Les abris à base d’herbes et de pailles doivent être interdits sur le site. C’est l’Etat, dont la mission est de veiller, entre autres, sur la sécurité des populations qui doit mettre à la disposition des pèlerins des abris adaptés au site. L’Etat et le comité d’organisation ont laissé les pèlerins construire des abris inflammables. Ce qui est arrivé était en réalité prévisible. La non maîtrise de ce point critique a été payée très cher par la communauté musulmane. 31 concitoyens ont perdu la vie avec de nombreux blessés. C’est inacceptable ! C’est la non maîtrise de ce point qui est à l’origine des nombreux incendies survenus dans les marchés à travers le pays.
L’Etat et les collectivités locales laissent les commerçants faire du n’importe quoi dans leurs cantines. Nos marchés illustrent à suffisance le laxisme dans notre système de gouvernance sécuritaire. Le pays perd des milliards de francs Cfa avec les nombreux incendies dans nos marchés.
L’Etat et le comité d’organisation doivent être fermes en interdisant les abris inflammables au Daaka et ailleurs. Le site doit être aménagé avec des issues et des voies de circulation conformes aux normes de sécurité en vigueur. Seules des bâches devraient être acceptées sur le site et les pèlerins ne devraient plus s’installer que sur des emplacements dûment autorisés.
La restauration des pèlerins est un point critique à maîtriser absolument. Un rassemblement avec autant de monde comporte un réel risque de toxiinfection alimentaire collective. Le comité d’organisation et le service de sécurité doivent veiller au respect des normes en vigueur en termes de restauration collective. Les aliments servis chauds doivent être maintenus à plus de 65°C pendant tout le service. Le Service national d’hygiène est compétent pour ce contrôle.
Avec autant de monde sur un espace réduit, l’assainissement du site du Daaka est essentiel. Il doit être considéré comme un point critique à maîtriser. Les eaux usées et les déchets doivent être gérés pour que le site ne soit pas transformé en dépôt d’ordures, avec des eaux usées très chargées en bactéries, ruisselant entre les huttes. La non maîtrise de ce point critique peut entraîner des intoxications et des infections avec des conséquences graves au niveau local ou national.
La sécurité des pèlerins est un point critique central dont la maîtrise est obligatoire. S’il y a faille dans la maîtrise des autres points critiques, on fait toujours appel à la sécurité pour faire face à la non qualité. Pour cette raison, sa maîtrise ne doit souffrir d’aucune négligence encore moins de faiblesse. Lors de l’incendie survenu sur le site du Daaka, il a été noté une faille dans le dispositif mis en place par les services compétents malgré toutes les assurances données au début de l’évènement. Manifestement, ce point critique n’était pas maîtrisé et les conséquences dramatiques sont là, 31 pèlerins ont perdu la vie. A la veille du Daaka qui est un rassemblement à haut risque, une simulation d’incendies aurait dû être faite pour permettre de parfaire le dispositif sécuritaire à mettre en place. C’est une pratique courante en la matière.
Le Daaka est un évènement majeur pour la communauté musulmane. Le devoir de l’Etat est d’encadrer cette retraite spirituelle originale, bien sénégalaise. Il est inacceptable de proposer sa suppression parce que l’Etat et les organisateurs du Daaka ont failli. Une retraite spirituelle sans incendie est bien possible, mais à condition que les différents facteurs la favorisant soient bien maîtrisés comme on maîtrise actuellement les différents points critiques lors du processus de fabrication d’un produit alimentaire salubre. Au Sénégal, on a les ressources humaines, techniques et infrastructurelles pour éviter la survenue de grandes catastrophes dans notre pays. Tout semble indiquer que les bonnes leçons n’ont pas été tirées suite au naufrage du Joola. L’Etat ne devrait plus laisser les Sénégalais se comporter comme avant ce drame. En plus, en cas de catastrophe nationale, il n’est pas acceptable de l’imputer aux djinns ou de parler de causes surnaturelles. Il est temps que l’Etat mette de l’ordre dans le pays pour tout ce qui relève de la sécurité des populations et de leurs biens. Il faut sanctionner les fautifs qui qu’ils soient et mener une politique de prévention, sans faiblesse, tous azimuts.
Le déficit en matière de politique de prévention est perceptible dans beaucoup de secteurs. Ainsi, au niveau de la santé, il est regrettable que le Sénégal ne dispose pas d’un centre dédié aux grands brûlés. Si ce centre existait, probablement il y aurait eu moins de victimes.
Suite aux nombreuses catastrophes qui se succèdent au Sénégal depuis quelque temps, il est urge de faire une introspection nationale pour enfin changer notamment en matière de gouvernance sécuritaire. Le deuil national décrété par Monsieur le président de la République Macky Sall devrait être une occasion à saisir pour véritablement mesurer l’ampleur de ce drame national qui ne doit plus jamais se reproduire dans notre pays.
Pr Demba SOW
Ancien député