Lorsqu’on s’efforce de lire objectivement la situation de l’école sénégalaise de ces dernières décennies, on se heurte à l’imposante constante d’un système malade. C’est presque un truisme de parler de crise ; et au regard des maux dont souffre le secteur éducatif, il serait moins contraignant de s’accommoder à une «chronicité» qui ne choque plus, même les esprits les moins avertis. Evoquer un tel constat, c’est en à point douter, frôler la banalité dans une lecture simpliste, faisant état d’un chaos structurel et institutionnel qui mine de manière profonde, les fondements de notre chère éducation. De là, on comprend tout le sens de l’accord tacitement établi entre autorités étatiques et syndicats d’enseignants, à s’atteler à un sauvetage in extremis de l’année scolaire quand cela s’avère nécessaire. La formule étant devenue conventionnelle, devrait pourtant intégrer légalement aussi bien les politiques d’orientation éducative que les remparts syndicalistes. Au fonds, on se demande à quoi bon engager une lutte quand on sait déjà l’issue qui lui est réservée ?
D’un côté, la finesse de l’Etat à étirer le jeu dans la gestion et le traitement communicationnel des problèmes de l’éducation et sa tendance à réduire ceux-ci à une préoccupation pécuniaire ne sont plus à prouver. D’un autre, une quête de visibilité dans la représentation syndicale permet de légitimer certaines formes drastiques de lutte qui, souvent, négligent littéralement l’intérêt des apprenants. Tout laisse croire que la crise au sein de l’éducation est une tragédie écrite par l’Etat et les enseignants et jouée par les apprenants. Pourtant, ces différents acteurs semblent tous épris de cet égard sans faille réservé à l’école ou du moins théoriquement. Car, au-delà des déclarations d’intention, il faut ne voir ni moins ni plus que de basses manœuvres pour légitimer sans scrupules des positions. D’aucuns considèrent que le conflit s’avère vital dans le dynamisme qui sous-tend les rapports humains, certes, mais cette parade ne justifie en rien le danger auquel les générations futures sont exposées. La persistance des difficultés dans le secteur de l’éducation se traduit par une émergence de tracasseries et de contre-valeurs, qui laissent croire qu’on promeut moins la sagesse que l’ignorance. Concrètement, c’est le défaut d’une formation adéquate des enseignants qui déteint sévèrement sur la qualité de l’enseignement, mais il serait incongru et maladroit de ne pas incriminer l’Etat, à qui il revient officiellement d’assurer cette formation. La baisse de niveau de nos apprenants s’expliquerait en partie et non totalement, car après tout, si la volonté n’est pas là, alors le succès se conçoit difficilement. Il convient d’admettre, dans cette logique, que le malaise dans l’éducation est aussi régulier que l’année scolaire elle-même, et que cette régularité en fait justement une norme eu égard à la coutume.
En de pareilles circonstances, c’est le contre-exemple ou l’exception qui nous permet de comprendre l’intemporalité et toute de la pertinence de la règle. A cet effet, l’année scolaire 2017 qui tire sa révérence, nous a fait l’heureuse surprise d’une réelle accalmie, soit. Elle témoigne à suffisance de la capacité des hommes à bousculer leurs propres principes au nom d’une honorable volonté d’instaurer la stabilité dans le secteur. On s’en réjouit certainement, dans la mesure où l’exception augure bien un vent d’espoir favorable à des relations plus assainies entre les acteurs qui interviennent dans le milieu scolaire. A une échelle beaucoup plus réduite, certains établissements, jadis mal en point, s’efforcent de défier positivement la règle en utilisant à bon escient les qualités humaines. D’autres par contre, brillent par leur existence passive sans aspirer à devenir un modèle de valorisation de la ressource humaine. C’est le cas du lycée de Ngallèle qui, parallèlement, constitue une autre exception qui défie la règle générale à sa manière. L’établissement en question n’a rien qui lui appartient proprement, si ce n’est le fait d’évoluer dans la marginalité. Et, pour dire les choses telles qu’elles sont, il n’existe que dans la tête des différents acteurs, à moins qu’on ne l’inscrive dans les commodités technologiques d’un enseignement virtuel, ce qui n’est pas le cas. A défaut des locaux appropriés, il faut «squatter» les salles de Moussa Diop (école primaire) et cohabiter dans la douleur avec les deux Cem (Bango et Ngallèle), dans des circonstances si funèbres qu’elles ne permettent pas d’optimiser les ressources disponibles.
La précarité serait l’expression la moins sévère et pourtant la plus juste pour qualifier l’état de fait dans lequel baigne le lycée. De ce point de vue, l’énorme paradoxe, c’est ce tableau contrasté d’un établissement appartenant à la commune, mais qui porte les signes de ces nouvelles créations poussant tous azimuts en milieu rural. Encore que dans les localités reculées, on souffre moins de problèmes de salles ou table-bancs. Il faut dire qu’à Ngallèle, on peine lourdement à dispenser des cours et à faire des évaluations normales, simplement parce qu’il n’y a pas suffisamment de salles opérationnelles (l’une des salles est fermée à cause de l’odeur qui empeste). Il s’y ajoute que certains professeurs effectuent leurs enseignements sous l’ombre des arbres et renouent de fort belle manière avec l’orthodoxie du Banquet grec. Faut-il continuer à s’accommoder de ce statut intriguant d’un lycée embryonnaire, pourtant vieux de 7 ans, mine de rien ?
Tout en magnifiant les nobles efforts consentis dans l’acquisition d’un site et la construction de six salles de classe sur la route de Maka Toubé, on ne saurait voiler longtemps notre amertume quant au retard noté dans la réception. Mais si les difficultés n’étaient strictement que d’ordre matériel, elles n’auraient pas attiré notre attention et légitimé cette contribution. A bien des égards, c’est le management défaillant des ressources tant humaines que matérielles qui figure le nœud du problème de ce lycée «particulier», pour ne pas dire exceptionnel. En réalité, les problèmes de fonds qui sapent l’ordre dans le fonctionnement de l’établissement peuvent se résumer en une gouvernance ou une gestion sans repères assurés. L’enlisement de l’administration qui freine la bonne marche de l’école n’est plus qu’un secret de polichinelle à Ngallèle. Sous ce rapport, le décalage entre les principes et les faits est flagrant et, comparé à ce qui se fait habituellement partout ailleurs, on est sidéré par «l’opacité» du tableau.
Le manque d’affinité et de collaboration entre le proviseur et le censeur sur plan professionnel, témoigne à suffisance de la complexité des relations au sein de l’école. La coutume voudrait pourtant qu’on soigne le mal en s’attaquant à la racine, mais à Ngallèle, le mal est généré par le sommet, il lui est inhérent. Dès lors, toute thérapie pour ce mal exceptionnel suppose une stratégie exceptionnelle, car il faudra ou bien renverser l’arbre ou bien l’écimer. Ce serait a priori concevable quand on sait que l’administration à Ngallèle est bien loin de la référence qui inspire l’abnégation, le sens de l’engagement, la promptitude dans l’action, j’en passe.
Concrètement, c’est dans les relations et les services rendus que nous relevons les signes d’une gestion suffocante et d’une moralité asphyxiée par les coups de boutoir des vices et des contre-valeurs. Sont les retards dans l’entame du service, les absences fréquentes et répétées, la légèreté d’esprit, le manque de sérieux dans la tâche dévolue aux uns et aux autres, qui débouchent généralement sur un laxisme et un manque de considération généralisé à tort ou à raison. La manière dont le dossier de la convocation des professeurs pour la correction du Bac est géré, atteste largement de la gravité de cet attentisme auréolé par des manquements répétitifs. D’ailleurs, cette question est devenue une sempiternelle énigme, une pomme de discorde qui incrimine l’administration au premier chef. Si on devrait y ajouter le retard dans la délivrance des bulletins de composition, on ne ferait qu’assombrir davantage l’image de l’établissement.
A la lumière de ces considérations, on pourrait sans ambages reconnaitre les empreintes d’un désintéressement total qui montre en filigrane la démission de nos chefs. Cette léthargie est collégialement partagée par l’administration tout entière, en ce qu’elle concerne aussi bien les questions pédagogiques que celles dites administratives. Elle est tellement préoccupante qu’il serait impossible de lister exhaustivement les difficultés qu’elle a engendrées. Mais, c’est à notre sens, suffisant pour alerter qui de droit sur la violence d’une hémorragie scolaire déferlante sous nos yeux, qui menace sérieusement l’avenir des adolescents. L’objet de notre propos n’est donc pas de signifier aux différents acteurs, surtout aux éléments de l’administration du lycée, leurs devoirs, car ce serait prétentieux de notre part. Mais il invite juste la curiosité intellectuelle à méditer sur un obstacle épistémologique qui, à notre sens, obture les voies d’un fonctionnement correct pour un service public, afin de comprendre cette regrettable et mystérieuse alchimie de la gestion des affaires de l’établissement. En cela, nous estimons qu’il urge de réévaluer cette gestion en rapport avec les exigences de la moralité dans notre mission envers nous-mêmes et envers les autres, lorsque nous investissons les lieux de travail.
Mamadou SECK
Professeur de Philosophie au lycée de Ngallèle