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Sos Paysans Du Saloum

Sos Paysans Du Saloum

L’arrêt prématuré des pluies au Saloum au mois d’octobre dernier a interrompu brutalement la maturation des cultures en particulier celle du mil, de la pastèque, du niébé, du riz et de l’arachide qui est la principale spéculation du bassin. Ce déficit d’eau en phase finale de maturation des cultures a causé beaucoup de tort aux paysans de la région de Kaolack et de Kaffrine.

De vastes champs de céréales et d’autres spéculations n’ont pas été récoltés Quant à l’arachide, elle a donné des gousses quasiment vides ne contenant que quelques graines chétives, inaptes à la germination. Ces gousses ultra légères ressemblent étrangement à des chips, fines tranches de pomme de terre séchées par friture. C’est pourquoi l’arachide du Saloum de cette année est couramment appelée « guerté chips » tellement elle craque à la décortication. C’est vérifiable. Le manque à gagner consécutif à cette catastrophe écologique est énorme. Suite à cet arrêt précoce des pluies, j’ai rappelé aux autorités par une contribution, l’impérieuse obligation de l’Etat d’œuvrer pour la maitrise de l’eau afin d’atteindre les différents objectifs d’autosuffisance attendus de notre agriculture.

En son temps, nous avions alerté encore l’opinion publique et l’Etat sur les ratés de la campagne agricole 2015-2016 et prévenu les autorités que le Sénégal sera déficitaire en céréale souna en 2016 avec un risque de soudure précoce et longue. Nos prévisions se sont révélées exactes et c’est vérifiable. Depuis au moins un mois, la plupart des habitants du département de Birkelane ne mangent pas à leur faim et c’est sûrement le cas dans certains départements du Sénégal. Ils ont déjà épuisé leurs maigres réserves de céréales et ils vont ainsi vivoter jusqu’en octobre 2017. Pour faire bouillir la marmite en ce mois de juin 2017, ces paysans sinistrés ne comptent que sur la générosité et la solidarité des amis, parents et voisins. Ceux qui ont des enfants en ville s’en tirent mieux mais le revers de la médaille est que ces jeunes marchands ambulants ne viendront pas cet hivernage cultiver les champs. En fin de compte, c’est la pauvreté qui va s’installer dans ce patelin car ceux qui ont faim n’iront pas travailler aux champs comme cela se doit et les enfants de certains paysans resteront en ville pour nourrir leurs parents inaptes maintenant pour les travaux champêtres. Heureusement il y a les bourses familiales sans lesquelles, il ne serait pas exagéré de dire que le Saloum est en situation de famine.

Nous lançons un pressant SOS à l’Etat pour qu’il vienne au secours des populations de Birkelane durement affectées par l’arrêt prématuré des pluies au mois d’octobre 2016. Une enquête diligentée par les autorités publiques confirmerait rapidement le bien fondé de notre appel au secours en faveur des populations de Birkelane.

Concernant la campagne agricole 2017-2018, elle se prépare mal présentement. Depuis quelques jours, la vente des semences d’arachide a commencé en milieu rural à travers le Sénégal. Les communes convoquent actuellement les villageois au niveau des seccos pour la vente des semences subventionnées. Comme je l’avais déjà annoncé dans une contribution, l’essentiel des graines récoltées en 2016 est de très mauvaise qualité. Immatures, donc inaptes à la germination, elles ne devraient pas être vendues comme semences à nos vaillants paysans. Les populations ne s’y sont pas trompées. Les graines vendues aux paysans sont revendues sur place à des commerçants que l’Etat est en train d’enrichir, le sachant ou non. Cela est vérifiable in situ, dans la commune de Birkelane notamment. En effet, les semences vendues aux paysans sont, comme chaque année, subventionnées par l’Etat. En fin de compte, ce sont les commerçants qui achètent ces graines à des prix dérisoires qui empochent finalement l’argent de la subvention, l’argent du contribuable. En réalité, l’Etat subventionne surtout les commerçants délinquants économiques et non les paysans moyens. Ce système qui fonctionne depuis plusieurs années est tellement rodé et verrouillé que l’Etat impuissant n’éprouve pas le besoin de le contrôler ou de l’évaluer. Ce réseau entretenu par des personnalités politiques et syndicales très influentes fonctionne même si les graines sont de bonne qualité. Le principe du système est que lorsqu’un paysan ne peut pas acheter sa dotation de semences et c’est souvent le cas, s’adresse à un commerçant qui va lui remettre la somme nécessaire pour la récupération des graines. En possession des graines, le commerçant remet une maudite somme d’argent au malheureux paysan. Tout cela se fait au vu et su des autorités administratives, techniques et politiques de la localité. Depuis des années nous attirons l’attention des autorités sur la non fiabilité du système de vente des semences subventionnées aux paysans, sans succès. Il nous est arrivé d’être destinataire d’une réponse moqueuse et non argumentée de la tutelle, distillée dans la presse. Il est temps de prendre les dispositions idoines pour mettre un terme à la dilapidation de l’argent public. L’Etat devrait commettre un cabinet privé pour évaluer de façon indépendante la vente des semences subventionnées aux paysans et en tirer toutes les conséquences. La tutelle ne veut pas entendre parler d’évaluation ou de contrôle. Pourtant, lorsque l’Etat décaisse de l’argent public, l’argent du contribuable, quel que soit sa destination, un contrôle indépendant à postériori s’impose. Il n’est pas acceptable à mon avis que les responsables locaux ou nationaux du système soient leurs propres évaluateurs. Les autosatisfactions ne doivent plus suffire à l’Etat bailleur.

Sur le plan pratique et pour l’efficacité, vendre des semences à cette période de l’année à Birkelane à des paysans en période de soudure relève d’un manque d’imagination ou de l’ignorance du monde rural. Comment un paysan qui n’a même pas 1000 F CFA peut-il acheter des semences à 40 000 F CFA ? Non seulement le système de vente des semences aux paysans en cette période de l’année est inadapté mais il coûte cher à l’Etat, donc aux contribuables. La gestion vertueuse c’est aussi dépenser l’argent public dans les meilleures conditions de son utilisation. Il faut imaginer une formule permettant effectivement aux paysans de prendre possession de leurs semences pour les semer réellement ce qui n’est pas du tout toujours le cas actuellement et c’est vérifiable in situ.

Une autre arnaque dont sont victimes les paysans sans défense est l’ajout de sable dans les sacs d’arachide constituants les semences. Au moment de la vente de l’arachide aux opérateurs, on exige aux paysans le passage de l’arachide au crible pour le nettoyage. Pourquoi au moment de la vente des semences aux paysans le crible n’est plus exigé ? Quelque fois, dans un sac de semences, on peut trouver moins de 75% d’arachide et plus de 25% de sable. Cela est vérifiable sur place à Birkelane. Pourquoi l’Etat laisse-t-il ces délinquants économiques saboter son travail ? Les auteurs de telles infractions devraient être présentés au procureur de la république pour répondre de leurs forfaits. L’Etat ne doit plus tolérer de telles pratiques qui vont à l’encontre de sa volonté politique.

Nous avions démontré dans une contribution précédente que les gros producteurs sont souvent des commerçants qui n’ont pas d’exploitations agricoles. Après m’avoir contredit dans la presse, la tutelle avait finalement, dans la même semaine, avoué que j’avais raison. Tant mieux pour la vérité. Les semences subventionnées cédées aux gros producteurs ne prennent jamais le chemin des champs. Les graines vendues aux gros producteurs commerçants atterrissent toujours dans les marchés des grandes villes comme Dakar et Touba. Cela est vérifiable in situ.

Il est temps d’organiser les états généraux de l’agriculture pluviale sénégalaise pour aborder tous les aspects de ce secteur vital pour le pays. L’Etat perd beaucoup d’argent dans sa politique louable de soutien aux paysans mais en vérité, le résultat escompté n’est toujours pas au rendez-vous. Les autoglorifications enrobées de slogans distillées dans les médias ne font que tromper l’Etat et les paysans et quelquefois les partenaires au développement. Des réformes sont nécessaires pour la maitrise d’un certain nombre de paramètres qui impactent directement la production agricole : eau, semences, intrants, matériel agricole, commercialisation et transformation des produits agricoles, distribution des semences et intrants etc. En vérité, il y a très peu de progrès et d’innovation dans notre politique agricole.

Notre agriculture devrait être, en cette année 2017, sur la rampe de l’émergence. Rien ne justifie le sur place du secteur. On a les terres, l’eau, les paysans, les techniciens, les manageurs, les industries de transformation, une volonté politique, le marché et le PSE etc. Tout semble indiquer que c’est la peur des réformes ou l’incompétence qui inhibe les acteurs et les pousse à colmater plutôt qu’à réformer. Le secteur agricole au sens large est un domaine d’activité où la réforme doit être permanente afin de maintenir une dynamique de progrès dans tous les domaines d’activité. Une agriculture non performante, incapable de nourrir les populations, est une source d’arriération d’un pays. Au-delà des nombreux objectifs d’autosuffisance louables, la politique agricole de l’État doit viser aussi la fin des périodes de soudure qui sont en réalité des mois dans l’année pendant lesquels le paysan sénégalais ne mange pas à sa fin. Cela est-il acceptable après 57 années d’indépendance ? Tout semble montrer que l’Etat impuissant a fini de légaliser la soudure dans le monde rural. Nulle part dans ses projets et programmes l’Etat n’affiche l’ambition d’éliminer la honteuse soudure qui est aussi un obstacle au développement, une cause de malnutrition et de carence alimentaire. Chaque année, la période de soudure est attendue comme la Tabaski, la Korité, le Magal de Touba, le Mawloud etc. La soudure doit disparaitre comme le paludisme, la lèpre, l’analphabétisme, le sida etc. Elle est un excellent indicateur de contre-performance de notre agriculture, de pauvreté extrême dans le monde rural et de non émergence de notre pays.

 

Pr Demba Sow

Professeur titulaire en Sciences agronomiques CAMES

Ingénieur ENSIA Paris, Polytech’Lille, IFFI CNAM Paris

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