Le Sénégal est l’un des pays d’Afrique subsaharienne dont la caractéristique la plus frappante, est sa jeunesse. Selon les résultats publiés par l’agence Nationale de la Statistique (ANSD), 50% de la population du Sénégal ont 18 ans. Mais, cette jeunesse pleine de potentialités développantes est le plus souvent méprisée, violentée ou livrée à elle-même par l’État.
L’assassinat de l’étudiant Balla Gaye, le 31 janvier 2001 à l’UCAD lors d’une manifestation des étudiants qui réclamaient leur bourse, fut l’un des événements les plus tragiques que le monde universitaire sénégalais n’ait jamais connu. Depuis lors, la mobilisation estudiantine contre le gouvernement ou plus exactement le système universitaire mis en place par les autorités étatiques, devient de plus en plus fréquente et agressive.
En effet, depuis cet évènement tragique, les étudiants ont désormais conscience qu’il leur est possible d’agir sur le gouvernement, à leur propre manière, c’est-à-dire en s’appuyant non pas sur une voie pacifique, qui ne donne aucun résultat pour eux mais sur des actions violentes, et en utilisant les médias pour se concilier l’opinion et avoir l’effet de masse nécessaire pour dissuader le pouvoir en place. Mieux, ils ont aussi compris que le remplacement d’un Ministre de l’Enseignement Supérieur ou d’un Recteur n’est pas la vraie solution pour régler les conflits entre le gouvernement et les étudiants. Car la vraie solution est d’ordre structurel.
Lorsqu’en 2012, le nouveau président Macky Sall était venu au pouvoir, une lueur d’espoir était née, celle de trouver une solution définitive à la crise universitaire et qui soit à la mesure des attentes des étudiants, comme il l’avait promis lors de sa campagne présidentielle de 2012. Cependant, contre toute attente, le nouveau président s’est obstiné à prendre des mesures draconiennes et maladroites, lesquelles ont contribué à creuser davantage le fossé d’incompréhension entre les étudiants et lui.
Alors, les grèves estudiantines en ayant repris de plus belle, ont donné l’occasion aux forces de l’ordre de commettre de nouvelles bavures policières entraînant la mort d’un autre étudiant du nom de Bassirou Faye dans le campus de l’UCAD, le 14 août 2014, après celle de Balla Gaye dans les mêmes circonstances. Ces deux meurtres sont deux situations choquantes pour les étudiants qui n’ont plus le droit de réclamer quoi que ce soit.
Le monde universitaire sénégalais est aujourd’hui malade de son système, et le plus grave c’est que le gouvernement peine à trouver un remède pour guérir cette maladie. En effet, la réforme de l’enseignement supérieur entreprise en 2013 par le gouvernement de Macky Sall n’a fait qu’aggraver les problèmes auxquels nos universités sont déjà confrontées à la suite de la mise sur pied du système LMD en 2011.
Depuis quelques années, le monde universitaire a du mal à assurer une année académique complète sans qu’il n’y ait de grèves de la part des étudiants, des enseignants chercheurs et même du personnel administratif pour des raisons le plus souvent financières.
Cependant une question s’impose, celle de savoir si cette réforme était nécessaire pour améliorer la situation ? On en discutera encore longtemps, mais quelle que soit la posture par laquelle on juge cette réforme, il faut au moins reconnaître avec force que l’Université sénégalaise est aujourd’hui, dans un état chaotique et déplorable.
D’ailleurs, nous sommes déjà en juin, deux mois avant la fermeture de l’université mais jusqu’à présent, certains étudiants n’ont même pas encore commencé à faire leur cours du premier semestre, et en plus de cela, le Syndicat Autonome de l’Enseignement Supérieur (SAES) continue à faire des débrayages périodiques parce que l’État n’a pas su respecter ses engagements vis-à-vis de lui.
L’université Gaston Berger, celle que je connais le mieux, était depuis longtemps réputée être une université d’excellence, car il fallait avoir au minimum une mention assez bien au baccalauréat ou une bonne moyenne en classe de terminale pour qu’un bachelier puisse espérer avoir la chance d’être orienté dans cette université. Un choix pertinent de la part du gouvernement car, c’est cette politique de sélection qui a permis à l’université de faire des résultats exceptionnels sur le plan national comme international.
Cependant, depuis la réforme de l’Enseignement Supérieur, cette université est censée accueillir tous les bacheliers, quel que soit leur niveau, en d’autres termes, donner à tous une chance d’avoir une formation universitaire, ce qui est une idée très salutaire car l’État doit toujours prôner l’égalité des chances des citoyens.
C’est ainsi, également, que la chance est accordée à tous les nouveaux bacheliers de devenir étudiants, mais la suppression de la généralisation des bourses ou aides qui est une mesure prise par le régime de Macky Sall, devait venir contrecarrer les chances de réussite des étudiants issus de familles modestes (60% des ménages sénégalais sont déclarés pauvres selon l’ANSD.
Le système LMD, tel qu’il est appliqué dans nos universités, ne permet qu’à rejeter une bonne partie des étudiants au cours du premier cycle, en ne leur donnant au mieux, qu’une licence, considérée désormais par d’éventuels employeurs comme un certificat d’échec de formation universitaire : l’accès en master est devenu très sélectif et l’accès en thèse est aujourd’hui, interdit à de nombreux étudiants titulaires de master et dont la plupart sont très brillants.
L’avantage que ce système accorde surtout aux enfants de cadres, c’est de leur permettre en cas de problème, d’aller poursuivre leur formation en France ou ailleurs, ou se payer une bonne école de formation professionnelle afin de décrocher un diplôme qualifié. Mais qu’en sera-t-il pour les étudiants qui n’ont pas ces moyens ?
Aujourd’hui à cause de l’instabilité qui prédomine dans le milieu universitaire sénégalais certains parents souhaitent que leurs enfants soient orientés par le ministère, dans des écoles de formation privée. D’ailleurs, beaucoup de parents qui ont un revenu substantiel, préfèrent également envoyer leurs enfants dans ces écoles dont ils prennent en charge leur frais d’études.
Cette situation fait évidemment le bonheur des écoles de formation privées qui sont en floraison aujourd’hui, au Sénégal et bénéficient du service des enseignants qui professent dans les universités publiques.
Le système LMD exige des dépenses et des sacrifices et ça tout le monde le sait. Mais le Sénégal malgré les efforts visibles du Ministère de l’Enseignement Supérieur, fait actuellement partie des pays dont les universités sont les plus instables et les moins bien classées : l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar est passée de la 15e place en 2013 à la 31e en 2014 au classement des 100 meilleures universités d’Afrique en 2014. En 2015, elle est classée 36e et l’UGB est absente dans la liste. Alors on peut se poser la question de savoir à quoi ont servi la réforme et les milliards injectés dans l’enseignement supérieur ?
Le gouvernement veut une Université sénégalaise performante en instaurant une nouvelle réforme, mais n’offre qu’un système de budget insuffisant pour accompagner cette réforme d’après certains. En tout cas, pour être performante, une réforme doit s’accompagner d’un accroissement substantiel et prolongé des budgets. Si l’on ne peut pas payer, mieux vaut attendre sans rien faire, pourquoi vouloir coûte que coûte établir une reforme si les préalables ne sont pas encore bien établis ?
Si l’on considère l’Université Gaston Berger de Saint-Louis par exemple, le nombre d’UFR était de quatre (4) en 2010-2011 : L’UFR de Lettres et Sciences Humaines (LSH), l’UFR de Sciences Économiques et de Gestion (SEG), l’UFR de Sciences Juridiques et Politiques (SJP) et l’UFR de Science Appliquées et Technologie (SAT), et le budget alloué par l’État pour assurer le fonctionnement était de 4.664.391.000 FCFA.
En 2011 l’université Gaston Berger est montée en puissance par la massification ainsi que par la diversification de ses filières. Ainsi, quatre (4) autres filières se sont ajoutées aux celles existantes : l’UFR des Sciences de la Santé (UFR 2S), l’UFR des Sciences Agronomiques de l’Aquaculture et de Technologies Alimentaires (S2ATA), l’UFR de Civilisations, Religions, Arts et Communication (CRAC), l’UFR des Sciences de l’Éducation de la Formation et de Sport (SEFS) et malgré cette augmentation des filières et des effectifs le budget n’a pas évolué jusqu’en 2014. Aujourd’hui en 2017, ce budget de l’État alloué à l’UGB a atteint une somme de 7.223.588.000 F CFA.
Nous n’allons pas nous attarder sur ces chiffres car chacun peut se forger sa propre opinion là-dessus. Cependant, force est de constater que le budget a connu une hausse de 2.559.197.000 FCFA entre 2011 et 2017. Pourtant, d’aucuns dénoncent un budget toujours insuffisant face aux besoins de l’Université et des étudiants. Où se trouve alors le véritable problème ?
Il est clair en tout cas qu’il n’est plus possible de revenir en arrière sur la réforme, « quand le vin est tiré, il faut le boire » dit le proverbe, mais il est aussi irréaliste de faire l’impasse sur les problèmes que traverse l’Université sénégalaise pour ne s’attaquer qu’aux règles de fonctionnement. Sur ce plan, force est de reconnaître que le gouvernement de Macky Sall a commis pas mal d’erreurs.
La première erreur du gouvernement, c’est de lancer une reforme sans s’être assuré qu’elle a été comprise par le monde étudiant qui n’a été que faiblement associé dans les discussions.
La deuxième erreur est de prétendre à une réforme universitaire sans mettre en place des mesures d’accompagnement : le financement qui a servi et l’édification du Centre de Conférence de Diamniadio qui a couté 59,6 milliards, aurait pu servir à régler définitivement les problèmes relatifs à la crise universitaire.
Il fallait donc, porter en priorité sur la recherche, donc sur le monde universitaire, son effort d’austérité budgétaire plutôt que d’inaugurer un centre qui coûte si cher. Et pour justifier ces erreurs, le gouvernement cherche parfois à semer la zizanie entre l’opinion publique et les enseignants qui réclament leurs salaires ou indemnités, en utilisant le pourcentage des dépenses qui sont allouées aux universités sans même prendre le temps d’expliquer aux populations qui qualifient ces enseignants d’opportunistes ou de fainéants, sur la manière dont cet argent a été dépensé.
Il ne s’agit pas en effet de dire devant les médias que tant de pourcentage du budget est consacré à l’éducation mais comment cet argent a été dépensé ? C’est cela la vraie question.
En tout état de cause, l’Université sénégalaise est devenue bien malgré elle, un miroir aux alouettes qui affiche des objectifs prestigieux alors qu’elle n’a plus ni les structures ni les moyens indispensables pour les réaliser.
Aujourd’hui, les étudiants sont très inquiets de leur avenir, cette sélection par l’échec est pour le moment préférable aux milliards qui sont dépensés dans des édifices afin de prouver aux électeurs que le pays est en marche vers le développement, espérant par là, gagner la confiance des futurs électeurs.
En tout cas l’histoire nous a montré qu’aucun pays ne s’est développé sans avoir mis en place au préalable, un système éducatif performant et stable, ce qui est très loin d’être le cas pour le moment, au Sénégal.
Demba SECK
Doctorant en sociologie
Université Gaston Berger de Saint-Louis
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