Chers sénégalais, ne nous mentons pas : les entorses aux règles, l’impunité et les passe-droits font partie de notre ADN social. La fraude est permanente dans notre société (pour obtenir le permis de conduire, pour gagner un marché public, pour obtenir un papier administratif). La fraude à l’examen du Bac, qui existe depuis des décennies, n’est qu’un artefact de plus de ce mal qui nous ronge tous : l’absence de conscience républicaine. Nous sénégalais n’avons plus d’idéal commun, la société est fracturée en une multitude d’univers particuliers et peu, parmi nous, ont encore envie de respecter les règles en considérant qu’elles sont les mêmes pour tout le monde. Seules importent pour beaucoup d’entre nous la réussite matérielle, l’image et la gloire personnelles ou encore nos obédiences religieuses particulières (tarikha notamment). C’est parce que la République qui veut que nous soyons tous égaux en dignité et en droits n’existe plus dans nos esprits, qu’un professeur ou un responsable administratif ne s’interdit plus de vendre une épreuve officielle au plus offrant. C’est parce que les puissants et leurs enfants se sentent intouchables que beaucoup n’estiment même plus nécessaire de faire les efforts qu’il faut : le jour-J, leur argent leur permettra, à l’examen Bac ou dans un commissariat, de s’en sortir. Les autres eux, se débrouilleront sans, ou feront comme eux.
Le mal de notre société est profond. Les réseaux sociaux et les nombreux médias ne font que nous révéler sous un éclat aveuglant cette face hideuse de nous-mêmes. Des dirigeants s’accaparant illicitement des terres du domaine public ou distribuant de l’argent public à leurs militants, aux hommes d’affaires qui sollicitent leur marabout pour que ce dernier effectue des interventions au plus haut niveau de l’administration douanière ou judiciaire, en passant par chacun d’entre nous au quotidien, presque tout le monde foule au pied cet idéal noble qui voudrait que nous soyons tous égaux devant la loi, devant la justice, devant la copie de l’examen. L’analyse particulière des dysfonctionnements ayant mené à ces fuites des épreuves du Bac est certes à faire, des responsabilités sont à situer, des sanctions à prendre et des mesures à adopter. Mais ce ne sont pas les indignations répétitives qui changeront ce pays et qui minimiseront les risques de fraude. Chacun doit, dans l’îlot de solitude que constitue sa conscience, faire un examen objectif de la situation déplorable dans laquelle se trouve notre société.
Posons nous ces questions : Pourquoi alors que nous parlons tout le temps de vertu, ne sommes nous pas vertueux ? Pourquoi notre classe politique devient kleptocratique dès qu’elle arrive au pouvoir ? Pourquoi le peuple, donc nous, est amorphe malgré les scandales, indiscipliné et laxiste ? Ces interrogations méritent réponse(s). A l’issue de cet examen de conscience, chacun doit s’imposer le respect des règles collectives et résister à cette vague d’autodestruction qui traverse notre société. Personne n’est parfait, mais essayons, chacun et chacune d’être ces personnes vertueuses que nous réclamons tant chez les autres. Ensuite, et c’est la conviction que je répète depuis des années, l’engagement est nécessaire. L’individualisme ne mène à rien et n’irradie pas positivement les autres. C’est par l’altruisme et surtout l’exemplarité (en politique, dans les associations etc) que nous donnerons une chance aux jeunes qui constituent la majorité de cette société de pouvoir changer d’état d’esprit, de devenir des adultes soucieux du bien commun, ayant une éthique personnelle forte et qui ne seront pas (ou peu) tentés par l’achat ou la vente d’épreuves. Il nous faut une infinité de sursauts individuels, un engagement collectif fort et une exemplarité sans faille par rapport au bien commun de ceux qui dirigent. Ceci afin que nous puissions bâtir une république avec des citoyens qui se sentiront égaux devant la loi et les épreuves, s’interdisant ainsi le plus possible la fraude et l’entorse aux règles collectives. C’est bien cela le véritable défi que le Sénégal et les sénégalais doivent relever : bâtir une vraie République.