Au cours de la précampagne électorale, certains organes de presse ont publié des articles portant sur des déclarations du Directeur général de l’Apix, M. Mountaga Sy, à l’occasion d’une visite de terrain des premiers chantiers relatifs au futur Train express régional (Ter).
Selon ces journaux, M. Sy a voulu mettre fin à la polémique sur le montant supposé énorme du projet de Ter et à la comparaison avec le Tgv du Nigeria, qui aurait coûté l’équivalent de 552 milliards de francs Cfa pour un tronçon d’environ 200 kilomètres, alors que le Ter a nécessité 568 milliards de francs pour 57 kilomètres seulement.
Pour le Directeur général de l’Apix : «Comparer le Ter au Tgv du Nigeria, c’est comparer des choux et des carottes… Il n’y a pas photo avec le Tgv du Nigeria, qui ne peut pas faire des navettes toutes les 15 minutes pour transporter 115 000 personnes par jour, contrairement au Ter…. Plus qu’un projet ferroviaire, le Ter est un projet structurant pour les 14 localités qui seront desservies par des gares … Avec les embouteillages de Dakar, qui font perdre à l’économie du pays 100 milliards de francs Cfa par an, le projet permettra à l’Etat de gagner autant que son investissement en 4 ans.»
Il a annoncé que la rentabilité du Ter tournerait autour de 19%, d’après des études de rentabilité réalisées et qu’il devrait créer près de 10 000 emplois, grâce au «développement de toute une économie autour de la zone, les parcs industriels, les universités, la réduction de la pollution, etc.».
Il a enfin ajouté que «la force du projet repose sur l’implication de l’expertise sénégalaise qui va participer, au même niveau de dignité honorable, pour livrer un projet sénégalais aux Sénégalais, avec cinq entreprises sénégalaises impliquées».
Deux mois auparavant, l’ancien ministre français de l’Economie et des finances, M. Michel Sapin, avait, pour sa part, déclaré lors d’une visite à Dakar : «Il y a beaucoup d’éléments qui font que l’économie sénégalaise en profondeur, va profiter de ce projet. Il y a du transfert de technologie dans la mise en œuvre d’un certain nombre de lots de travaux en cours (…) ; des emplois vont être créés par le biais de ces travaux.» Après l’attribution au groupe français Alstom d’un contrat de fourniture de 15 trains, il a déclaré être venu «sous l’autorité du président de la République française pour que les choses aillent plus vite, pour que la France puisse apporter sa contribution au financement de ce très important investissement».
L’on est obligé de constater que, comme d’habitude, le pouvoir en place est allé chercher un partenaire extérieur comme «faire-valoir», pour défendre, justifier ou cautionner ses projets, analyses ou décisions. Mais, comme l’a fait observer, fort pertinemment, un internaute Sénégalais : que pouvait bien dire d’autre, Michel Sapin ? Peut-on imaginer un seul instant qu’un ministre français de l’Economie puisse faire des déclarations publiques contre les intérêts de la France ? Qu’il puisse dire à un pays s’engageant à verser au sien plus de 500 milliards et sauver des emplois dans une société française, que son projet, censé rapporter des milliards à la France, n’est pas pertinent ? Et puis, de quels emplois voulait parler le ministre français : de ceux à créer ici au Sénégal ou de ceux à sauvegarder en France ?…
Assurément, ce Ter est la plus grande hérésie économique que notre pays ait connue depuis l’indépendance, le Sénégal n’ayant absolument rien à gagner avec un tel projet. Ni le budget de l’Etat, ni l’Economie nationale, ni les populations au nom desquelles il a été inventé ! Et, en l’occurrence, même la Banque mondiale -une fois n’est pas coutume- vient de reconnaître que ce projet «n’est pas nécessaire».
Au demeurant, la question qu’il convient de se poser, tout d’abord, porte sur les raisons ayant conduit le Directeur général de l’Apix à attendre plus de six mois après la lettre ouverte adressée au président de la République par la Plateforme «Avenir, Senegaal bi ñu bëgg», fustigeant le choix de ce projet de Ter, avant de venir finalement soutenir qu’il ne faut pas «comparer des choux et des carottes» ?
Ensuite, ne pense-t-il pas que les citoyens auraient été mieux édifiés, s’il avait pu clarifier la question du coût des 16 ponts de franchissement prévus et confirmer qu’ils ont bien été pris en compte dans les 568 milliards annoncés comme étant le coût global du projet (c’est-à-dire, incluant : les rames, la voie ferrée, les ouvrages de franchissement et les constructions/réfections de gares, les frais d’énergie, les ateliers et engins de maintenance et les indemnités de déguerpissement) ?
Enfin, il se pose les neuf (9) séries de questions de fond suivantes, sur lesquelles la communication de l’Apix a fait l’impasse :
1. Le fait de desservir certaines localités constitue-t-il un élément essentiel de comparaison par rapport au Tgv du Nigeria, lorsque l’on peut s’interroger, de manière réaliste, sur le nombre prévisible de passagers au niveau des gares de ces localités, ainsi que sur le taux et le rythme de leur fréquentation ? Les voyageurs susceptibles d’aller jusqu’«au bout de la ligne», c’est-à-dire jusqu’à l’aéroport Blaise Diagne, ne risquent-ils pas d’être assez rares ?
2. De quelles 14 localités s’agit-il ? N’est-ce pas là une simple tentative de «rattrapage» du projet initial, suite aux observations qui avaient été formulées au départ par de nombreux citoyens ? Auquel cas, n’aurait-il pas fallu le préciser, ne serait-ce que par honnêteté, à défaut d’humilité ?
3. Le chiffre de 115 000 passagers par jour ne concerne-t-il pas que les passagers en partance de Dakar pour le «terminus» de Diass ? Ce chiffre n’est-il pas «tiré par les cheveux», au regard, non seulement du trafic voyageurs, mais aussi des tarifs qui ne manqueront pas d’être pratiqués pour pouvoir assurer un retour d’investissement raisonnable ?
4. Ne confond-on pas rentabilité financière et rentabilité économique, en soutenant que, compte tenu des pertes de 100 milliards de francs Cfa par an que font subir à l’économie les embouteillages de Dakar, l’Etat «va gagner autant que son investissement en 4 ans» (sic) ? Par ailleurs, dire que le délai de récupération serait de 4 ans en se basant sur les embouteillages équivaudrait-il à travailler avec l’hypothèse d’une disparition totale des embouteillages de Dakar avec la venue du Ter ? Et puis, une rentabilité de 19% est-elle sérieusement concevable pour un tel projet de transport de masse ?…
5. En quoi ce projet sera-t-il «structurant pour toutes les localités qui seront traversées» ? Quels en seront les véritables effets induits attendus, en dehors de services somme toute primaires et de petites activités génératrices de revenus ? Combien de parcs industriels et d’universités ont été précisément prévus et où seront-ils implantés ? Sur quelle base ont été évalués les 10 000 prétendus emplois qui seront créés ? La portée de la réduction de la pollution a-t-elle été scientifiquement mesurée, sur la base de simulations ou extrapolations faisant ressortir une baisse notable du trafic routier dans les zones traversées ?
6. Le Sénégal ne se réduisant pas à la seule région de Dakar, comment et de quelle manière l’économie sénégalaise profitera-t-elle «en profondeur» de ce projet ?
7. Sur le choix technologique, le maintien de l’écartement métrique de notre réseau actuel, en lieu et place du grand écartement retenu, n’aurait-il pas été, au contraire, celui pouvant profiter «en profondeur» à l’économie sénégalaise, en permettant d’assurer le maillage du territoire national, en termes, non seulement de transport de voyageurs, mais aussi de marchandises ? Un tel choix ne présenterait-il pas l’avantage majeur, en plus d’assurer une intégration de l’ensemble de notre réseau ferroviaire national -avec un maintien des 2 voies disponibles pour tous les trains circulant au Sénégal- de le relier au réseau sous régional et notamment au Mali ?
8. A moins d’avoir opté d’emblée pour une subvention permanente de la part de l’Etat, a-t-on bien mesuré les coûts élevés découlant de l’alimentation électrique, ainsi que de l’entretien d’une telle voie rapide (outillage lourd, engins de mesure et de détection, matériel de maintenance et d’entretien, etc.), qui ne sont pas compatibles avec les niveaux de tarifs applicables à la clientèle visée ?
9. Les cinq entreprises sénégalaises impliquées, dont on prétend qu’elles sont «au même niveau de dignité honorable» (que qui, d’ailleurs ?), ne sont-elles pas des entreprises de Btp, non spécialisées en matière de traction électrique ferroviaire ou de construction électromécanique, à qui l’on a seulement confié, voire sous-traité, les travaux de terrassement ou de construction/réhabilitation de gares ?
En tout état de cause, par-delà les justifications hasardeuses de l’Apix et l’indigence de sa politique de communication, force est de constater que le régime en place et ses suppôts ont choisi la fuite en avant, avec des solutions économiquement insoutenables et socialement dangereuses, basées en grande partie sur une dette liée massive, dont le fardeau s’alourdit dangereusement chaque jour davantage, sans aucune préoccupation pour les générations futures. Mais, sans doute, plutôt que de se focaliser sur l’intérêt général et la satisfaction à moindre coût des besoins des populations, nos gouvernants et managers publics ont-ils préféré prendre le parti de s’enrichir à la faveur de ces grands travaux mirobolants, aussi coûteux qu’inutiles ?…
Il ne sert donc à rien d’exhiber de telles infrastructures et, de plus, pour être crédibles dans leurs laborieux efforts pour présenter les réalisations du régime comme des éléments d’un bilan positif, il faudrait que les responsables publics placent leur communication sous les signes de l’exhaustivité et de la transparence, car les Sénégalais ont le droit de connaître dans le détail l’utilisation faite de l’argent public, quelle qu’en soit l’origine : dette, don ou ressources propres.
Mohamed SALL SAO
Tête de liste de la coalition s«Assemblée bi ñu bëgg»