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Etudes : Les Médias Et La Confrérie Mouride Au Sénégal

Au Sénégal, les rapports de forces et les relations de domination sont organisés de telle sorte que pour comprendre comment fonctionnent les champs politique et médiatique, il faut d’abord étudier la relation qu’ils entretiennent avec le champ religieux. Dans un pays composé de plus de 90 % de musulmans, il prévaut ce que l’on nomme le « phénomène confrérique ». C’est dans ce contexte que se situe la présente contribution qui expose les résultats d’une étude empirique réalisée sur des chaînes de télévision revendiquant souverainement leur rattachement à la confrérie mouride. L’étude s’appuie aussi sur la théorie des rapports de pouvoirs.

Introduction

Dans le cadre de cette contribution, nous mettrons l’accent sur la confrérie mouride. Même si numériquement elle n’est pas la plus importante, elle est la plus connue des confréries soufies sénégalaises. Sa trajectoire est intimement liée à l’histoire coloniale et postcoloniale. Les mourides ont joué un rôle politique de premier plan, avec une dynamique historique quasi séculaire (Copans, 2000, 24). Bref, c’est une « confrérie qui a réussi » selon le mot de Dozon (2010, 858).

2Compte tenu de son importance, la confrérie mouride a fait l’objet de nombreux travaux de la part de chercheurs européens qui se sont intéressés à ses dimensions économiques et sociologiques. En dressant l’inventaire de ces recherches, Copans (2000, 24) montre que celles-ci ont été l’œuvre d’administrateurs coloniaux (P. Marty), d’experts du développement (R. Dumont), de critiques de la dépendance (S. Amin), d’islamologues tiers-mondistes (V. Monteil), de spécialistes en sciences sociales (P. Pélissier ; D. Cruise O’Brien1 ; J. Copans et Ph. Couty). Des chercheurs sénégalais (M.-C. Diop, 19802 ; C.-A. Babou, 20113 ; Ch. Guèye, 2002) et des « chantres sénégalais du nationalisme politique et économique » (C.-T. Sy, 1969 ; A. Wade, 1970 ; M. Ndiaye, 1996) ont contribué à documenter l’évolution de la confrérie mouride, en insistant sur sa genèse historique, ses aspects religieux, politiques, économiques et urbains (Dozon, 2010, 858).

3La confrérie mouride s’est beaucoup métamorphosée au cours de ces quatre dernières décennies. D’abord, la crise de la filière arachidière et les effets des politiques d’ajustement structurel ont été à l’origine d’une véritable dynamique migratoire – s’appuyant sur les dahira4 en direction des grandes villes sénégalaises, de l’Afrique et plus tard de l’Europe, des Etats-Unis (Bava, 2003). Il y a eu aussi l’établissement de réseaux avec Djeddah, Hong-Kong et d’autres grandes places du commerce mondial (Copans, 2000). C’est une confrérie qui s’est mondialisée ou « transnationalisée »(Guèye, 2003, 3). Ainsi, on est passé du « mouride des champs au mouride des villes, du téléphone portable et de l’internet » (Copans, 2000). Ensuite, de ville sainte, Touba s’est transformée en une véritable Cité-État moderniste avec tous les problèmes de gouvernance et d’aménagement que pose le développement de cette agglomération (Dozon, 2010 ; Guèye, 2002). Enfin, la confrérie mouride est parfois secouée par des tensions nées de compétitions entre « anciens et modernes, oligarques et démocrates, populistes et réformistes, pragmatiques et utopistes » (Dozon, 2010, 874)

4Nous avons constaté que les relations entre les mourides et les médias n’ont pas été questionnées de façon très détaillée5. Des chapitres d’ouvrages et de thèses sont consacrés aux relations entre champs médiatique et religieux (Loum, 2001 ; 2003 ; 2012), aux émissions religieuses (Sonko, 2010) ou à la question de la laïcité au Sénégal (Sall, 2009). Nous avons fait le pari de contribuer au débat sur la question en mettant l’accent d’une part sur les relations parfois conflictuelles entre les journalistes et les marabouts et d’autre part sur les initiatives prises par des disciples mourides, à travers la création de canaux de communication à même de permettre à leur communauté de se faire écouter, entendre et voir.

5Les conflits directs opposant des journalistes et des marabouts démontrent combien il est nécessaire de relativiser l’indépendance postulée de certains médias dans un contexte socioculturel spécifique, dans un pays considéré pendant très longtemps comme une démocratie exemplaire en Afrique. La plupart des études sur la liberté d’expression des médias se sont focalisées sur l’indépendance de ces derniers vis-à-vis du politique, en occultant la question essentielle du contexte socioculturel qui explique l’attitude parfois timorée voire prudente des journalistes dans le traitement de l’information concernant les confréries.

6Il nous semble aussi important de proposer un modèle théorique de compréhension de l’émergence récente de chaines de télévision créées par ces différentes communautés religieuses. Il s’agira ici de voir si ce nouveau phénomène résulte de l’expression d’un plus grand besoin d’existence médiatique et communautariste dans un contexte télévisuel désormais ouvert à la concurrence. Plusieurs pistes de réflexion s’offrent pour donner une interprétation d’un phénomène émergent mais au développement accéléré. Il convient dans une démarche intuitive d’en cerner les multiples dimensions, à la fois sociales, culturelles et politiques dans un contexte médiatique en pleine ébullition.

7Dans le cadre de cette étude, nous avons mené des entretiens avec les propriétaires des médias mourides, les directeurs de programmes et quelques journalistes de ces chaines d’information confrériques. La difficulté principale au cours de cette recherche a résidé dans une sorte de méfiance. C’est pourquoi nous n’avons pas eu suffisamment d’informations sur leurs sources de financement, leur modèle économique et sur le personnel de ces médias. Les promoteurs se sont simplement limités à nous parler de la philosophie qui sous-tend leurs projets.

8Cette contribution est subdivisée en trois parties. Dans la première, nous ferons une analyse du modèle « islamo wolof » (Diouf, 2001) constituant ce que l’on appelle souvent « l’exception culturelle sénégalaise » ; le contexte permettant de comprendre les soubassements historiques, sociologiques et politiques de ce modèle original que l’on a vite décrit comme étant « l’exception sénégalaise » (Coulon, 1981 ; 1984 ; 1988) ou la « success storysénégalaise » (Cruise O’Brien, 1978). Ensuite, nous dresserons un état des lieux des rapports entre le pouvoir maraboutique et les acteurs médiatiques et politiques. Enfin, dans une perspective plus empirique, nous évoquerons les résultats tirés des enquêtes et des études de contenu des chaînes de radio et de télévision mises sur pied par des promoteurs mourides.

1. Le modèle « islamo-wolof » ou les fondements culturels de l’exception sénégalaise

9Le visiteur qui découvre le Sénégal se trouve confronté à un constat sinon controversé, du moins paradoxal : un pays où les élites modernes sont imprégnées de la culture occidentale dont ils sont souvent les produits, tout au moins, sur le plan de la formation universitaire. Mais dès qu’il fréquente les zones intérieures et moins urbanisées, il constate une société profondément religieuse, islamisée, où les marabouts mobilisent plus que les hommes et les femmes politiques. C’est dans ce contexte qu’il convient de parler d’un pouvoir maraboutique qui s’impose aux autres pouvoirs légitimement établis. Ce pouvoir ne supporte pas la contestation, confinant ainsi la presse, celle qui est le plus à même de dénoncer les habitudes négatives de la société, dans une attitude ou des réactions plutôt passives, voire prudentes.

1.1 Conséquences d’un modèle original sur le comportement des élites politiques

10Traditionnellement, et comme le souligne Coulon, l’univers symbolique des couches éduquées à l’occidentale relègue l’islam au niveau d’une pratique privée ou de vagues valeurs morales ; on ne lui reconnaît guère de statut particulier dans les projets sociaux et politiques. Tout au plus, les élites sont-elles attentives à l’implication des communautés maraboutiques dans l’agriculture ou au pouvoir des féodalités religieuses sur les masses : « C’est donc une vision très instrumentale de l’islam qui prévaut » (Coulon, 1984, 63). Derrière ce premier constat, s’impose cette deuxième proposition théorique : l’islam recouvre au Sénégal un caractère très particulier. J.-L. Triaud (1985, 271-282) fait remarquer que le poids singulier du confrérisme islamique dans ce pays n’a pas d’équivalent en Afrique de l’Ouest. Nulle part ailleurs, l’islam soufi n’est parvenu à se constituer en une véritable force politique avec une telle efficacité. Quelle que soit la terminologie employée (puissance confrérique, force maraboutique, etc.), on voit se développer un pouvoir qui occupe son espace dans le champ de domination, le conservant jalousement quand, par ailleurs, il ne soumet pas les autres pouvoirs à sa propre volonté. Et ni les mutations sociales, ni les transformations politiques résultant des lendemains d’indépendance (encore moins de l’alternance) ne l’ont affecté, au point de l’affaiblir.

11Dès lors, en termes de relations de domination, l’analyse doit être précise pour saisir tous ces mécanismes de régulation sociale, pas forcément visibles, et qui font échec à l’émergence de tous les facteurs contestataires, susceptibles de perturber le jeu des rapports des forces. Quand des groupes de presse privés, imbus de leur indépendance, acquièrent un certain pouvoir au point de nourrir quelque appétit dans le domaine socio-politique, les freins à leur expansion ne se situent pas dans les résistances du pouvoir politique, mais dans celles du pouvoir maraboutique qui stabilise, à son profit, les rapports de forces déjà établis. Il faut donc circonscrire le dynamisme des relations de domination dans un cadre strictement déterminé, en dépit de la nature contestataire de quelques médias.

12De même, la pesanteur socioculturelle est très forte. Les critiques – lorsqu’elles existent – se limitent aux discussions de salon et ceux qui les relaient ne sont pas à l’abri de corrections populaires. Par conséquent, l’État qui, selon le modèle wébérien, est le seul détenteur de la violence légitime, perd ce monopole et devient un complice silencieux des redresseurs de tort. On est loin de la fin de la quite remarkable success story [histoire marquée par des succès remarquables] dont parlait Donald Cruise O’Brien (1978, 173) à propos du Sénégal. Succès qui, selon l’auteur, est lié à l’émergence d’une culture politique nationale authentique, à une articulation relativement harmonieuse entre les communautés locales ethniques et la société politique, et la capacité du parti gouvernemental à fonctionner comme une machine politique efficace. En outre, lorsque surgissent des contraintes d’ordre religieux, l’art consommé des dirigeants politiques doit permettre de les contourner, de les étouffer ou de les circonscrire. Ce qui, comme l’écrit Christian Coulon (1984, 1) « fait de l’État sénégalais un uniquely effective political apparatus [appareil politique particulièrement efficace], instrument d’une stabilité peu commune en Afrique noire à défaut d’avoir pu amorcer une politique de développement véritable ». Les confréries musulmanes, en tant qu’organisations économiques, mais surtout en tant qu’institutions de médiation politique, apparaissent comme une pièce essentielle de régulation.

13Toutefois, il reste à se demander s’il faut considérer la prégnance maraboutique comme un signe de dépérissement de l’autorité étatique qui, à terme, pourrait bloquer et même inverser le processus de démocratisation au Sénégal ? En réalité, il ne serait pas juste de tomber dans la survalorisation ou de sous-évaluer les phénomènes décrits précédemment. Il ne faut pas donner à ces dynamismes islamiques une capacité à transformer la scène politique qu’ils n’ont pas. Nous ne pouvons donc que partager le point de vue de Christian Coulon (1988) lorsqu’il estime que, dans la société civile – au niveau des conduites sociales en particulier – la progression de l’islam ne signifie pas qu’elle peut produire une configuration politique alternative, capable de se substituer à l’ordre préexistant ou même de le menacer directement. Selon Coulon, la percée islamique taraude l’État et l’oblige même à redéfinir ou à renégocier ses pratiques et ses relations envers des acteurs islamiques devenus plus exigeants et plus audacieux. Mais les mobilisations islamiques ont aussi des limites. Les divisions entre marabouts font qu’ils sont dans l’impossibilité pratique de construire un projet cohérent susceptible de constituer une alternative crédible au modèle politique importé de l’Occident. L’État et tous les acteurs politiques se satisfont donc de cette situation et s’y complaisent. Les leaders politiques sénégalais cherchent à s’attirer la sympathie et le soutien des marabouts, et leurs comportements donnent à penser que l’activité des chefs religieux contribue même à assurer la stabilité sociale. C’est encore le point de vue exprimé par Christian Coulon (1988) qui estime que les restructurations sociales auxquelles procèdent les marabouts permettent de combler un vide et de tempérer les risques d’anomie et d’explosion dont l’État pourrait être victime. Selon Christian Coulon Le contrôle social qu’assurent les confréries constitue un élément important de stabilité et peut, dans une situation de crise, éviter les émeutes qui se sont produites dans certains pays islamiques (1988).

14Il est vrai que là où l’État et l’administration ont échoué (s’implanter dans le tissu urbain et constituer des réseaux de communication efficaces), les confréries musulmanes ont réussi à s’y mouvoir. Mieux, elles se substituent aux pouvoirs politiques en comblant leurs lacunes et leur échec dans la régulation sociale et politique. Aujourd’hui, ce sentiment est largement partagé, non seulement par les acteurs engagés dans le champ politique, mais aussi par un nombre important de citoyens sénégalais dont le quotidien, face au phénomène religieux, contribue à valoriser l’action des autorités maraboutiques. Qui, dans ces conditions, s’aventurerait à dénoncer, avec véhémence, les excès constatés dans l’exercice de ce pouvoir, sans risquer au moins d’être marginalisé ? Le statu quo semble arranger tout le monde. Il se mue en une sorte de code tacite du conformisme social dont les règles – connues de chacun –, s’adaptent aux évolutions en cours dans le monde et forment un bloc de résistance qui renforce ce qu’il est convenu d’appeler l’« exception sénégalaise ». Dès lors, comment ne pas envisager les conséquences sur le comportement général des masses de cette exception, bâtie sur le socle d’un pouvoir exceptionnel reconnu aux marabouts ?

1.2 Effets directs et indirects d’un modèle sur les masses populaires

15Pendant longtemps, les confréries sont restées circonscrites aux zones rurales abritant leur dynamisme ; aujourd’hui, elles sont devenues un phénomène urbain offrant une parfaite visibilité. La ville est devenue une partie intégrante de l’univers confrérique. Le développement exponentiel des dahira en est une parfaite illustration. L’impact de ces associations est plus visible chez les membres de la confrérie Muridyya. Partout où ils sont, les mourides se constituent en dahira pour maintenir les réseaux de solidarité, lesquels sont aussi une réponse face aux angoisses et incertitudes engendrées par le phénomène urbain.

16Même les lycées et les universités ne peuvent échapper à l’instauration de ces regroupements de disciples. On se rappelle que ce sont les dahira des élèves et étudiants mourides qui ont organisé au stade Iba Mar Diop de Dakar, les 24 et 25 décembre 1987, une manifestation en opposition aux célébrations officielles – et chrétiennes – de Noël et du Nouvel An. Cette incursion de jeunes gens scolarisés dans des fêtes religieuses non musulmanes prolonge et affermit les messages des confréries et, de surcroît, enlève tout caractère d’ignorance et d’irrationalité à leur expression. De fait, leurs réactions résultent d’un choix alternatif face au modèle valorisé par l’État qui incarne des façons de vivre importées de l’Occident. Par exemple, ces jeunes islamisés qui ne se reconnaissent pas dans ce modèle, ni dans celui des partis dont le discours – souvent progressiste – est tout aussi teinté d’exotisme, voient dans la Muridyya les caractéristiques d’un parti de masse valorisant parce qu’il puise ses références dans la culture nationale traditionnelle (Coulon, 1981). Dans cette perspective, le mouridisme devient une réponse à l’égard de fortes demandes. Du reste, Christian Coulon considère que le mouridisme représente aux yeux de cette jeunesse un véritable mouvement national, synonyme d’un islam national. Son fondateur, dont la mémoire est exaltée avec insistance, devient alors le symbole de la résistance aux Blancs, dit Coulon.

17Par ailleurs, l’importance accordée au wolof (langue parlée par plus de 80 % de la population sénégalaise) dans la confrérie et les talents oratoires du khalife (l’autorité morale) témoignent d’un nationalisme culturel auprès duquel les tentatives du gouvernement d’introduire les langues nationales à l’école font pâle figure (Coulon, 1984). La dimension nationale des confréries, et surtout de la Muridyya, est réellement déterminante dans l’explication de l’adhésion des masses. La promptitude à investir les confréries se nourrit d’une certaine désillusion du progrès qu’est censée apporter la modernité. Ainsi l’attachement à certaines valeurs traditionnelles musulmanes sécurise-t-il les populations qui y voient un moyen de défense face à la dégradation des mœurs résultant du contact avec l’Occident. Même l’appartenance à cette confrérie de riches commerçants et hommes d’affaires sénégalais, s’alimente de ce nationalisme mouride et devient un moyen de défense par rapport à la domination des entreprises étrangères (Coulon, 1984). Aussi, faut-il comprendre la participation active des hommes d’affaires mourides au sein du Groupement économique sénégalais, une association d’entrepreneurs africains au service d’une « bourgeoisie revendicative » et soucieuse de protéger les intérêts des « nationaux » (Diop, 1981, 99).

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18Dès lors, on comprend mieux que l’engagement a priori inconscient des masses se nourrisse in fine d’un nationalisme éclairé. Il se pourrait même, comme l’affirme Jean Copans (1980), que le mouridisme remplisse le rôle d’une idéologie nationale avec ses défenseurs acharnés comme les Baye-Fall (main d’œuvre disponible et dévouée acquise a priori à l’ordre d’un marabout) qui n’hésitèrent pas, à plusieurs reprises par le passé, à faire des incursions violentes dans les débits de boisson. Quelle explication donner à cette dépendance au marabout qui fait du talibé (disciple) un acteur ignorant toute forme de contrainte autre que celle imposée par l’autorité religieuse ? Selon Paul Marty (1971, 280), la personnalisation de l’autorité maraboutique est liée « aux tendances des indigènes vers l’anthropomorphisme et vers sa conséquence pratique : l’anthropolâtrie ».

19Cette explication, qui frise le mépris culturel s’il n’est pas connoté raciste, est insuffisante et lacunaire. Christian Coulon (1981, 103) pousse la réflexion plus loin : « Le lien personnel qui unit le marabout à son talibé repose sur un système complexe de croyances faisant appel à l’auréole sacrée du chef religieux, mais aussi aux avantages que son prestige est supposé procurer aux fidèles ». La soumission du fidèle est si forte qu’elle se traduit chez les mourides par un acte nommé jébëlu6, mot dérivé d’un verbe wolof et qui signifie : se livrer, s’offrir. Ce jébëlu fait l’objet d’une cérémonie particulière au cours de laquelle le fidèle déclare au marabout : « Je vous offre ma vie. Je ferai tout ce que vous me demanderez de faire. Et je m’abstiendrai de faire ce que vous interdirez ». Dans les autres confréries, comme la Tijanyya, la cérémonie de jébëlu n’existe pas, mais le culte du marabout n’en est pas pour autant affecté (Loum, 2001, 274).

20L’idée qui mérite d’être retenue, dans cette relation marabout/talibé,demeure la dimension utilitaire de ce lien. C’est d’ailleurs ce sur quoi insiste particulièrement Christian Coulon (1981, 111) : « Les fidèles croient toujours à la grâce du marabout, mais ils attendent aussi de leur soumission des avantages matériels. Le marabout doit non seulement faire en sorte que ses talibés accèdent au paradis, mais encore qu’ils bénéficient d’un certain bien-être ». Ce rôle d’intermédiation, cette fonction de patronage du marabout évolue vers une fonction d’intermédiaire ou de middleman : « Face à une administration dont les règles de fonctionnement restent étrangères à la majorité de la population, et dont la corruption, sans qu’elle soit spécifique au Sénégal, est l’un des traits caractéristiques, le marabout, grâce à ses relations d’influence, sera à même d’obtenir, pour ses talibés, telle ou telle mesure particulière. Il fera accélérer une procédure administrative, appuiera une demande d’emploi, ou trouvera une bourse d’études pour le fils d’un de ses disciples » (Coulon, 1981, 113). Dès lors, il s’établit une relation de clientèle voulue et réfléchie, ce qui disqualifie toute interprétation de ces rapports qui partirait uniquement du postulat de l’irrationnel et de l’ignorance des masses.

21Cependant, il est vrai que le degré de dévouement des masses au marabout est plus fort, et offre, peut-être, plus de visibilité que celui des élites modernes. Ces dernières sont plus rationnelles et leurs croyances au marabout « faiseur de miracles et capable de tout » sont moins fortes. Dans ce contexte, on retrouve le point de vue que défendait Max Weber (1967, 97) sur la religion des classes moyennes : « Quand on compare, écrivait-il, la vie d’une personne de la classe moyenne, en particulier de l’artisan des villes ou du petit commerçant, à celle du paysan, il est clair que cette vie de la classe moyenne a beaucoup moins de lien avec la nature. En conséquence, le recours à la magie pour influencer les forces irrationnelles de la nature ne joue pas le même rôle pour l’habitant des villes que pour celui de la campagne. En même temps, il est clair que les bases économiques de la vie de l’habitant des villes ont un caractère plus essentiellement rationnel ». Pour autant, il ne faudrait pas en conclure trop rapidement que les élites modernes du Sénégal ont une attitude systématiquement critique à l’endroit du phénomène maraboutique, puisqu’elles ne vont pas toujours dans le sens où l’on aurait tendance à les attendre.

2. Le système médiatique face au pouvoir maraboutique

22Force est de constater que les acteurs agissant dans le cadre des groupes de presse ne sont pas moins enclins que d’autres à remettre en cause ce que nous nommons le « code tacite du conformisme social » (Loum, 2003 ; 2012), construit sur le socle d’un pouvoir désormais assuré de sa pérennité. Auraient-ils voulu user de leur pouvoir en s’opposant à celui des marabouts qu’ils se heurteraient à la résistance d’un contexte socioculturel hostile à la contestation. Car, c’est un problème de contexte où contester l’acte ou la décision des pouvoirs religieux traditionnels, reviendrait à risquer la vindicte populaire ou, tout au moins, la réprobation générale des citoyens que l’on est supposé éclairer. Aussi la domination est-elle d’autant plus forte que les dominés ne s’en rendent pas compte ou qu’ils se satisfont de cette situation. Dès lors, pour les médias, l’attitude à adopter devient difficile. Pourquoi courir le risque de chercher à remédier à une situation voulue par tous les acteurs, même si l’on devient une presse d’avant-garde veillant au chevet des libertés démocratiques ? Avec ses conceptions traditionnelles du pouvoir, la société sénégalaise soumet le monde journalistique à une règle, celle de l’autocensure.

2.1 La liberté d’informer face au conformisme social

23Au Sénégal, soulever certaines questions équivaudrait à déranger des habitudes qui, à force d’être cultivées dans le temps, sont devenues des héritages culturels, fortement défendus par des franges importantes de la population. Pour les groupes de presse – privés dits indépendants – comme du reste pour tous les autres médias, la difficulté à traiter de telles questions réside dans le problème sous-jacent qu’elles posent : le rapport à l’islam. La question étant de savoir si le journaliste est prêt à remettre en cause un héritage culturel qui tire sa justification de la religion, même s’il le perçoit comme un obstacle à la démocratie. L’analyse des lignes éditoriales des médias sénégalais augure une réponse négative. Ainsi le grand thème de controverse, longtemps occulté par les médias, est celui du pouvoir maraboutique et de ses dérives.

24À titre d’exemple, l’incident ayant opposé l’hebdomadaire Le Témoin au chef de la confrérie musulmane Layenne mérite d’être évoqué. De fait, l’éditorial du journal (04/01/94) donnait une information relative au caractère particulier de certaines interdictions (notamment le port par les jeunes filles de tenues jugées provocantes) dans le village de Camberène, qui abrite le siège de cette confrérie musulmane. Cette interdiction est appliquée sur ordre effectif ou implicite du khalife général des Layennes. Le journaliste qui a rapporté les faits s’est posé la question d’une exception juridique dans une portion du territoire sénégalais : pourquoi existerait-il des règles spéciales s’appliquant à certaines localités et qui seraient en contradiction flagrante avec les lois nationales protégeant la liberté d’expression ? La question peut paraître tout à fait anodine du point de vue de l’observateur étranger, mais au Sénégal, donner une telle information, sur fond de dénonciation, revient à franchir les limites du tolérable, du socialement ou du culturellement correct. Ce qui équivaut à violer le code tacite du conformisme social. Aussi fallait-il s’attendre à la réaction des chefs religieux ou de leurs lieutenants zélés, et au pire pour le journaliste. Ce dernier fut invité à répondre à la convocation du chef de la confrérie Layenne, ce qu’il fit : il fut menacé de bastonnades et de répressions d’ordre mystique si jamais une telle forfaiture venait à se répéter.

25À l’époque, tous les organes de la presse, surtout ceux se réclamant de la presse indépendante, ont relaté les faits. Mais, dans leurs commentaires, aucune lueur d’un éventuel débat sur la portée de la liberté de la presse n’est apparue. Ceux-ci, produits de la modernité, auraient-ils ployé sous le poids des traditions ? Et pourtant, cet incident n’aurait-il pas été la meilleure occasion de susciter une discussion autour de la liberté d’expression ? En outre, quel est le sens de l’autorité juridique dans un pays où les chefs religieux se font justice eux-mêmes ? Où commence et jusqu’où peut aller l’autorité de police des marabouts ? De quelles sources la tiennent-ils ? Y a-t-il des limites en dehors de celles prévues par la loi et les règlements qui s’attachent à la liberté des médias ? L’indépendance relative des médias peut-elle perdurer en dehors de ces questions qui engagent l’existence même de la presse libre ? Le journaliste dit indépendant est-il prêt à choisir entre la liberté d’informer, l’objectivité ou la vérité que lui dicte la déontologie professionnelle, et le conformisme social, entretenu par des systèmes de référence religieux intouchables ?

26Pour avoir, depuis longtemps, minimisé l’importance de ces questions, la presse sénégalaise s’expose en permanence au harcèlement psychologique et même physique des marabouts. Du reste, ces derniers disposent d’une police parallèle constituée de quelques-uns de leurs disciples qu’ils mettent en état d’agir chaque fois que leur susceptibilité est atteinte par un article ou un reportage radiophonique. Il est regrettable de constater qu’entre 19947 et aujourd’hui, les mêmes pratiques demeurent. Autre temps, mêmes mœurs ! Au mois d’août 1999, un journaliste du quotidien Le Matin est, à son tour, victime de la colère d’un « marabout mondain »8 pour avoir rendu compte de l’intervention d’un chef religieux en tant que conciliateur dans un conflit qui opposait deux tendances du parti socialiste au pouvoir. Le jeune reporter reçoit aussitôt la visite des disciples du marabout cité dans son article. Ce corps expéditionnaire met à sac la chambre du fautif avant de la réduire en cendres et se saisit du frère de l’impénitent en guise d’otage. Tout ceci après que le marabout l’a fait mander manu militari pour lui donner une correction et l’abreuver d’un torrent d’injures. Le seul quotidien sénégalais à avoir eu une réaction virulente face à cette nouvelle agression contre la liberté de la presse fut Sud Quotidien dans un article titré « Masla9 » paru le 4 août 1999. À souligner néanmoins que l’article avait été rédigé sous le couvert de l’anonymat, sans doute par crainte d’éventuelles représailles. Il n’empêche, le journal ose poser cette question : « Dans quel pays sommes-nous vraiment ? ». Il dénonce les agressions dont a été victime le journaliste du Matin et regrette que l’on n’ait pas trouvé mieux à faire que de se réjouir du pardon du marabout : « Le marabout a pardonné au journaliste et a instruit à ses affidés d’arrêter momentanément le massacre. Renversant non ? Mais la morale de l’État de droit, la justice et la défense des libertés dans tout ça ? […]. On espère seulement que l’histoire nous pardonnera un jour tant de lâcheté partagée ». Le mot sonne juste.

27Si toute la profession est interpelée, personne n’a osé pousser la contestation plus loin. Pas même ces groupes de presse puissants dits indépendants qui ont pourtant réussi dans le passé à pousser les pouvoirs politiques et leurs soutiens privés jusque dans leurs derniers retranchements. Dès lors, qui peut empêcher les responsables de cette presse à adopter la même réaction de contestation face aux dérives du pouvoir maraboutique ? L’explication est la suivante : dans la tension intérieure que vit le journaliste, l’acteur social ou culturel l’emporte sur l’acteur professionnel. Une des illustrations de ce type de choix opéré par le journaliste est l’article signé par le directeur de la rédaction de Sud Quotidien (19/09/1996), à la suite de la fermeture de 35 classes de l’école publique de Touba, sur décision du khalife général de la confrérie des mourides. Le journaliste prend, sur lui, la responsabilité de trancher le débat. Sur quelles bases légales le marabout a-t-il agi ? De quelles sources tient-il cette compétence ? Le journaliste coupe court à ces questionnements avec des termes qui ne souffrent d’aucune équivoque : « Si cela se confirme, Touba a raison ». Autrement dit, de l’avis du journaliste, le marabout aurait raison de fermer les écoles publiques laïques qui ne seraient pas conformes au caractère religieux de la ville de Touba.

28Peu importe la pertinence des propos et des arguments rapportés à l’époque par le rédacteur en chef de Sud Quotidien pour justifier sa position. Ce qui est clair, c’est que le talibé (disciple), l’acteur social ou culturel, a réagi avant l’acteur journalistique. Aussi affirme-t-il : « À supposer même que la décision de fermeture des classes ait été effectivement prise par le marabout, cela ne devrait point choquer les citoyens attachés au caractère laïc de la République ». Cette attitude de refus du marabout de l’école publique laïque « est-elle si rétrograde et si conservatrice qu’on veut bien la présenter ? » s’interroge-t-il, avant d’affirmer que le refus d’admettre l’école publique aurait été celui de tous les citoyens ayant la possibilité de trouver une voie jugée meilleure pour assurer l’éducation de leurs enfants. En adoptant cette position, le journaliste a gagné la sympathie des autorités religieuses et s’est attiré, à n’en point douter, la bénédiction du marabout. Dès lors, il a pu conforter sa position dans le champ social. Par ailleurs, les journalistes de ce quotidien – situés à un niveau inférieur dans la hiérarchie – qui auraient eu l’intention de porter un regard critique sur la décision prise par le chef de la confrérie des mourides, ne pouvaient plus le faire et devaient y renoncer. Il y allait de leur survie dans le « système médiatique », pour reprendre la formule de Michel Mathien (1992).

29C’est dire combien le poids des déterminismes sociaux et culturels l’emporte sur l’autonomie professionnelle. Et, à l’instar de Daniel Cornu (1994, 279), on peut dire que dans sa pratique quotidienne, aucun journaliste n’est totalement détaché de cette tension qui continue d’animer ses combats et ses refus. Son action est fortement déterminée par les conditions d’exercice de sa liberté. Celles-ci paraissent plus contraignantes dans des sociétés complexes comme celles d’Afrique qui exposent l’individu à remplir une fonction, et lui permettent rarement de s’affirmer comme personne autonome. C’est ce que confirme Abdoulaye Bamba Diallo, directeur de publication de l’hebdomadaire Nouvel Horizon : « N’oubliez pas que nous sommes dans des sociétés où les interconnexions sont très étroites, et assez souvent, le pouvoir des forces religieuses est, par exemple, énorme au Sénégal, et c’est un fait de société dans mon pays dont il faut tenir compte. Ce n’est pas qu’il y ait un pouvoir religieux, mais le fait est que, parler des forces religieuses, parler de la féodalité maraboutique fait qu’il y a assez souvent, je ne dirais pas que ce sont les chefs de ces familles maraboutiques qui réagissent […] mais des gens qui leur sont proches, des fidèles qui le prennent mal. Ils n’acceptent pas qu’on désacralise le pouvoir religieux […]. Et il n’y a pas trop de protection pour les journalistes ; et croyez-moi, si nous, nous assumons ce que nous faisons, on trouve des moyens de pression qui peuvent toucher nos familles […] » (cité par de la Brosse, 1999, 837).

30Ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire Sophie Ndiaye Cissokho » est symptomatique des relations difficiles entre les médias et Touba. Celle-ci, épouse du Khalife des mourides, avait accordé une interview au journal « people » Week-End Magazine à travers laquelle elle déclarait : « je rêve d’un enfant de Serigne Bara »10. Pour les talibés, c’est un sacrilège en raison de la personne sacrée du marabout et de l’intrusion du journal dans son intimité. La dame est répudiée. La rédaction a fait l’objet d’insultes et d’intimidations. L’éditeur est ouvertement menacé de mort par de jeunes marabouts « Mbacké-Mbacké ». Dans un éditorial consacré à cette affaire, Week-End Magazine avance que le fait de relayer le désir d’enfant d’une dame avec son époux ne peut constituer un manque de respect à l’égard de la communauté mouride. « Où est le mal ? Pas dans le propos mesuré de (l’ex ?) Madame Mbacké, mais dans l’obscurantisme de jeunes marabouts « Mbacké-Mbacké », écrit l’éditorialiste du magazine (Diop, 2008). Par crainte de représailles, les journalistes n’ont pas osé manifester leur solidarité à leurs confrères menacés. Pour ne pas froisser la communauté mouride, l’État a fait la sourde oreille face aux menaces de mort proférées par les jeunes marabouts « Mbacké-Mbacké » à l’endroit de l’éditeur. Cette affaire confirme le harcèlement psychologique et parfois physique dont les médias sont victimes de la part des marabouts11.

31Une autre affaire sera à l’origine d’un conflit entre le journal Le Quotidien et Touba : l’attaque le 20 juin 2014 des domiciles de Touba du député Moustapha Cissé Lô, deuxième vice-président de l’Assemblée nationale. Ce dernier, dans un enregistrement sonore, avait proféré des injures à l’endroit d’un membre influent de la hiérarchie mouride, en l’occurrence Serigne Abdou Fatah Mbacké. La boulangerie du député, ses deux résidences à Touba et son véhicule ont été incendiés en guise de représailles. Les dix-neuf personnes arrêtées ont été relâchées sous la pression de la hiérarchie maraboutique et face à la menace des talibés d’attaquer le commissariat de police de Touba. Cette décision a occasionné une sortie virulente du journal Le Quotidien qui, à la une de son édition du 23 juin 2014, titrait : « La République brûlée à Touba ». Dans un éditorial intitulé « Si Cheikh Béthio s’était nommé Mbacké… »12Le Quotidien, tout en condamnant les propos désobligeants et le style provocateur du député, dénonce une « horde de pyromanes » qui bénéficie d’une « impunité » en raison du « privilège de la naissance » (Diagne, 2014). L’éditorialiste fait remarquer que pour des actes moins graves que ceux commis à Touba, de nombreux citoyens ont subi les rigueurs de la loi pénale. Selon lui, à travers la libération des « talibés pyromanes » de Touba, « la justice a été humiliée en se couchant devant un certain ordre religieux ». « L’État renouvelle son allégeance à Touba et perd l’essence de son existence : sa force régalienne », ajoute le journal dans un autre reportage (Diallo, 2014). Cette attitude du Quotidien peut être analysée comme une exception qui confirme la règle : un journal écrit sur Touba tout en gardant une certaine liberté de ton.

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32La riposte des mourides est cette fois plutôt intellectuelle que physique. Des intellectuels mourides dénoncent le ton irrévérencieux utilisé dans le traitement des événements de Touba et la stigmatisation de leur communauté par les médias qualifiés de « procureurs auto-proclamés de la foi » et accusés de verser dans un « anti-mouridisme primaire » (Diop, 2014). Pour l’intellectuel et marabout mouride Abdoul Aziz Mbacké, le traitement de « l’affaire Moustapha Cissé Lô » traduit une attaque de la « légion romaine » contre Touba « devenue la plaque tournante de l’islam au Sénégal. La dernière citadelle qui, silencieusement, irrévérencieusement, fièrement, résiste à Rome ; qui ose encore défier ouvertement, violemment, l’Empire et ses sublimes naqasaqandanguités » (Mbacké, 2014). Une manière habile de se poser en victime pour évacuer le débat de fond : le respect des lois de la République.

2.2 Les médias et la question de la parité à Touba

33Il reste vrai que la quête de légitimation de la fonction journalistique passe par l’acceptation d’assumer la critique du système social lorsqu’il se révèle pervers pour la clarté du jeu démocratique ; cette fonction a pour fondement la vérité. Celle qui dérange (qui peut même choquer), mais celle qui, dans le contexte ambiant du conformisme, aiderait à bousculer les habitudes, dans le sens d’une récupération – lorsque celle-ci est confisquée – de la parole sacrée : la liberté d’expression. Dans un pays moderne et démocratique, les médias ne peuvent se satisfaire de l’existence incontournable d’obstacles culturels. Il faut tenter de les contourner, opérer des dépassements, surtout quand – peu à peu –, le contexte s’y prête. Le contexte socio-politique a si évolué d’ailleurs qu’il a récemment permis le vote d’une loi sur la parité absolue entre hommes et femmes, par le parlement sénégalais en 2010 et promulguée en 2011. Les élections municipales de 2014 devraient être le premier test pour mesurer la capacité de la société politique à accepter et à appliquer les dispositions de cette loi. Le coup de théâtre est intervenu avec la liste unique confectionnée par le chef de la confrérie mouride dans la ville sainte de Touba. Les différents espaces publics ont alors abrité pendant quelque temps un débat sur le « statut spécial » qui serait celui de Touba pour expliquer, voire justifier la confection par le Khalife général des mourides d’une liste qui ne respectait manifestement pas la loi sur la parité. Naturellement, les uns s’en sont félicité et ont estimé même que l’État devrait aller plus loin en consacrant dans les textes ce statut spécial. D’autres s’en sont offusqués au nom de la nécessaire préservation de l’État de droit. Ce serait, selon eux, un précédent dangereux qui ouvrirait la boîte de pandore et menacerait in fine l’intégrité et la stabilité du modèle étatique sénégalais. Que dit cette loi sur la parité, sans doute l’une des plus généreuses au monde pour corriger le déséquilibre de représentation des genres dans les fonctions électives ? Elle dispose en son article premier : « La parité absolue homme-femme est instituée au Sénégal dans toutes les institutions totalement ou partiellement électives ». Le législateur ajoute, pour être plus précis, que celle-ci concerne toutes les listes de candidatures qui doivent être alternativement composées de personnes des deux sexes.

34Que se passerait-il alors si l’on se retrouve avec une liste qui ne respecte pas la parité telle que définie supra ? Le législateur répond en disposant de manière formelle : « Les listes de candidatures doivent être conformes aux dispositions ci-dessus sous peine d’irrecevabilité ». Une interprétation légaliste qui relève d’un pur juridisme aurait donc voulu que concrètement la liste présentée à Touba soit déclarée irrecevable. Telle a d’ailleurs été la position initiale de la Commission électorale nationale autonome (CENA), autorité chargée de veiller à l’intégrité du processus électoral, avant qu’un certain sens du pragmatisme la ramène à verser dans la dissertation politique et subtile. L’article 4 de la loi sur la parité affirme que les nouvelles dispositions sont intégrées dans le code électoral et que celles-ci abrogent toutes dispositions contraires. Le « statut spécial » de Touba (une spécificité historiquement établie) serait-il contraire à la loi sur la parité ? Mieux, serait-il déjà abrogé depuis le vote de celle-ci en 2010 ? Ces questions resteront sans réponses, tant il est patent qu’une autorité judiciaire n’aura jamais l’opportunité de se prononcer là-dessus parce que jamais elle ne sera saisie par qui de droit.

Depuis lors, l’on parle de « précédent », comme si dans ce pays les marabouts et les confréries qu’ils dirigent avaient toujours respecté les lois, n’avaient jamais défié les autorités, ne s’étaient jamais substitués aux tribunaux, bref à toutes les instances représentatives de l’État dans des circonstances précises.

35La difficulté à faire appliquer aujourd’hui la loi sur la parité n’est en fait qu’une simple consécration d’une cohabitation souvent réussie et très rarement heurtée entre l’État de droit (consacré dans les textes et l’existence d’institutions qui en assurent l’application) et des pratiques coutumières qui, à force d’être cultivées dans le temps, font jurisprudence et ont en pratique une égale valeur que les lois de la République. Que les journalistes qui, à cette occasion, avaient pris des positions éditoriales plus ou moins courageuses pour pointer ce qu’ils nommaient «un précédent dangereux » daignent se rappeler juste ces faits évoqués supra et qui les concernent au premier chef ! Voilà comment dans ce pays, se combinent structures institutionnelles empruntées au modèle légal-rationnel de l’État de droit avec logiques locales qui dessinent les contours d’un pouvoir réinventé où le centre de domination peut se déplacer de l’État vers le marabout. Voilà la réalité sociopolitique sénégalaise. L’analyse en termes de relations de domination doit donc être extrêmement précise, pour saisir tous ces mécanismes de régulation qui font échec à l’émergence de tous les facteurs contestataires susceptibles de perturber le jeu des rapports de forces.

36Dans cette présente étude il est également question de voir comment de nouveaux promoteurs, tirant profit de ce dynamisme religieux, investissent le champ désormais ouvert de l’espace médiatique et surtout télévisuel. Dans cette nouvelle perspective, il convient d’accorder une place spéciale dans l’analyse à la confrérie mouride dont le dynamisme s’exprime aussi dans le « génie » de ses hommes d’affaires omniprésents dans les secteurs qui apportent des profits immédiats et conséquents.

3. La télévision comme nouvel espace d’expression des mourides

37Il serait important de prime abord de questionner les raisons de ce nouveau dynamisme mouride dans l’espace médiatique

3.1 Les raisons d’un nouveau dynamisme dans l’espace médiatique sénégalais

38Comme nous le rappelions dans la première partie de cet article, l’Islam occupe une place prépondérante au Sénégal13. Il a connu une forte effervescence de la fin des années 1980 au début des années 1990, à la suite de la révolution iranienne. En outre, de nombreux mouvements de toutes sortes (jeunes mourides ou d’autres confréries, mouvements réformistes, islamistes, etc.) essaiment dans un Sénégal durement touché par une crise économique persistante. Les jeunes issus des milieux populaires se détournent de la politique au profit des mouvements religieux. Ce phénomène s’est accentué à la fin des années 1980 et au début des années 1990 avec l’émergence de figures maraboutiques jeunes, souvent en tenues européennes au style très décontracté, aux talents oratoires incontestables avec un art consommé de la mise en scène. Ces guides spirituels communément appelés « marabouts des jeunes » ou « marabouts mondains » (Diop, Diouf, Diaw, 2000, 157-179), à l’image de Serigne Moustapha Sy, responsable moral du « Dahiratoul Moustarchidina wal Moustarchidaty » et de Cheikh Modou Kara Mbacké Noreyni du Mouvement mondial pour l’Unicité de Dieu (MMUD) (Audrain, 2004) cultivent une image sympathique et moderne (Samson, 2005 ; Audrain, 2004). Avec leurs mouvements, ils ont procédé à une critique sévère de la société sénégalaise et prôné sa réorganisation et un redressement moral. Ils permettent à des jeunes en difficulté sociale de se remettre sur le droit chemin en apprenant le Coran et en observant les règles strictes de l’islam (Samson : 2005)14. Ainsi s’affirme un islam fortement teinté des valeurs culturelles locales avec l’utilisation de la langue wolof, les chants et danses sous les rythmes traditionnels. Une frange importante de la jeunesse s’identifiait à cette nouvelle espèce d’expression hybride mêlant tradition et modernité et favorisant l’expression d’une nouvelle culture urbaine (Samson, 2005).

39Face à cette forte effervescence de l’islam, les médias ont essayé de répondre au besoin exprimé par les Sénégalais de vivre leur foi et de s’informer sur leur religion. Il faut toutefois préciser que depuis 1951, avec la retransmission de la messe de la Cathédrale de Dakar par Radio Sénégal (Sonko, 2010, 124), la présence de la religion est constante dans l’espace médiatique sénégalais, même si elle a été fortement encadrée dans le cadre d’un système étatique d’information. C’est avec la libéralisation de l’audiovisuel au milieu des années 1990 que le discours médiatique religieux échappe aux procédures et dispositifs panoptiques. D’où l’énorme succès des émissions religieuses – qui figurent en bonne place dans la grille des programmes des radios commerciales privées – et de leurs animateurs, les « prêcheurs hertziens » communément appelés « oustaze »15 (maîtres coraniques) (Sonko, 2010, 127), ainsi que la création de médias confessionnels ou confrériques. Cette libéralisation de l’audiovisuel a permis à des promoteurs mourides, tidianes et niassènes à s’engouffrer dans la brèche en créant Lamp Fall FmAl Hamdoulilah FmTivaouane FmRadio Touba Hizbut TarqiyyaMedina Baye Fm, etc.

40Il s’y ajoute, pour le cas des mourides, que différents médias ont servi à vulgariser la pensée d’Ahmadou Bamba (fondateur de la confrérie) à travers la traduction et une large diffusion de ses poèmes, les Khassaïdes ainsi que de sa pensée et de sa geste. Après la peinture sous verre, la photographie et la cassette audio, les mourides ont jeté leur dévolu sur les moyens modernes de communication, notamment la radio. Ils ont pris conscience de cette importance en raison du rôle joué par le filtre fréquentiel dans le dénouement des crises politiques au Sénégal : éclatement de la Fédération du Mali, la crise 1962 et Mai 1968 à Dakar.

41La radio et la télévision ont toujours servi de relais au Khalife à la veille de l’hivernage – annonce du début des cultures, selon une tradition bien établie – du grand pèlerinage de Touba – le Magal – l’annonce des grands travaux de la confrérie, de chants religieux et d’autres manifestations culturelles de la confrérie (Guèye, 2003, 11-12). Le conflit qui a opposé en 1983 le Khalife au directeur général de la chaîne publique, l’Office de Radiodiffusion et de Télévision du Sénégal (ORTS), montre l’importance que les mourides accordaient à la radio16 (Gueye, 2003, 13). Aujourd’hui, les médias, notamment la radio et la télévision, permettent aux confréries de véhiculer leurs visions de la société, leurs stratégies par rapport aux enjeux qui les interpellent dans un contexte de globalisation et pour la couverture de leurs activités et cérémonies. Cette prise en compte de l’importance des médias s’explique par la désignation de porte-parole, d’une commission presse et communication à l’occasion de certains événements et de cellules de communication au sein desquelles officient des diplômés des écoles de formation de la place (Sall, 2009, 142-144).

42Le sens des affaires des mourides adossé à la mystique du travail17explique aussi la forte présence du religieux dans l’espace médiatique. Chez les mourides, le travail fait partie de la religion ; il est une forme de prière. Les transformations que la confrérie a subies au cours des quarante dernières années ont entraîné une mutation de l’éthos mouride du travail en un esprit d’entreprise (Bava, 2003). Après le transport, l’habitat, le commerce et les réseaux de transfert d’argent, des hommes d’affaires mourides investissent le secteur des médias avec la bénédiction de Touba qui leur a recommandé de s’inspirer des chaînes de télévision existant à la Mecque et à Médine18.

43À l’esprit d’entreprise se greffent des ressources politiques utilisées par certains marabouts. Le retrait du Khalife du jeu politique a conduit à une recomposition des positions politiques et des intérêts qui les régissent (Guèye, 2002, 274). Cela offre des opportunités aux marabouts d’être investis et d’accéder à l’Assemblée nationale. Ils ont compris que les médias – à l’image de la chaîne publique, la RTS – à travers la couverture des cérémonies des familles maraboutiques de Touba, constituent des ressources importantes car participant à la construction et à la reproduction d’une identité de dignitaires par la couverture télévisée et radiophonique des Magal des familles religieuses de Touba. (Guèye, 2002, 281). Certains marabouts seront à la création de certains médias ou sites internet pour assurer leur propre promotion. C’est le cas de la radio Disso Fm et du site internet Diawartoul-lah (Guèye, 2003, 72-73).

44Les marabouts et promoteurs mourides ont tiré profit du vide juridique des cahiers de charges des radios commerciales et des radios communautaires ainsi que le cahier des charges applicable au titulaire d’une autorisation de diffusion de programme de télévision privée de droit sénégalais. Il n’y a ni une réglementation spécifique, ni des obligations clairement définies concernant les médias confessionnels. Les textes n’insistent que sur le respect des règles déontologiques et du respect du pluralisme des opinions19.

3.2 Lamp Fall TV, Touba TV et Al Mouridiyya TV : vendre l’image de la confrérie

45Au début des années 2000, après les échecs de journaux d’obédience mouride comme ToubaKhassaïdesLa Voix de Touba ou Touba Magazine, des initiatives mourides ont porté sur l’Internet, la radio et la télévision. La Toile est un espace virtuel que les mourides, à travers les dahira, ont conquis après les espaces territoriaux sénégalais et international (Guèye, 2003, 64). Les sites en ligne qui fleurissent depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000, vantent la puissance mouride, diffusent l’œuvre de Bamba, donnent des informations sur la vie de la confrérie, son message, ses symboles, ses saints, sur la Cité-État de Touba (Guèye, 2003, 65). Les images de Cheikh Ahmadou Bamba et celles de la Mosquée de Touba sont devenues des symboles portés un peu partout dans le monde.

46Les chaînes de radio et de télévision participent de la même logique : propager le mouridisme, diffuser le message universel et intemporel de l’islam et promouvoir les valeurs culturelles de la société sénégalaise. Leur discours a recours au système de valeur islamique, qui s’oppose à l’occidentalisation de la société sénégalaise.

47Dans le domaine de l’audiovisuel, Alioune Thioune, un ingénieur en télécommunications, a fait figure de pionnier en lançant Lamp Fm – puis Lamp Fall TV – adossé à Africatel AVS, un centre d’appels installé à Dakar. Le succès de Lamp Fall TV a encouragé d’autres promoteurs mourides à investir le créneau des médias. Ainsi voient le jour Touba TV en 2009, Al Azhar fmRadio Touba Hizbut Tarqiyya Fm et Al Mouridiyya TV en décembre 2013. Cependant, la création de ces deux derniers médias par le Dahira Hizbut Tarqiyya20 entre en droite ligne de la politique de cette institution culturelle mouride.

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48Après l’imprimerie qui a permis la traduction en français des ouvrages de Cheikh Ahmadou Bamba, l’organisation d’expositions sur le mouridisme dans les années 1980 et la création d’un site internet à la fin des années 1990, le Hizbut Tarqiyya investit l’audiovisuel pour contribuer à la diffusion du mouridisme.

49Ces chaînes mourides sont gratuites au Sénégal. Au départ, Touba TVétait une chaîne payante à l’étranger où elle était diffusée via le satellite. Elle était reçue non seulement en Europe, en Afrique au Sud du Sahara ou aux Etats-Unis où l’on dénombre une forte diaspora mouride, mais aussi vers Touba où beaucoup de maisons sont équipées d’antennes paraboliques en raison de la mauvaise réception des chaînes hertziennes dans certaines zones.

50Les journalistes de ces chaînes de télévision ne sont pas tous des talibés mourides. Leurs reportages ne sont pas non plus exclusivement consacrés à ceux-ci. De par leur personnel et les programmes proposés, ces chaînes de télévision sont transconfrériques. Elles ont une vision globalisante de l’islam, qui n’admet pas de discriminations entre les musulmans. C’est une façon pour elles de recréer et de renforcer les liens de la communauté musulmane sénégalaise21 (Sy, Ndong, 2015, 16-17).

51Même si le wolof permet de toucher un large public – langue parlée par 80 % des Sénégalais – certaines émissions sont également déclinées en français et en arabe. La religion occupe une place importante dans la programmation de ces chaînes. Lamp Fall consacre 70 % de sa programmation aux émissions religieuses. Même les khassaïdes sont utilisés comme jingles. À Touba TV, les émissions religieuses occupent entre 50 à 70 % de la grille des programmes. Il s’agit de reportages sur les manifestations et événements religieux, la vulgarisation de la pensée de Cheikh Ahmadou Bamba, l’enseignement des préceptes de l’islam et du Coran, les causeries religieuses, les émissions interactives ou de débats et la couverture des activités de la diaspora mouride. Lamp Fall se distingue par l’absence dans sa grille des programmes d’émissions de divertissement, notamment la musique et le sport considérés comme des activités prohibées par l’islam. Elle reste fidèle à la philosophie définie par le fondateur du mouridisme. Lamp Fall propose cependant des émissions portant sur des faits de société22 (Sy, Ndong, 2015, 16-17). Comme sur les radios privées sénégalaises, ces faits sont souvent abordés sous le prisme de la religion : polygamie, place de la femme dans la société, code de la famille, rôle du chef de famille, etc. (Sonko, 2010, 128). Quant aux journaux d’information, ils sont réduits à leur plus simple expression. Les chaînes de télévision mourides proposent une offre médiatique alternative par rapport à celle des télévisions généralistes dont la grille des programmes est dominée par le divertissement, notamment les séries américaines, les télénovelas, les sitcoms africains, le sport, les émissions et clips musicaux.

52À Lamp Fall TV et à Touba TV, on assure accorder de l’importance aux principes éthiques et aux règles déontologiques. Pour les responsables de ces chaînes de télévision, il ne saurait y avoir de conflit entre les dogmes religieux et professionnel. Ils s’adossent à l’éthique musulmane et au système des valeurs locales. Selon le directeur des programmes de ToubaTV, « C’est l’islam qui recommande d’avoir de l’éthique. C’est pourquoi nous évitons les sujets à polémiques. Nous faisons preuve d’équilibre dans le traitement de certaines questions en restant conformes à la foi et aux textes qui régissent le métier de journaliste »23.

53Il nous a été difficile d’avoir des informations sur les sources de financement et les résultats financiers de ces chaînes. À Touba TV on avoue que la chaîne est soutenue par Mbackiyou Faye, un mécène, un homme d’affaires et un politique prospère, représentant du Khalife général des Mourides à Dakar. À Lamp Fall, le propriétaire24 soutient que l’essentiel des revenus de la chaîne proviennent des sociétés de téléphonie mobile, des avis et communiqués, de la publicité et des ristournes des serveurs vocaux qui constituent une véritable aubaine financière pour les radios privées (Sonkon 2010, 99-104).

54Les chaînes de télévision confrériques ne constituent pas une menace à l’équilibre de la nation sénégalaise. Adossées à un islam confrérique tolérant, « transethnique » et transnational, elles proposent une offre programmatique « transconfrérique » garant d’une coagulation sociale. En outre, elles assurent une mission d’éducation religieuse. Ces chaînes de télévision, comme les émissions religieuses des radios privées, contribuent à la « désacralisation du processus de transmission du savoir religieux »(Sonko, 2010, 149). Leurs animateurs supplantent les institutions religieuses comme les écoles coraniques et les mosquées dans la diffusion des enseignements religieux. Nous pouvons avancer l’hypothèse que cet encadrement religieux des médias confessionnels représente un véritable rempart contre l’islam militant en ne laissant pas le terrain à ce dernier.

 

Ndiaga Loum et Ibrahima Sarr

«Les médias et la confrérie mouride au Sénégal», Revue Internationale des Francophonies, Numéro 9, publié le : 20/07/2017, URL : http://rifrancophonies.com/rif/index.php?id=374.

 Ndiaga Loum

Juriste, politologue, professeur au département des sciences sociales de l’Université du Québec en Outaouais (UQO). Membre régulier du Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRICIS) et de la Chaire Senghor de la Francophonie, ses intérêts de recherche portent sur la communication politique, la régulation éthique et juridique des médias, le développement et les relations internationales. Il est aussi expert en droit international humanitaire.

Ibrahima Sarr

Enseignant-chercheur et directeur du Centre d’Études des Sciences et Techniques de l’Information (CESTI), l’école de journalisme de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Titulaire d’un doctorat en sciences de l’information et de la communication (Université Paris 2 Panthéon-Assas), ses recherches portent sur la communication politique, la sémiotique de l’image et des médias, l’éducation aux médias et la sociologie du journalisme.

Notes

1 Pour la contribution de Donal Cruise O’Brien sur les mourides, nous renvoyons le lecteur à l’hommage qui lui a été rendu par J. Copans, Ch. Coulon, M.-C. Diop, J. Strauss, « Donal B. Cruise O’Brien, 1941-2012 », Cahiers d’Études africaines, 2012, n° 208, p. 735-740.

2 Outre cette thèse, M.–C. Diop est également l’auteur de beaucoup de contributions sur les mourides dans leurs relations avec le pouvoir central sénégalais.

3 C’est la version française de son livre Fighting the Greater Jihad. Amadou Bamba and the Founding of the Muridiyya of Senegal, 1853-1913, Athens, Ohio University Press.

4 Associations religieuses regroupant les adeptes d’une confrérie

5 En dehors de la contribution de C. Guèye (2003). Mais celle-ci a surtout porté sur les usages sociaux des technologies de l’information et de la communication et leur rôle dans les mutations urbaines à Touba. Des mémoires de recherche ont été consacrés à Lamp Fall FM et Lamp TV, mais qui occultent les relations entre les mourides et les grands groupes médiatiques dakarois.

6 Ce mot se prononce djébeulou.

7 L’année où l’incident a eu lieu entre le journal Le Témoin et le chef de la confrérie des Layennes.

8 L’appellation « marabouts mondains » est utilisée dans le Bulletin du Codesria (1993 : 5) pour distinguer les marabouts issus directement des familles régnantes dans les confréries (très peu attachés au matériel et aux choses mondaines) et ceux qui tirent profit d’une parenté lointaine ou d’une proximité avec ces dites familles pour revendiquer une légitimité religieuse.

9 Expression wolof décrivant l’attitude générale prompte à substituer à la polémique ou au conflit, la langue de bois et la négociation

10 Lire Week-End Magazine n° 44, semaine du 11 au 23 avril 2008. Ce magazine appartient au Groupe de presse « Avenir Communication » éditeur du journal Le Quotidien.

11 Du fait de la proximité de l’éditeur, Madiambal Diagne, avec la famille du défunt Khalife des mourides Serigne Saliou Mbacké, cette affaire a connu un dénouement pacifique.

12 En avril 2012, Serigne Béthio Thioune, disciple du défunt Khalife des mourides Serigne Saliou Mbacké, et guide moral des « Thiantacoune », un mouvement néo-confrérique, a été arrêté à la suite d’une cérémonie d’allégeance qui a viré à l’assassinat de deux de ses talibés. En février 2013, bénéficiant d’une liberté provisoire, il a été élargi. Dans cette affaire, Serigne Béthio n’a été « protégé » ni par les politiques parce que son favori Abdoulaye Wade a été battu à la présidentielle de 2012 par l’actuel chef d’État, Macky Sall, ni par les mourides en raison de ses relations difficiles avec Touba.

13 Son introduction en Sénégambie remonterait au XIe siècle avec la conversion du roi du Tekrur, Waar Jaabe. Son expansion a été rendue possible par le commerce transsaharien, les guerres saintes et l’encadrement des populations par les confréries soufies.

14 Il faut souligner chez les mourides, le rôle joué à ce niveau par le marabout Serigne Modou Kara.

15 Les plus célèbres sont Alioune Sall, Taïb Socé, Makhtar Seck et Moustapha Guèye.

16 Le Khalife des mourides, Serigne Abdou Lahat, avait menacé à l’époque de créer une radio mouride.

17 Conformément à l’enseignement d’Ahmadou Bamba : « Travaille comme si tu ne devais jamais mourir et prie comme si tu devais mourir demain ».

18 Dans l’esprit des promoteurs mourides, il ne s’agit pas de diffuser des prêches à longueur de journée, à l’image des chaînes saoudiennes.

19 Le chapitre IV portant sur les obligations relatives aux programmes, stipule en son article 13 : « L’entité titulaire d’une autorisation de diffusion de programmes Radio est responsable du contenu des émissions qu’elle diffuse ».

20 Association constituée à l’origine de cadres mourides bien formés, dynamiques, dévoués, humbles, au service exclusif de la promotion d’une confrérie qu’ils ont définitivement installée dans la modernité.

21 À titre d’exemple, on peut citer Al Mouriddiyya TV, lancée en décembre 2013. Son directeur des programmes, Mouhamadou Lamine Diouf, explique : « « Notre champ d’action c’est l’islam. C’est pourquoi nous sommes ouverts aux autres. C’est autant de raisons qui font que Al Mouridiyya TV fait des directs depuis Tivaouane pour couvrir le gamou ainsi que des plateaux. La radio couvre aussi les événements religieux de Ndiassane, Yoff, la famille omarienne, etc., en conformité avec sa ligne éditoriale ».

22 Mor Touré, journaliste à Lamp Fall, justifie : « L’islam, c’est une vie intérieure mais aussi un projet de société. L’islam nous enseigne comment éduquer nos enfants, comment administrer nos sociétés et comment intégrer nos femmes dans le développement. C’est pourquoi, au-delà des émissions religieuses, nous avons des rubriques dédiées à la jeunesse, aux élèves, aux femmes, à l’environnement, à des questions économiques, à l’éducation, à la découverte, à des témoignages, à la culture et à la civilisation musulmanes, à la santé. À cela s’ajoutent quatre éditions et un round up de l’actualité hebdomadaire ».

23 Entretien avec Abdoulaye Diop, le 16 novembre 2014.

24 Entretien avec Alioune Thioune, le 12 octobre 2014.

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