J’ai vu des amis s’offusquer, à juste titre, qu’une communauté ethnique soit prise à partie sur les réseaux sociaux depuis les législatives sénégalaise du 30 juillet 2017.
Et comme pour ne pas arranger les choses, j’apprends ce matin qu’un jeune en a tué un autre au motif qu’il parlait une langue différente de la sienne. Voilà un événement triste et malheureux qui vient s’ajouter aux épreuves que nous devons transcender en tant que nation.
C’est un problème sensible et qui prend de l’ampleur. Nous devons y réfléchir comme nous le faisons pour d’autres sujets.
Je pense n’avoir personnellement jamais cessé de mettre en garde contre certaines dérives, même quand cela concernait d’autres pays. J’écrivais en 2014, je crois, qu’accuser toute une communauté parce que certains se comporteraient mal, est un pas à ne pas franchir. Il n’y a pas de problème d’UNE communauté particulière, touchant tous ses membres. Dire cela est insensé, surtout au Sénégal qui repose sur deux assises solides : l’harmonie ethnique et la coexistence religieuse pacifique qui découlent d’une longue histoire.
Il peut y avoir certes ça et là des incidents malheureux, mais la solidité de ces assises fait échouer au final toute tentative de déstabilisation. Il ne faudrait cependant pas dormir sur nos lauriers. La vigilance doit être de mise en tout temps et en tous lieux dans le pays.
Stéréotypes
Les représentations sociales d’une communauté socioculturelle sur une ou d’autres communautés socioculturelles existent bel et bien. Une communauté peut croire qu’une autre est « travailleuse », « honnête », « fourbe », « hautaine », etc. Ce sont là des stéréotypes qui à force d’être entendues finissent par devenir des vérités, mais de fausses vérités.
Ces représentations dont certaines reprennent les perceptions coloniales sont souvent biaisées. Il peut y avoir également des frustrations et surtout un ressentiment de certaines communautés envers d’autres, surtout dans le cadre d’une jeune nation marquée par l’existence d’une majorité et des minorités sociologiques.
Tout cela peut exister. D’où l’existence de certains mécanismes sous nos cieux comme la parenté à plaisanterie pour les transcender.
Il y a toutefois un problème récurrent depuis quelque temps : c’est l’instrumentalisation d’une appartenance religieuse ou « ethnique » (je n’aime pas ce terme) à des fins politiques. L’instrumentalisation confrérique, tous nos présidents s’y sont adonnés. Wade est toutefois allé beaucoup plus loin, en se faisant appeler le « président-talibé », contrairement à Senghor et Diouf qui se contentaient seulement de recueillir les retombées politiques.
Il est heureux que des intellectuels mourides comme Babacar Mboup et beaucoup d’autres, se soient levés à l’époque pour dénoncer cette instrumentalisation. La critique et la dénonciation sont en effet plus fortes quand elles émanent des membres du groupe concerné.
La confrérie religieuse transcende cependant l’ethnie qui est beaucoup plus restrictive. Wade a par exemple instrumentalisé la confrérie mouride mais les membres de cette confrérie ne sont pas que des Wolofs. Ils viennent de tous les groupes ethniques du Sénégal pratiquement. Abdoulaye Wade, lui-même, a une ascendance peule et mandingue.
Le « Wolof » lui-même pose problème, quand on sait que le grand ancêtre des Wolofs est à la fois Sérère, Pulaar, voire Maure. Aujourd’hui ceux qu’on appelle « Wolofs » sont complètement « dé-éthnicisés ». Le marqueur ethnique ne prévaut plus. C’est pourquoi un poète comme Cheikh Moussa Ka dont les ancêtres sont peuls peut se déclarer dans sa biographie comme Wolof sans que cela ne choque personne.
Un Cheikh Tidiane Sy Al-Maktum, considérant le wolof comme sa langue maternelle, disait qu’il n’était ni Wolof ni Toucouleur, encore moins Serère. Voilà exactement ce qu’il disait : « mon père est un Sy, sa mère une Ndiaye, ma mère une Kâne, sa grand-mère une Diouf, son arrière gand mère une Khouma ».
Un Cherif Salif Sy vous dira qu’il est Wolof et tout le monde trouvera cela normal.
Il serait d’ailleurs bien que nos amis qui s’intéressent à l’histoire prennent en charge cette question et vulgarisent beaucoup mieux leurs travaux. Je pense en particulier à Babacar Mbaye Ndaak, Babacar Methiour Ndaye et d’autres pour nous rappeler ce qu’a été par exemple un creuset comme le Tekrour ou même Pire-Saniokhor.
Drame des « illuminés des origines »
Ces lieux de rencontres doivent être enseignés aux jeunes. Saliou Diallo pourra nous expliquer comment des gens venus du Djolof ont fondé un quartier dans le Gadiaga soninke et que leurs descendants sont devenus des Soninke.
Étant donné que ce que l’« ethnie » est beaucoup plus restrictive, son instrumentalisation peut être beaucoup plus dangereuse. On revendique une appartenance figée d’où on exclue tous les autres.
Macky Sall a clairement déclaré qu’il est de culture sérère et que sa femme est sérère. Pour certains cela ne suffit pas. Il faut que le président soit EXCLUSIVEMENT Hal Pulaar. J’ai vu moi-même certains lier le mandat de Macky Sall au « Pulaagu ». C’est une manipulation.
Il ne faut pas faire des « ethnies » des catégories fixes et immuables. On peut avoir des Hal Pulaar qui deviennent Séréres parce que complètement « sérèrisés ». Cheikh Anta Diop nous disait également qu’on devient tous les jours Wolof.
Cheikh Ahmadou Bamba, El Hadj Malick Sy, Baye Niasse, Limamou Laye et bien d’autres, n’ont jamais revendiqué une appartenance ethnique. Certains « illuminés des origines » se plaisent pourtant à les figer dans une appartenance ethnique.
Certains principes doivent être rappelés aux hommes politiques qui, pour défendre des privilèges et se maintenir au pouvoir, sont prêts à tout. Les références ethniques, religieuses, les lobbies, ne sont pas un mal en soi. Ils le deviennent quand ceux qui les invoquent sont au cœur du pourvoir et s’en servent pour des intérêts personnels ou partisans.
La confrérie, l’ethnie, la région, la langue ne sont que les éléments d’un tout et que seul ce TOUT mérite d’être défendu.
Lors du référendum passé, le ministre Mbagnick Ndiaye disait qu’aucun Sérère digne de nom ne votera NON. Le ministre Mansour Sy déclarait que ceux qui appellent à voter NON sont contre les réalisations faites dans les cités religieuses.
Pour ces élections législatives, nous avons lu quelque part Cheikh Oumar Hann du COUD (Centre des Oeuvres universitaire de Dakar) dire que « le Fouta est derrière Macky parce que c’est la première fois qu’un président dit que le Fouta fait partie du Sénégal ».
C’est de la manipulation politicienne pure. Ce sont des déclarations à condamner.
Bannir le discours « ethniciste » en politique
Dans une nation en construction, ceux qui instrumentalisent des appartenances, religieuse, ethnique ou régionaliste, à des fins politiques, doivent être dénoncés et sanctionnés.
« L’ethnicisation » du discours politique et le fait de titiller la fibre ethnique pour des intérêts politiciens doivent être bannis. Les discours politiques et public doivent être bien pensés, car tous les esprits ne les perçoivent pas de la même façon. Certains qui nourrissent un ressentiment envers une communauté peuvent les récupérer et en faire un mauvais usage. Dans certaines parties du monde, les actes xénophobes suivent généralement les discours politiques qui les légitiment.
Tous ensemble, nous devons montrer aux hommes politiques que les liens qui nous unissent sont plus forts que leurs intérêts bassement politiciens. Le pouvoir n’est pas éternel. Eux tous partiront un jour ou l’autre; le Sénégal, lui, demeurera.
Peu nous importe qu’un président se réclame Diola ou Mandingue ou Badiaranké. Il doit être jugé seulement sur ses orientations et ses réalisations. Il faut aider les populations à se défaire du vote affectif ou communautaire pour ne voir que les offres qui feront avancer le pays.
Il faut rappeler aux hommes politiques qu’une maison est faite de briques mais sans ciment unificateur, point de maison : « malheur à la nation divisée dont chaque parcelle revendique le nom de nation », nous disait le poète.
Khadim Ndiaye
Philoshophe sénégalais et chercheur en histoire établi à Montréal.