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« Éloge Des IdentitÉs. De L’universel Et Du Particulier »

A travers cet essai édité par Abdoulaye Elimane Kane, (ancien ministre de la Culture), se détache une invite à sortir de la tyrannie et de l’autoritarisme des certitudes furieuses pour épouser une posture d’inquiétude, de quête, d’humilité, sans laquelle ne saurait s’édifier un savoir de dimension humaine. D’autant que ce dernier n’est pas neutre. A l’instar de la chèvre qui broute là où elle est attachée, le savoir se produit et s’édifie en effet à partir d ‘un « sol culturel » déterminé qui se nourrit de ses imaginaires, ses croyances, ses modes d’être et de faire.

Il en va ainsi de la laïcité que nombre de sociétés qui se réclament de la république et de la démocratie ont en partage. L’auteur met ainsi en exergue sa déclinaison sénégalaise pour, en magnifier les aspects éminemment positifs et singuliers. Il note que dans ce petit pays d’Afrique de l’Ouest, dont la majorité de la population est de confession musulmane, un ancien chef d’Etat, Léopold Sédar Senghor, de confession catholique, a inauguré le 7 juin 1963, la grande mosquée  mouride de Touba, une importante confrérie  religieuse fondée par Cheikh Ahmadou Bamba. Et cela, quelques jours après avoir participé au Pèlerinage marial de Poponguine.

Deux interrogations majeures se détachent ainsi  de la trame  qui structure les méditations « kaniennes » : «  Qui sommes-nous ? » « Que voulons-nous dire ? »

« Eloge des Identités. De l’universel et du particulier » s’intéresse en effet à un débat d’une brûlante actualité. Celui des identités et/ou de l’identité.  Un singulier et un pluriel engoncés dans une intemporalité qui verrouille tout mouvement. Rien n’y coule, tout y est figé au risque de se putréfier. Posture bien aux antipodes de celle consistant à s’adosser à un socle local, tout en s’ouvrant aux pulsations fécondantes du monde.

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Un des moments forts de ces méditations, c’est lorsque l’auteur quitte le champ du général pour investir celui personnel, s’appuyant sur des expériences vécues dans sa chair, au gré de ses réminiscences. On est envahi par une certaine émotion qui nous étreint, en empathie profonde, au fur et à mesure de l’exposition de la « chronique d’une affection ». La sienne propre. A   l’âge de 28/29 ans (aujourd’hui septuagénaire), célibataire et en bonne santé, alors qu’il était professeur de philosophie au lycée Blaise Diagne de Dakar, l’auteur se trouve brutalement confronté à des crises d’asthme. La bataille pour ne prendre aucun médicament s’imposait à lui, avant que le côté spectaculaire  de l’affection ne le fasse  revenir à de meilleurs sentiments. Fort de son expérience douloureuse, il confie que « celui qui est sujet à des crises d’asthme en particulier, ne peut échapper à l’exercice fréquent d’une méditation sur la maladie, la santé, la guérison voire la mort ».

Il se trouve en effet qu’en temps normal dans « le silence des organes, on ne fait pas attention –sauf cas particulier- à sa respiration, comme on ne sent pas qu’on a un nez , un estomac, des reins, en situation normale ». Mais voilà qu’après une crise sévère, les gestes banals se révèlent capitaux. Et l’auteur de confier qu’« on découvre une qualité de la respiration et des gestes ordinaires que l’on ne peut assimiler à aucune autre expérience :  le sentiment que tout renaît et que tout est beau et bien ».

«Une métaphore de la vie»

Abdoulaye Elimane Kane partage ainsi une méditation sublime sur « le normal et le pathologique ». Pas anodin tout cela. S’inspirant des  thèses développées par  Georges Canguilhem et Michel Foucault, cela lui permet d’apporter un éclairage  sur la problématique centrale qui le taraude  : « la question des identités conçues comme expressions de rapports concrets entre la particulier et l’universel ».

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Toujours sur le registre de la maladie, il s’arrête sur le sens des notices de médicaments. Elles lui apparaissent comme une « véritable métaphore de la vie », leurs recommandations étant générales tout en tenant compte, pour leur application, de la situation spécifique de chaque cas. Ainsi notera l’auteur : « la vie a ceci de remarquable que, pour chaque individu, elle est toujours unique et pourtant semblable à tant d’autres ». En somme, « derrière la loi générale, l’individu concret ». Par sa portée générale, la notice s’adresse à tous les humains atteints par la même affection.  En ce sens, elle s’ouvre à l’universel. Mais, parce qu’elle a affaire à une personnes concrète, en relation, elle laisse entrevoir  que «  c’est pour chaque individu et pour l’individu seul que chaque chaque état, santé ou maladie a un sens ». Une manière de nous rafraîchir la mémoire avec une formule qui résume l’esprit de cet essai : « la machine c’est de l’humain, mais l’homme n’est pas une machine ».

En nous invitant à travers ses méditations à  « concevoir l’humain comme ensemble de relations constitutives de son identité »,  Abdoulaye Elimane Kane pose la nécessité de l’appréhender dans son entièreté, en l’occurrence comme un être de l’ici (le local) et un être delà-bas (le global). En concevant l’humain sous le prisme de « l’identité-relation », Abdoulaye Elimane Kane cherche à faire «  entendre  par là que homo sapiens possède une identité, mais il n’y a pas de « nature humaine ». Aussi, « l’éloge des identités » qui traverse de part en  part cet essai, « n’a d’autre motif et finalité que de penser l’humain dans sa plus grande complétude, c’est à dire sans aucune amputation de ce qui en assure l’unité et la diversité ». Ainsi convoque-t-il Aimé Césaire, le puissant auteur du « Discours sur le colonialisme »,  pour nous rappeler fort  opportunément qu’il y a : « deux manières de se perdre, par dilution de l’universel et par ségrégation murée dans le particulier »

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Assurément cet essai nous rappelle avec bonheur, que réfléchir est encore possible dans ce monde marqué par les petites phrases et les polémiques paresseuses. Il apporte un « supplément d’âme » dans un monde fortement secoué par l’intolérance et l’exclusion.

A lire absolument.







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