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Fraudes Aux Examens : Jeunesse Sénégalaise, Ne Savais-tu Pas ? « La Fraude Corrompt Tout »

« Fraus omnia corrompit » dit l’adage si familier aux juristes mais au contenu toujours renouvelé par l’extrême diversité de ses facettes. Les fraudes aux examens de cette année laissent un goût d’amertume qui interpelle notre société dans sa conscience. La corruption morale qui a atteint une certaine jeunesse questionne la fragilité du socle éthique de notre société.

Toute fraude est une fraude

Toute fraude est une fraude, il n’y a pas de petite fraude ni de grande fraude, encore moins de fraude ancienne ou de fraude nouvelle. Toute fraude est une fraude.

Tous les superlatifs ont été utilisés pour qualifier le comportement hautement répréhensible des candidats au baccalauréat et au brevet de l’année 2017, qui ont fraudé ou tenté de frauder : crime, génocide, trahison, déshonneur… Ils seront en effet marqués par ces stigmates leur vie durant et bien au-delà en se pensant plus habiles que les autres, espérant par leur immaturité, tromper tout un système social qui les a engendrés et nourris généreusement de son intelligence.

Lorsque l’on s’essaie à la fraude à 13-14 ans ou à 17-18 ans pour réussir à un examen, ce sont à la fois l’école, la famille, la société et l’État qui sont violemment interpellés chacun en ce qui le concerne, pour examiner avec responsabilité l’origine des failles et l’on n’a pu empêcher la corruption des acteurs du système (élèves, enseignants, administrations, tiers etc.). La chasse aux sorcières, les processus victimaires ou vindicatifs, les châtiments exemplaires n’y changeront rien si l’on ne s’interroge pas sur le vide éthique qui caractérise à tous les niveaux notre système d’organisation et notre mode de fonctionnement.

Aujourd’hui se développe de plus en plus, un certain profil de sénégalais présomptueux et arrogant jusqu’à la violence, fier des exploits de ses ancêtres, de ses ascendants et non de ses propres faits. Il n’accorde aucune valeur au travail fait avec rigueur et sérieux et s’estime plus habile que tous les autres. Pour lui, l’argent et les honneurs se négocient et toutes les difficultés peuvent se régler par la voie mystique ou maraboutique.

Pourtant, en dehors du foyer familial, il existe un lieu qui forge les personnalités et qui transforme un enfant en citoyen. L’école est en effet le lieu d’apprentissage des savoirs et des valeurs, de culture des intelligences et d’exploration des possibles. L’école, c’est aussi le lieu de construction de la citoyenneté et des bases de la dignité, lesquelles constituent les armes de l’esprit devant permettre à la personne de vivre humainement dans un monde toujours plus complexe.

En se comportant comme ils l’ont fait, tous les protagonistes à cette mascarade du succès aux examens ont tout corrompu : la sacralité du lien de transmission du savoir, le respect des institutions, l’égalité des chances, la foi publique, la confiance des familles, mais aussi leur dignité et leur fierté. Il s’agit d’un réel désaveu de leur personne, révélateur d’un manque réel de confiance en soi foulant au pied le culte du travail qui permet de gravir les marches du mérite.

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Le diplôme a été inventé pour lutter précisément contre la fraude afin que personne n’usurpe les qualités de celles et ceux qui ont obtenu des titres par le travail à la sueur de leur front, la lumière de leur intelligence et le sacrifice de leurs biens.

Cette fraude, aussi grave soit-elle, ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. A l’instar de la tragédie du Joola, la catastrophe de Bettenty, les drames quotidiens dans les hôpitaux ou tout récemment celui du stade Demba Diop qui révèlent tristement les multiples visages du mal sénégalais, la fraude aux examens ne doit pas faire passer sous silence toutes les autres fraudes, patentes ou latentes, qui nous révèlent notre température éthique. Qu’il s’agisse de fraude dans le secteur public, privé ou sociétal, que la fraude concerne la gouvernance, les finances, le numérique, l’environnement, la culture ou le financement du terrorisme, qu’elle ait pour nom cybercriminalité, corruption, fraude fiscale, flux financiers illicites, détournement d’actifs, contournement d’embargo, fraude au foncier, fraude au président, au marabout ou au technicien, fraude à la loi ou aux élections etc., la fraude reste la fraude. Lorsque des adultes fraudent, on s’interroge sur leur responsabilité et leur niveau de conscience ; en revanche, lorsque les jeunes fraudent, on s’interroge sur l’éducation qu’ils ont reçue, le milieu dans lequel ils évoluent et les adultes qu’ils observent quotidiennement. Frauder, c’est oublier ces vérités éternelles : chacun de nous porte en lui-même les solutions à ses propres problèmes, seul le travail paie et que l’on ne récolte que ce que l’on a semé.

Le ver est dans le fruit

Lorsqu’elle s’installe, la fraude détruit, tel un cancer, tout sur son passage. On ne devrait l’étudier que pour mieux la maîtriser, ne l’évoquer que pour mieux s’en éloigner. La fraude est d’abord l’envers de la justice. Tous les acteurs de l’écosystème de la fraude (fraudeurs, bénéficiaires, victimes directs) sont perdants en raison de leur comportement attentatoire à la justice. Les fraudeurs qui courent encore, rasent les murs et fuient les lumières jusqu’au jour une petite bougie insignifiante met à nu leur supercherie et sonne leur descente aux enfers. La seule et vraie victime de la fraude, c’est la société toute entière qui en sort traumatisée parce qu’atteinte dans son âme, dans sa foi.

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La fraude est ensuite, l’envers de la sincérité. Aristote nous enseigne qu’est sincère l’homme « qui reconnaît l’existence de ses qualités propres, sans y rien ajouter ni retrancher ». Avec la fraude, le fraudeur renonce à lui-même, à ses qualités propres pour se créer une nouvelle identité factice, pour tromper la société en espérant tirer un quelconque avantage au même titre que ceux qui se sont sincèrement comportés. Mais il oublie hélas que comme nous le rappelle une sagesse du Vietnam, « l’habileté ne saurait vaincre la sincérité ».*

C’est pourquoi, lorsqu’elle est établie, la fraude corrompt tout. La société peut en effet s’accommoder de tout sauf que l’on bafoue sa justice et sa foi. Il y aurait une sorte de justice immanente qui démasque toujours les fraudeurs, parfois même à titre posthume.

A la suite du Juge Kéba Mbaye, « demandons-nous chaque fois que nous sommes tentés d’avoir un comportement non éthique, ce que serait la vie si chacun faisait comme nous. Demandons-nous ce que serait une société de délateurs, de profiteurs, de voleurs, de corrupteurs et de corrompus, d’indisciplinés, d’insouciants, d’égoïstes, de fraudeurs ; la liste est longue mais la réponse est une : ce serait une société vouée à l’échec et peut-être à la déchéance et à la misère matérielle et intellectuelle. Alors, évitons de tels comportements ».

Il est important pour éviter la dégradation continue de la situation, d’accorder, au quotidien, une place centrale à l’éthique qui aujourd’hui, est devenue à la fois une compétence professionnelle et une énergie vitale. Elle doit irriguer l’ensemble de nos actions et fortifier nos convictions. Nous avons besoin d’elle pour vivre et aimer, pour forger notre leadership et créer une vision, bâtir une organisation, gouverner ou gérer, travailler avec intelligence ou assumer toute responsabilité.

Et si ce n’était qu’une question de dignité ?

Comme le rappelait tout récemment la très distinguée Aminata Sow Fall, « ce qui nous manque dans notre société, c’est l’idéal de fierté » qui permet de toujours élever la personne sur le piédestal de la dignité et de l’y maintenir. Comme dans nos rites de passage, ce que nous venons de vivre n’est que le révélateur de la fin d’un système éducatif qui a montré ses limites et qu’il convient de repenser en profondeur. Il révèle aussi la fin des systèmes de gouvernance en perte de légitimité parce que minés par la fraude et incapables en conséquence de promouvoir une éthique responsable.

Dans la zone de turbulence dans laquelle nous trouvons, seule la lucidité sans hostilité, la sérénité sans adversité peuvent nous permettre d’attaquer le problème de fond et de lui inventer de nouvelles solutions. En réponse à la fraude, il nous faut replacer le respect de l’égale dignité au cœur de Tout : la personne, le couple, la famille, l’école, l’entreprise, le sport, la religion, l’État. C’est de cette façon qu’on restituera au savoir sa vraie place, au travail, sa vraie valeur, à la personne, sa liberté et sa responsabilité.

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Au tribunal de l’histoire, cette fraude aux examens sonne un nouveau départ à anticiper, à préparer et à vivre. Une vision prospective pertinente, à la fois participative et inclusive, volontariste et responsable pourrait nous permettre de connaitre à terme la résilience face à ce traumatisme qui malheureusement hantera longtemps encore, notre sommeil.

La fraude est à vrai dire l’envers de la dignité. L’homme digne ne fraude pas ; il préfère mourir au lieu de vivre dans l’opprobre. Au panthéon du Sénégal, résonnent encore les voies des Illustres, au rythme d’une seule et même symphonie, alternant selon les contextes les déclinaisons de finesse et de rigueur, de travail ou de parole : la dignité ! Oui la dignité incarnée notamment par Linguère Ndate Yalla Mbodj, Aline Sitoe Diatta, El Hadj Omar Tall, Amadou Cheikhou Ba, Thierno Souleymane Baal, Almamy Abdou Khadr Kane, Sidya Ndate Yalla Diop, Ahmadou Bamba, Elhadj Malick Sy, Mamadou Lamine Drame, Mactar Diop, Bour Sine Coumba Ndoffene Diouf, Diile Fatim Thiam Coumba Diombass et tant d’autres. Le relai a été pris par d’autres dignes enfants du pays à l’image de Senghor, Cheikh Anta Diop, Blaise Diagne, Galandou Diouf, Abass Gueye, Lamine Gueye, Boubacar Guèye, Mamadou Dia, Majmout Diop, Birago Diop, Cardinal Thiandoum, Mariama Bâ, Me Babacar Sèye, Kéba Mbaye, Julien Jouga, Doudou Ndiaye Coumba Rose, Ousmane Sow, et tant d’autres…Malgré leur extrême diversité, leur dénominateur commun reste la dignité humaine élevée au rang de code identitaire, une dignité non négociable au péril de leur vie, une dignité qui exprime le summum du sacré : « la mort oui, et non la honte » ; l’exil oui, mais non la soumission, le sacrifice de soi pour que vive la nation.

Cet héritage génétique en plus d’animer nos instincts, devrait irriguer les veines de chacune et de chacun d’entre nous et entretenir la vigilance dans notre conscience collective. Laissons-le alors vibrer en nous pour que nos ancêtres dorment du sommeil des justes ; pour que leurs souffles continuent de résonner en nous ; pour que la dignité continue son chemin vers sa pleine réalisation.

 

Pr Abdoullah CISSE

Citoyen

acissea@gmail.com

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