Le spectacle hideux que donne à voir la ville de Rufisque est une honte pour tout Rufisquois. Ce sentiment qui envahit et consume tout rufisquois n’est que l’expression éclatante des responsabilités désertées par tous acteurs.
En effet, les images désastreuses des canaux à ciel ouvert de Rufisque reposent la lancinante question de l’assainissement de la ville.
Rufisque concentre plus de 65% des canaux à ciel ouvert de la région de Dakar, avec 13 canaux pour une longueur totale de 14 Km compte non tenu des petites rigoles. Ce système de canal permet de drainer les eaux pluviales et éviter ainsi le spectre de graves inondations.
Mais l’urbanisation accrue et la calamiteuse politique de gestion des déchets ont transformés ces canaux en de véritables dépotoirs d’ordures, faisant de ces derniers la source d’une insalubrité extrême. La ville de Rufisque est devenue de ce fait sale, nauséabonde et le repère de moustiques durant toute l’année.
Cette situation qui perdure depuis des décennies est la résultante de la combinaison de responsabilités désertées : par ordre croissant celle des populations, celle des autorités locales et celle de l’Etat central.
Une population
complice et amorphe
Le drame des canaux à ciel ouvert à un impact très négatif sur la vie quotidienne des Rufisquois. Les maux sont multiples : insalubrité, odeur nauséabonde, paludisme et autres maladies mais aussi une fierté écornée d’une ville réputée l’une des plus sales du Sénégal. Ce visage de Rufisque nous inflige une honte devant nos invités et même simples voyageurs en transit dans notre ville.
Personne ne peut dédouaner les populations de leur responsabilité dans ce drame. C’est bien nous qui avons transformé les canaux en dépotoirs d’ordures solides et branchés dans certains quartiers nos fosses septiques aux canaux. Mais la responsabilité des Rufisquois est à relativiser dans le sens où la ville subit un manque criard de réseaux d’égouts et de collecte des ordures ménagères solides.
Par contre, la mobilisation citoyenne pour un règlement définitif de cette question est relativement faible. Des manifestations salutaires et des initiatives courageuses sont à saluer mais il en faut plus.
La mobilisation des toutes les énergies rufisquoises est nécessaire pour mettre la pression sur les autorités locales et étatiques.
Des autorités locales incapables
Le code général des collectivités locales en son article 170, sur les compétences de la ville, cite en premier ‘la gestion des déchets et la lutte contre la salubrité’. Les autorités municipales promues au soir des élections locales de 2014 ont largement échoué dans leur mission de faire de Rufisque un cadre de vie sain. Cet échec est d’abord dû à un manque de vision criard de la gestion des déchets dans un premier temps avec des opérations sporadiques sans suivi comme ‘Settali Teungedj’ et le concours du quartier le plus propre.
L’espoir suscité par les Assises de la ville de Rufisque s’est vite estompé. A ce jour aucun marché, aucune ligne de crédit n’ont été ouverts pour les investissements de 8.5 milliards prévus dans le cadre du Plan d’actions prioritaires Pap 2016-2020. On peut même généraliser pour dire qu’aucun projet du Plan de développement urbain durable 2035 n’est mis en œuvre. Echec sur toute la ligne.
Même les opérations ponctuelles de curage de tous les canaux et celui de Diokoul en particulier sont quasi inexistantes. Le maire de la ville nous doit des explications, même si des rumeurs font état de blocages terribles au sein de la mairie du fait de positionnement politique et de l’éclatement de la conférence des maires.
Les Rufisquois sont laissés entre les mains d’une équipe municipale fractionnée et inexperte, incapable d’assurer le minium d’un cadre de vie sain, malgré des moyens considérables.
En effet, le budget initial 2017 pour la ville de Rufisque a alloué pour les postes assainissement et nettoyage exactement la somme de 999 439 282 F Cfa. Comment ce milliard est-il en train d’être dépensé ? Comment expliquer la persistance de l’insalubrité donc ?
La solution pourrait provenir du Conseil départemental, car ce dernier a ‘compétence pour promouvoir le développement économique, éducatif, social, sanitaire… et ‘il peut proposer aux communes du ressort du département toutes mesures tendant à favoriser la coordination des investissements locaux et des actions de développement…. (article 27 Cgcl). Mais l’apathie et les guérillas politiciennes font que les Rufisquois n’espèrent rien de cet ersatz d’institution.
Face à la désertion des autorités locales, la solution définitive ne se trouve que dans une volonté politique de l’Etat central.
L’Etat veut-il tuer Rufisque ?
La question peut paraitre provocatrice, mais c’est le sentiment qui découle du déclin de la ville amorcé par le transfert des activités du port de Rufisque vers Dakar entre 1910 et 1935.
Une analyse historique comparative des investissements publics entre les villes de Rufisque, Dakar ou Thiès, pourrait éclairer pas mal de choses. Rufisque vit une discrimination négative, un ostracisme d’Etat. Que de promesses successives trahies et non tenues, dans le domaine de l’assainissement, en particulier de la part des présidents de la République en fonction.
Me Abdoulaye Wade avait promis de faire de 2010 l’année des grands travaux à Rufisque avec un investissement de 38 milliards pour l’assainissement. Jusqu’à son départ du pouvoir en 2012, point de travaux, Rufisque tourna le dos à Gorgui et vota Macky à 72%.
Macky Sall n’as pas attendu d’être élu président de la République pour faire des promesses chimériques à la vieille ville. Le 19 mars 2012, lors de son meeting de l’entre-deux tour au Jardin public, le candidat Macky Sall disait : ‘Teungedj a connu une désindustrialisation inquiétante… Nous avons pris des engagements en dehors des mesures d’ordre général pour Teungedj dans un programme d’urgence.’ Cinq ans après, Rufisque a compris que les engagements de Macky n’engagent que ceux y croient. Aucun plan d’urgence, même pas une esquisse ….
Macky Sall devenu Président, Rufisque est devenue la fille honnie de l’investissement public. La preuve est donnée par la part minime de Rufisque dans le Programme triennal d’investissements publics Ptip 2015-2017. Sur les 96 28 milliards de F Cfa, la ville de Rufisque bénéficiait de deux grands projets : projet d’assainissement de la gare ferroviaire pour 300 millions et Assainissement de Rufisque pour 6.4 milliards. A ce jour, la gare est à l’abandon et rien ne justifie un tel niveau d’investissements sur l’assainissement.
Le comble de l’ostracisme a été atteint par le Ptip 2017-2019, d’un montant global de 4 791 milliards de F Cfa, il est l’articulation des engagements pris par le président de la République lors des Conseils de ministres délocalisés et du Pse. Macky Sall avait promis près de 13 milliards d’investissements pour notre ville, soit moins de 0.325%. En comparaison, Diamniadio bénéficie de 250 milliards. Mais attendons de voir l’effectivité de ces investissements, car en matière de respect d’engagements, le régime de Macky Sall est loin d’être le modèle.
En résumé, le visage hideux qu’offre la Ville de Rufisque n’est que le résultat d’une cascade de responsabilités désertées et au premier chef, celle de l’Etat central. Et «il n’y a pas de destin forclos, il n’y a que des responsabilités désertées», disait Frantz Fanon.
L’assainissement est la vitrine du mal rufisquois, ville d’histoire et de culture devenue ville sale et décrépite. Aux Rufisquois de prendre leur destin en main.
Bara DIOUF
Citoyen Rufisquois